Intervention de Véronique Louwagie

Séance en hémicycle du vendredi 15 mars 2019 à 15h00
Croissance et transformation des entreprises — Article 9

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie :

L'article 9 prévoit de relever les seuils de certification légale des comptes par un commissaire aux comptes pour les aligner sur les seuils européens.

Non seulement cet article affectera la profession de commissaires aux comptes, mais il est également lourd de conséquences pour l'économie française. Il me paraît essentiel de rappeler le rôle du commissaire aux comptes et celui de l'expert-comptable, car ces deux professions sont souvent confondues. Pourtant, les enjeux sont complètement différents et aucunement interchangeables.

L'expert-comptable a pour mission essentielle d'établir et de présenter des comptes, avec une dimension de conseil. Les missions du commissaire aux comptes sont différentes, voire complémentaires : certifier des informations financières, révéler les faits délictueux, prévenir les risques de défaillances d'entreprises.

Le commissaire aux comptes est sous la tutelle du ministère de la justice et l'expert-comptable sous celle du ministère de l'économie : cette nuance, qui n'est pas neutre, révèle la nature très différente des missions. Nous pouvons, à cet égard, regretter l'absence au banc de Mme la garde des sceaux. Sous la précédente législature, lors du débat sur la loi Macron, Mme Taubira était venue en séance lorsque le sujet des commissaires aux comptes avait été abordé.

Le commissaire aux comptes est un tiers de confiance, dont le rôle, loin d'être accessoire, est même déterminant : il protège les actionnaires minoritaires et rassure les tiers, notamment les banquiers ; il est un garant des finances des entreprises ; il sécurise et apporte une garantie lors d'une transmission d'entreprise. Le jugement indépendant des 13 500 commissaires aux comptes est une véritable assurance pour notre économie.

Alors pourquoi cette réforme ? Pour s'aligner sur les seuils fixés par une directive européenne. Je souhaite cependant souligner la diversité des tissus économiques des États membres, qui justifie d'appréhender chaque situation de manière spécifique.

Quelles seront les conséquences de votre réforme ? D'abord, un risque accru d'insécurité et de délinquance économique ; ensuite, un affaiblissement de nos PME ; enfin, la concentration du marché de l'audit au profit des plus grands cabinets.

La sécurité financière est trop importante pour être négligée. Je donnerai quelques exemples de pays européens qui ont fait des choix inverses de celui que vous préconisez. En Suède, alors que l'obligation d'audit pour les petites entités a été supprimée en 2010, dès décembre 2017, un organe de contrôle recommandait son rétablissement. En 2017, l'Italie a abaissé les seuils afin de réduire les risques pour les entreprises : le nombre d'entités auditées a ainsi augmenté de 175 000. Quant à l'Allemagne, qui est souvent citée, elle est un parfait contre-exemple, puisque les seuils y dépassent les normes européennes, ce qui s'explique par la différence de tissu économique.

J'ai trois questions à vous poser, madame la ministre.

La première porte sur la situation des groupes et la nécessité de tenir compte de leur complexité. Il est impératif de ne pas laisser dans l'ombre les filiales. Les groupes et les flux entre sociétés mères et filles méritent un examen particulier. Êtes-vous favorable à un contrôle par un commissaire aux comptes dans les filiales de groupe, détenues directement ou indirectement et contribuant de manière significative à l'activité du groupe ?

La deuxième question a trait au délai d'application de l'article 9, essentiel pour permettre à la profession de rebondir, de se reconstruire et de redécoller. En effet, la disposition adoptée en commission spéciale a des conséquences immédiates. Ainsi, les mandats des commissaires aux comptes qui expirent à l'issue des exercices clos au 31 décembre 2018 pour les entreprises en dessous des seuils prendront fin d'ici quelques jours. Pire, la mesure est rétroactive, puisqu'elle permet à toutes les sociétés qui n'auraient pas tenu leur assemblée générale de ne pas désigner de commissaires aux comptes.

L'absence de concomitance entre le relèvement des seuils et les mesures de rebond envisageables est un couperet et le prélude à un grand plan social – 10 000 emplois et 650 millions d'euros d'activité sont menacés. Alors, madame la secrétaire d'État, êtes-vous prête à étaler dans le temps l'application de l'article 9 afin d'aider la profession à rebondir ?

Enfin, ma troisième question concerne le préjudice résultant de cette mesure brutale. Dans son avis, le Conseil d'État évoque la possibilité d'une indemnisation par l'État du préjudice grave et spécial, pouvant résulter, pour certains professionnels, de la mesure présentée, sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait des lois. Vous n'avez d'ailleurs pas écarté, en commission spéciale, cette hypothèse. Pouvez-vous préciser les intentions de l'État en la matière ?

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