Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mardi 5 mars 2019 à 16h30
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Mme Fiat étant partie, je ne répondrai pas à sa prise de parole.

Mme Gaillot n'a pas non plus vraiment posé de question ; je la remercie en tout cas de son soutien.

Monsieur Door, le périmètre de ce projet de loi vous semble insuffisant, mais c'est un choix que j'assume parfaitement. En arrivant au ministère, j'avais d'emblée indiqué que je ne souhaitais pas une grande de loi de santé de 250 articles balayant tous les sujets, de la taille des mannequins à la démocratie sanitaire en passant par la prévention – j'en suis désolée pour le rapporteur général Olivier Véran, mais cela a déjà été fait… J'entendais concentrer le travail de mon ministère sur un texte législatif resserré et absolument nécessaire à la transformation. Ce projet traduit exactement ce dont nous avons besoin dans la loi pour aboutir à une transformation du système de santé. C'est volontairement qu'un certain nombre de sujets qui n'y participent pas directement ne sont pas abordés.

Beaucoup de sujets sont d'ordre réglementaire. Cela permet une souplesse, une adaptation plus rapide. On voit bien à quel point nous sommes parfois bloqués quand nous inscrivons certaines dispositions « dans le dur » pour adapter la législation à l'urgence de certaines situations, à plus forte raison lorsque les calendriers parlementaires sont très serrés. C'est typiquement ce qui s'est produit avec les praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) : faute de disposer de leviers réglementaires depuis plusieurs années, nous n'avons pas pu intégrer ces professionnels dans notre système de santé : il fallait un véhicule législatif. Voilà pourquoi je souhaite inscrire dans le dur uniquement ce qui est absolument nécessaire. Ce texte sera du reste l'occasion de régler le problème des PADHUE.

Vous avez également parlé des hôpitaux de proximité. Il n'y a pas de plan ni de cartographie proposée en la matière, mais bien l'idée d'offrir aux professionnels ainsi qu'aux élus locaux et aux citoyens des bassins de vie la possibilité de proposer un label « hôpital de proximité » qui donnerait en contrepartie doit à des investissements et des cadrages permettant peut-être à ces hôpitaux de revivre.

Pour moi, l'hôpital de proximité est un hôpital qui répond aux besoins de premier recours d'un bassin de vie. Aujourd'hui, quelque 230 hôpitaux de proximité existent, depuis la loi de 2016, mais il n'y a pas eu d'adhésion massive à ce type de cadrage. Ils font l'objet de financements particuliers ; il est en effet absolument nécessaire que les financements soient adaptés car ce ne sont pas des hôpitaux qui ont pour vocation d'augmenter leur activité. En revanche, ils rendent un service particulier à la population locale.

L'un des hôpitaux de proximité que j'ai visité la semaine dernière, celui de Pont-Audemer, m'a semblé être le modèle. Cet hôpital s'est restructuré et s'est concentré sur un plateau technique biologie-radiologie, avec un scanner et de la radiologie standard, et qui a de la médecine polyvalente, de la gériatrie et des urgences. À l'occasion de cette restructuration, l'établissement a contractualisé avec l'hôpital porteur du GHT, l'hôpital du Havre, et les spécialistes du Havre ; chirurgiens, cardiologues, dermatologues, vont une journée par semaine donner des consultations avancées dans cet hôpital. Ainsi, les habitants de Pont-Audemer ont accès en proximité à un plateau technique de premier recours, peuvent être hospitalisés pour des suivis de pathologies simples et ont accès à tous les spécialistes de l'hôpital du Havre. En cas de besoin d'un acte chirurgical, ils sont pris en charge au Havre pour l'acte, mais reviennent à Pont-Audemer pour les éventuels soins de suite. C'est un très beau modèle, car il garantit la continuité et la qualité des soins tout en assurant un plateau technique de premier recours qui rend service à la population. C'est ainsi que je vois l'hôpital de proximité à l'avenir.

Les concertations débutent aujourd'hui avec les fédérations hospitalières et les élus sur ce que pourrait être ce modèle. L'idée n'est pas d'arrêter une cartographie définie par le ministère ni même les ARS, mais de faire en sorte que chacun postule à ce label « hôpital de proximité » en contrepartie duquel il bénéficiera d'un financement, d'investissements, d'une restructuration.

Vous demandez ce que seront les communautés médicales d'établissement (CME) du futur GHT. Il est prévu, dans le cadre des ordonnances, que les CME fassent l'objet d'une concertation. La parité, vous avez raison, doit être préservée : l'équilibre entre petits et grands hôpitaux doit être impérativement respecté. Le but n'est pas de voir l'hôpital tête du GHT absorber tous les moyens mais au contraire de faire en sorte qu'il vienne en soutien des hôpitaux de proximité ou des hôpitaux plus éloignés. Nous serons extrêmement attentifs à ce que cela ne se traduise pas par un appauvrissement des hôpitaux de proximité mais par une juste répartition des ressources, avec des consultations avancées et parfois la mutualisation de moyens. C'est ce qui s'est fait à Orléans, où a été mise en place la mutualisation des médecins urgentistes entre l'hôpital tête du GHT et les hôpitaux périphériques, ce qui permet de maintenir des services d'urgence toujours attractifs, avec des urgentistes qui tournent, tantôt dans l'hôpital tête de pont du GHT les jours où l'activité y est très importante, tantôt dans les autres établissements les jours où elle est moins soutenue. Cela permet de préserver leurs compétences, contrairement aux hôpitaux très clairsemés qui sont moins attrayants pour les professionnels car ils n'y ont pas assez d'activité.

