Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du vendredi 15 mars 2019 à 15h00
Croissance et transformation des entreprises — Article 8 bis b

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Le présent article est important : il a une histoire et j'espère qu'il aura un futur heureux, pour le pays et pour la planète. Pendant l'examen du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous – loi EGALIM – , nous avons longuement discuté des questions relatives aux réglementations sur les pesticides. Le glyphosate a pris une place non négligeable dans les débats, sur fond de négociation de traités internationaux comme l'Accord économique et commercial global – Comprehensive Economic and Trade Agreement : CETA – ou comme le Marché commun du Sud – Mercado Común del Sur : MERCOSUR… Le principe de réciprocité est alors devenu un principe important au cours de la discussion : les produits que nous refusions d'importer, nous devions nous-mêmes nous interdire de les exporter.

C'est ainsi que, alertés par des ONG, nous nous sommes penchés sur la question très sensible de la production de produits phytopharmaceutiques qui ne sont pas autorisés à l'échelle européenne mais que nous produisons et exportons vers des pays tiers. Après moult réflexions, après une première réserve du Gouvernement, exprimée en première lecture par le ministre de l'agriculture de l'époque, Stéphane Travert, la majorité a adopté un amendement défendu par Matthieu Orphelin, qui atténuait la portée de notre idée en étendant le délai d'interdiction afin de ménager une étape de transition : la France s'engageait, d'ici à 2025, à cesser la production et l'exportation de produits interdits sur son propre sol suivant les directives et règlements européens.

Et puis : un étonnement. Des sénateurs, sensibles aux enjeux économiques à court terme de ces productions, enjeux qui, je tiens à l'affirmer avec gravité, sont aussi les nôtres – personne n'est indifférent à l'avenir de l'industrie, aux emplois… – , des sénateurs, disais-je, sous je ne sais quelle pression, avec ou non la complicité du Gouvernement – je ne me permettrais pas de me prononcer sur ce sujet sensible – , en tout cas avec son assentiment, ont annulé cette disposition de la loi EGALIM dans le présent texte. Je ferai une première remarque, de forme, sur laquelle je ne m'attarderai pas car j'ai horreur des polémiques politiciennes : le Gouvernement a accepté qu'une mesure figure dans un texte pour la supprimer à la faveur de l'examen ultérieur d'un autre texte. On a le droit de changer d'avis, de mûrir, encore faut-il le faire dans une totale transparence. Nous héritons donc, en nouvelle lecture, du projet de loi PACTE amputé de la disposition en question et dans des conditions qui restent floues.

Au-delà du principe de réciprocité, c'est d'éthique qu'il est question et, si certains considèrent que ce n'est pas important, j'estime pour ma part qu'il s'agit du coeur de la vie politique : la recherche d'une certaine vérité, la recherche de ce qui est juste et pas seulement la poursuite de nos intérêts à court terme. Mon principe est assez simple et se fonde sur ce qui me paraît une règle d'or de notre civilisation : on n'a pas à faire aux autres ce qu'on se refuse à soi-même. Les règles que nous nous imposons doivent pouvoir s'appliquer par extension. C'est le principe même de l'universalité du droit français, c'est l'esprit de la Révolution, l'esprit des Lumières. Les Français prétendent penser le droit universellement ; nous ne fabriquons pas le droit dans le seul intérêt national mais sa visée est universelle, voilà quelle est notre tradition politique.

Cette dernière doit s'intégrer à la modernité, aux champs nouveaux de la mondialisation souvent jugée comme sans foi ni loi. Eh bien, les principes de réciprocité, dans le commerce international, dans les règles d'interdiction sanitaires et environnementales, devraient nous guider dans les années qui viennent.

Nous réitérons donc notre proposition de rétablir la disposition de la loi EGALIM et de cesser la production et l'exportation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives interdites au sein de l'Union européenne d'ici à 2025.

Du fait de l'insuffisance d'arguments factuels, vous ne nous avez pas convaincus, madame la secrétaire d'État. Il y a huit jours, je vous ai adressé un long courrier où je vous demandais de porter certaines informations à la connaissance de l'Assemblée. Je vous faisais le crédit de nous proposer des arguments fondés et dont nous devions tenir compte : ne pas confondre les semences et les pesticides, ne pas confondre les pays disposant d'une autorité sanitaire et choisissant librement d'utiliser telle ou telle molécule et les pays qui ne sont pas des États de droit et qui ne disposent pas d'agence sanitaire, prendre le temps de la transition etc. Nous avons bien entendu tous vos arguments mais je vous demandais également, dans mon courrier, quel serait l'impact socio-économique de votre décision, et son impact écologique. Et si je salue la qualité de notre dialogue et ne doute pas une seconde de votre sincérité, le souci de la vérité m'oblige à dire que nous n'avons eu que la moitié des informations demandées.

