Intervention de Tristan Mendès France

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 14h00
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Tristan Mendès France, enseignant à l'École des hautes études en sciences de l'information et de la communication (CELSA), maître de conférences associé à l'Université Paris-Diderot :

Je crois que certains chercheurs et universitaires commencent à se pencher sur cette question et à recueillir des données assez significatives qui permettent de dessiner des tendances générales. Mais il est clair qu'il s'agit d'un territoire très difficile à baliser. C'est aussi difficile que d'analyser le phénomène des Anonymous. Bien entendu, on peut, sur la durée, retracer dans ses grandes lignes l'histoire des Anonymous. Mais on ne sait pas qui en est et qui n'en est pas : un profil peut apparaître puis disparaître. Les membres des jeunes générations n'ont pas un seul profil, une identité unique, en ligne. Ces pratiques compliquent l'élaboration de données statistiques – mais je n'irai pas plus loin car ce n'est pas ma spécialité.

Cependant, il me paraît important que les universitaires, les parlementaires soient attentifs aux références culturelles de ces nouveaux espaces. Certes, on ne peut pas demander à un député de jouer tous les soirs à des jeux vidéo en ligne pour en comprendre les codes – cela n'aurait pas de sens. Mais cette culture a un impact majeur sur les jeunes générations, et ne pas connaître ces espaces-là est problématique.

Juste un petit exemple. TikTok est une nouvelle plateforme apparue récemment. C'est, parmi les réseaux sociaux, celui qui a eu la traction mondiale la plus importante l'an dernier. Cette petite application, rachetée par les Chinois du reste, est utilisée essentiellement par les 11-14 ans et compte aujourd'hui 150 millions d'utilisateurs, avec une potentialité d'évolution très importante. Pour connaître ce réseau social, il faut être familier des usages ou avoir des enfants qui l'utilisent et ne pas regarder cela de manière un peu hautaine. Or – c'est très marginal, j'y insiste, mais significatif –, l'extrême droite américaine regarde cette nouvelle plateforme avec beaucoup d'intérêt. Quelques-uns des hérauts de cette mouvance, dont Paul Joseph Watson, que j'ai évoqué tout à l'heure, ont ouvert un compte sur TikTok, pour y diffuser leur idéologie, leur propagande, auprès de populations très jeunes qui sont hors des radars des autorités. C'est pourquoi il me semble important que les parlementaires développent leur culture numérique. Je suis presque gêné d'évoquer devant vous ce type de plateformes, tant ce qui s'y passe est ridicule et futile, mais il faut y être attentif.

J'ouvre une parenthèse à propos des « mèmes » ; je ne peux évidemment pas tous les décrire – certains sont gênants, obscènes. Mais sachez que l'ambassade russe à Londres utilise des mèmes sur Twitter pour communiquer et faire des clins d'oeil à la fachosphère européenne : ils tweetent Pepe The Frog ! Je dis cela parce qu'il se trouve que je suis intervenu à quelques reprises au Quai d'Orsay, pour évoquer notamment l'utilisation des réseaux sociaux par la Russie. Bref, lorsqu'on maîtrise les codes, on a une capacité de nuisance, de conviction, beaucoup plus forte. Rendez-vous compte : l'ambassade russe à Londres – une ambassade ! – tweete des mèmes de Pepe The Frog, cette absurde petite grenouille verte… Nous vivons, selon moi, un moment assez inquiétant et déroutant, car la génération qui vient a des références que n'ont pas forcément la majorité des décisionnaires et des hommes et femmes politiques.

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