Monsieur Grelier, si j'ai accepté ce poste de ministre, c'est parce qu'il me semblait impératif de transformer notre système de santé. Cela a été une des raisons de mon engagement en politique : en tant que professionnelle d'un hôpital public et responsable de diverses institutions, cela faisait des années que je constatais des dysfonctionnements. C'est le fruit d'une longue réflexion. Mais ce projet de loi est également le fruit de l'apport des groupes de travail depuis que le Premier ministre a lancé, le 13 février 2018, la dynamique de la transformation du système de santé. Cela a conduit à des annonces du Président de la République en septembre, et ces groupes de travail, qui comportaient des professionnels, des fédérations, des syndicats, des usagers, des élus, ont permis l'aboutissement de cette stratégie de transformation. Si je me suis engagée, c'est évidemment pour porter ce projet.

Monsieur Isaac-Sibille, vous me demandez qui écrira les ordonnances. C'est le temps de la concertation : je l'ai dit, les élus et les parlementaires en feront partie, comme je m'y suis engagée. L'idée n'est pas d'écarter les parlementaires de la réflexion. Nous étions pris par l'urgence de la nécessité de supprimer le numerus clausus ; c'est ce qui a abouti à ce calendrier très serré, mais nous tenons à ce que la concertation se poursuive sur ces enjeux majeurs, comme les hôpitaux de proximité.

Vous avez regretté l'absence de la prévention, mais celle-ci a fait l'objet d'un plan « Priorité prévention ». Un comité interministériel à la prévention se réunira le 25 mars autour du Premier ministre ; vous connaîtrez alors les priorités du Gouvernement en la matière pour cette année. De nouvelles mesures phares seront présentées lors de ce comité interministériel. De fait, la prévention est partout. Elle est dans la réforme des modes de financement : les financements forfaitaires que nous créons dans le cadre de la réforme de la tarification visent précisément à en faire le quotidien des professionnels de santé, à l'intégrer dans leur rémunération et leur tarification. De même, les missions des CPTS comprennent l'éducation à la santé et la prévention. C'est en cours de négociation à la CNAM dans le cadre de la négociation conventionnelle puisque les CPTS auront des missions socles dont celle de la prévention en santé dans leurs bassins de vie. Le sujet est donc complètement intégré au projet de loi, même si ce texte n'est pas un projet de loi sur la prévention et son organisation. Ce qui manque à notre système de santé, c'est une prévention totalement intégrée aux pratiques professionnelles ; c'est exactement ce que nous mettons en oeuvre, en passant d'une tarification à l'acte, qui ne prend jamais la prévention en compte, à une tarification forfaitaire ou à un parcours de santé qui intégrera la prévention par les professionnels de santé, de même que le financement des CPTS intégrera cette mission.

Monsieur Aviragnet, nous ne faisons aucunement fi du grand débat national : il enrichira le projet de loi s'il se présente des modifications par rapport à ce que nous proposons mais, en réalité il ne fait que mettre en exergue le constat que nous faisons tous, notamment au sein de cette commission, depuis deux ans, à savoir que notre système de santé est à présent inadapté aux pathologies chroniques et aux besoins de nos concitoyens, et qu'il est urgent de le réformer. Heureusement que nous n'avons pas attendu le grand débat national pour penser à une réforme du système de santé, à travailler sur les déserts médicaux ou le numerus clausus ! C'est depuis notre arrivée au Gouvernement que nous travaillons sur ce projet qui réglera normalement les problèmes de nos concitoyens. Cela ne signifie pas que nous serons sourds aux propositions, mais tout simplement, et c'est heureux, que nous avons anticipé et commencé à travailler.

Je me suis déjà exprimée sur les hôpitaux de proximité, en citant des modèles qui montrent le service rendu en termes de proximité comme en termes de qualité des soins et des pratiques. C'est ce que nous recherchons tous.

Les EHPAD ne figurent effectivement pas dans le projet de loi ; mais vous savez qu'une consultation vient de se terminer et que j'attends le rapport de Dominique Libault qui aboutira à une loi sur le grand âge et l'autonomie. La question des EHPAD sera évidemment traitée dans ce cadre.