Vous nous avez communiqué la liste des cinq premiers opérateurs français, le nombre d'emplois concernés – certains groupes de pression évoquaient 3 000 emplois alors qu'on parle ordinairement, si l'on écarte le secteur des semences, et nous étions d'accord sur ce point, de mille emplois, ce qui est déjà beaucoup, je l'affirme avec gravité, et nous serons très soucieux de ces mille emplois – , et vous nous avez renseignés sur le niveau de subventions dont ont bénéficié ces entreprises. Entre les fonds de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – ADEME – et les fonds spéciaux des fonds de développement sur le biocontrôle, ce sont près de 16 millions d'euros que ces entreprises ont perçus depuis 2008. Surtout, l'ensemble des entreprises de la filière ont touché 55 millions par an au titre du crédit d'impôt recherche – CIR. Mais vous nous préciserez ces chiffres le moment venu. Bref, nous évoquons des industries accompagnées par la puissance publique, bénéficiant du droit commun du CIR mais également de dispositifs spécifiques pour engager la transition agroécologique.

Vous ne nous avez pas renseignés sur le niveau de bénéfice de ces entreprises mais les derniers chiffres publiés concernant les géants de l'agrochimie – je n'aime pas citer les entreprises dans l'hémicycle et je m'en tiendrai à cette règle – doivent nous rassurer sur leur santé économique : ils vont très bien. Il n'y a donc aucun souci à se faire sur les aides publiques et sur leur propre capacité à se réformer et à s'engager. En fonction de ces informations, certes lacunaires, nous avons engagé un dialogue pour chercher des solutions ; quoique quelque peu fragmenté, il a toujours été sincère et aimable. Nous avons proposé que notre amendement serve de base à l'édification d'une solution raisonnable. Nous étions prêts à des compromis or nous n'avons pas, aujourd'hui, la moitié des informations demandées, notamment celle sur l'impact de la nature des produits, donc les raisons de leur interdiction. Nous n'avons pas eu connaissance non plus d'une proposition d'amendement du rapporteur général de la commission spéciale, sinon en marge de l'examen en séance – il le présentera le moment venu.

Je souhaite qu'à ce stade du débat et avant même d'engager la discussion sur les amendements, nous clarifions un peu nos trajectoires respectives. Visiblement, et d'après nos informations, vous vous apprêtez à déroger à l'interdiction des produits incriminés dès lors que les entreprises s'engageraient dans des processus de mutation de leurs activités. Vous les avez réunies à Bercy et avez employé beaucoup d'énergie dans cette action ; or, connaissant un peu le sujet pour avoir présidé le plan « Écophyto » pendant la dernière législature, je puis vous assurer que leurs engagements correspondent exactement à la trajectoire de croissance du biocontrôle telle que défendue par le ministère de l'agriculture et le syndicat du biocontrôle : les produits de biocontrôle représentent aujourd'hui 5 % du marché de la protection des plantes et il est prévu que ce taux atteigne 15 % en 2025 et 25 % en 2030. Ces engagements n'ont donc rien de neuf puisqu'il s'agit simplement de suivre la trajectoire naturelle de la recherche scientifique et de la demande à l'échelle locale comme à l'échelle internationale en matière de biocontrôle.

Contre cette promesse de progression qui n'a rien de neuf, je le répète, et épouse la trajectoire naturelle de la conversion de ces industries, vous renoncez ad vitam æternam à l'interdiction. Le compte n'y est par conséquent vraiment pas. Il y a pire que de ne pas faire, c'est de faire semblant. S'il n'y a pas d'interdiction, il n'y aura pas de trajectoire de mutation de ces entreprises. Et les pratiques profondément immorales consistant à exporter des produits qui peuvent nuire à la santé humaine et à la santé de la planète, y compris dans des pays où la législation sanitaire est faible, dans des pays peu démocratiques, ne sont pas dignes de notre économie.

Je termine en soulignant, une fois encore, que j'ai le même souci de l'emploi, de l'économie et que ce n'est pas faire un cadeau à notre industrie que d'en fonder l'activité sur des principes éthiques aussi dévoyés. Je rappellerai simplement que les trajectoires d'agroécologie, dans leur ensemble, dans la filière de production d'agrofournitures, dans la recherche-développement – R& D, sont plus vertueuses que celles de la filière agrochimique : toutes les études de l'Institut national de la recherche agronomique – INRA – l'étayent à souhait.

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