Monsieur Christophe, j'ai rappelé la méthodologie sur les ordonnances. Vous appelez à associer les élus des territoires : j'en suis intimement convaincue. Par contre, je vous invite à la prudence : la santé n'est pas seulement un enjeu d'aménagement du territoire. Nos concitoyens le voient souvent ainsi, et c'est vrai que c'est un enjeu territorial, mais nous sommes aussi garants de la qualité des soins prodigués. Nous devons donc faire coexister cet enjeu de proximité et d'aménagement du territoire avec des enjeux de qualité des pratiques ; c'est exactement l'objet de ce projet de loi. Mais je vous rejoins sur le fait que les élus doivent être partie prenante des réflexions.

Vous trouvez ce texte trop médico-centré. Je ne le crois pas, car nous avons été très attentifs à utiliser l'expression « professionnels de santé », considérant que le projet de loi vise à embarquer la totalité des professionnels dans des exercices coordonnés. Les CPTS sont clairement des exercices coordonnés pluriprofessionnels. Le partage des tâches est emblématique de ce projet de loi : encourager les délégations de tâches, apprendre à travailler ensemble dans des parcours conjoints… Nous serons très attentifs à ce que cela n'apparaisse pas comme un projet de loi pour les médecins. Au contraire, nous voulons montrer à ces derniers qu'ils font partie d'un tout qui intègre l'ensemble des professions de santé au bénéfice des malades.

Les GHT n'auront rien d'une démarche autoritaire. Cela ne l'était pas dans le projet de loi de Marisol Touraine ; elle était laissée au bon vouloir des acteurs de terrain. Nous ne changerons pas de philosophie : c'est un projet de loi qui va s'adapter à chaque territoire, un projet de loi qui ne veut pas être trop normatif, afin de permettre à chaque territoire de faire émerger des projets qui lui ressemblent. On ne peut pas traiter de la même façon la banlieue parisienne et la Corse ; ce ne sont pas les mêmes problématiques de déplacement ni de santé publique. Je reviens de Guyane, où les problèmes sont encore différents. L'idée est de laisser chaque territoire faire les propositions d'organisation qui lui correspondent, en fonction des acteurs de terrain.

On m'a par exemple souvent demandé si un hôpital de proximité pouvait être un établissement privé. Spontanément, j'ai répondu que non, que les hôpitaux de proximité sont des hôpitaux publics ; mais j'ai découvert que, dans certains territoires, il n'existe pas d'hôpital public de proximité et c'est une clinique privée qui en fait office. On s'adaptera. Si tel est le cas, il est hors de question de détruire, par dogmatisme, un outil existant au sein d'un territoire. C'est un projet de loi cohérent mais qui sera peu normatif, de façon à laisser s'exprimer l'intelligence de terrain. J'ai totalement confiance dans les initiatives de terrain.

Nous serons attentifs à la fracture numérique. Nous savons qu'elle existe, notamment à cause des problèmes d'aménagement du territoire mais aussi à cause de l'âge de nos concitoyens. L'idée est de promouvoir des outils numériques indispensables mais nous serons attentifs à ce que cela ne crée pas de disparités territoriales.

Madame Dubié, ce ne sont pas les ministres qui choisissent les rapporteurs, même si nous sommes ravis du choix qui a été fait… Je ne peux donc vous répondre sur ce point.

Vous considérez que la loi ne va pas assez vite et pas assez loin. Cette loi, je le rappelle, n'est qu'une brique dans la transformation. Elle ne va pas assez vite car il y a urgence, vous avez raison, mais je pense que le risque serait grand de tout mettre dans la loi en faisant fi des concertations nécessaires avec les professionnels et de braquer un certain nombre d'entre eux, alors que nous avons besoin de tous pour assurer le déploiement d'une médecine de proximité. Le temps passé à la concertation, sera autant de temps gagné par la suite pour embarquer tous les professionnels dans les territoires. C'est ma méthode de travail : nous devons être en mesure d'embarquer tout le monde car c'est le meilleur gage de succès. Je remercie tous les professionnels qui nous ont accompagnés. Les syndicats, les ordres, les fédérations hospitalières sont d'accord sur les orientations de cette loi. On peut regretter qu'elle arrive tard au regard de l'urgence de la situation, mais au moins, elle arrive et tout le monde sera dedans. On peut s'en réjouir : trop de lois ont braqué les professionnels, au détriment de l'objectif poursuivi.

Les pratiques avancées se déploieront pour d'autres professionnels – en l'occurrence les infirmiers. J'ai prévu que les infirmiers de pratique avancée puissent exister dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale à partir de 2019, mais l'idée est d'élargir chaque année le champ de compétences des infirmiers en pratique avancée, voire de le proposer pour d'autres professionnels de santé.

Vous avez parlé de carte hospitalière : il n'y en a pas. Nous ne nous voyons pas comme normatifs, je l'ai dit, sur les organisations territoriales. Nous faisons confiance aux GHT, aux élus locaux, aux ARS pour nous proposer des montages cohérents. Des allers-retours auront lieu en permanence avec les élus locaux dans le cadre des projets territoriaux de santé. C'est ce que vise l'article qui y est consacré : une capacité de travailler entre ARS, élus et professionnels sur un projet partagé qui prend en compte tous les contrats locaux existants.

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