Intervention de Gilles Lurton

Séance en hémicycle du lundi 18 mars 2019 à 16h00
Organisation et transformation du système de santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton :

Après la loi de « modernisation de notre système de santé », promulguée sous le précédent quinquennat, nous sommes appelés aujourd'hui à examiner un nouveau texte d'importance, le projet de loi relatif à l' « organisation et à la transformation du système de santé » : deux textes fondateurs en trois ans, deux textes censés répondre aux enjeux de notre système de santé dans les années à venir. D'emblée, je veux le dire, notre pays bénéficie d'un système de santé de qualité, qui est animé par des médecins, des chercheurs, des personnels de santé d'un professionnalisme exemplaire. Nous bénéficions d'une médecine de qualité, mais également d'un système social très protecteur. Je veux rendre hommage, à cet égard, à l'ensemble du personnel médical et soignant, mais aussi à ceux qui, au fil des années, ont construit cette protection essentielle qui nous est enviée par de nombreux pays.

Il faut cependant se rendre à l'évidence, ce système se heurte aujourd'hui à de nombreuses difficultés. Votre rôle, madame la ministre, celui du Gouvernement et du Président de la République, reste de tout mettre en oeuvre pour que les Françaises et les Français puissent continuer d'être bien soignés. C'est dans cet esprit que, le 18 septembre 2018 à l'Élysée, le Président de la République annonçait le plan « Ma santé 2022 », qui doit permettre de réformer notre politique de santé pour offrir un meilleur accès aux soins à tous nos concitoyens, quel que soit leur âge, leur territoire ou leurs moyens. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 vous a offert l'occasion d'adopter les premières mesures de ce plan, principalement la mise en place du reste à charge zéro pour l'optique, le dentaire et les audioprothèses.

Enfin, nous examinons ce projet de loi tant annoncé. Ce texte était très attendu, notamment parce que la loi Touraine du 26 janvier 2016 n'a résolu aucun de ces grands défis – ce que nous avions, à l'époque, prédit. C'est dire que les gouvernements qui se sont succédé ont mal pris en main ce dossier essentiel pour notre pays. C'est dire enfin que l'annonce de votre texte, madame la ministre, a suscité beaucoup d'espoir dans le monde de la santé, tant les besoins sont grands.

Oui, madame la ministre, nos hôpitaux – l'hôpital public notamment – , sont à bout de souffle. Oui, madame la ministre, nos compatriotes désespèrent, pour beaucoup d'entre eux, d'avoir accès à un médecin généraliste ou à des services de soins de proximité. Nous connaissons les causes des maux qui rongent notre système de santé : l'insuffisance des moyens offerts aux hôpitaux, le manque d'attractivité de la pratique libérale, l'isolement des médecins dans les zones de désertification et un manque de personnel soignant de plus en plus criant. Nombreux sont nos concitoyens qui renoncent aujourd'hui aux soins faute de médecins disponibles. Nous partageons tous ce constat.

Les véritables solutions manquent encore, et je crains malheureusement que ce texte soit loin de répondre aux attentes de notre pays, même s'il comporte quelques avancées que nous tenons à souligner. C'est notamment le cas de la procédure de recertification des médecins tout au long de leur carrière, prévue à l'article 3, de la réforme du statut de praticien hospitalier, à l'article 6, qui tentera, d'une part, de mettre fin à une multiplicité de statuts, lourds à gérer administrativement, et, d'autre part, de clarifier leurs missions. C'est aussi le cas du titre III, qui vise à développer le numérique dans le domaine de la santé, évolution que nous devons absolument prendre en compte pour l'amélioration de notre système de santé.

Nous approuvons également la création d'une agence régionale de santé à Mayotte, tant l'égal accès aux soins sur l'ensemble de nos territoires, métropolitain et ultra-marins, doit être encouragé. Ce territoire doit relever des défis majeurs ; c'est pourquoi je vous remercie, madame la ministre, d'avoir proposé un amendement en commission, qui a permis d'inscrire cette proposition dans la loi.

Le travail en commission nous a permis d'apporter à ce projet de loi quelques améliorations, souvent contre la volonté du Gouvernement et du rapporteur, grâce à l'adoption de plusieurs amendements visant à mieux intégrer les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des politiques de santé sur leur territoire. La structuration du parcours de santé au-delà de la seule médecine générale constitue également une avancée que nous tenons à saluer.

Un certain nombre de dispositions visant à intégrer les pharmaciens d'officine dans le parcours de soins ont aussi pu être intégrées au texte au cours de nos débats.

Enfin, j'ai personnellement apprécié que vous acceptiez de retenir deux de mes amendements : un concernant la représentation des usagers dans les conseils de surveillance des groupements hospitaliers de territoire et un autre – dont la paternité revient à Rémi Delatte – concernant la représentation des parlementaires à titre consultatif dans ces mêmes conseils de surveillance.

Madame la ministre, nous reconnaissons que ce projet de loi apporte quelques améliorations bienvenues à notre système de santé. Nous tenons aussi à souligner l'intensité du travail en commission, ainsi que l'esprit constructif qui y a régné.

Pour autant, ce texte semble loin des attentes du monde de la santé, loin de répondre aux défis posés par la désertification médicale, l'explosion des dépenses de nos hôpitaux publics et les urgences hospitalières. Je dis « semble » parce que ce texte nous plonge en grande partie dans l'inconnu : sur vingt-trois articles, sept habilitent le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnances, deux renvoient à des décrets et deux autres procèdent à des ratifications d'ordonnances. Autrement dit, la moitié du texte reste encore à rédiger.

Elle le sera par le Gouvernement, surtout par son administration. Bref, une fois encore, elle exclura les parlementaires de ce travail. Nous pensons pourtant que notre vision des territoires, l'attachement que nous leur portons et nos expériences de terrain auraient pu compléter une vision purement technocratique ou exclusivement médicale. Nous pensons que la consultation que vous allez engager maintenant aurait dû avoir lieu avant la rédaction de ce texte, de façon à aboutir à un projet finalisé à même de répondre aux attentes de notre pays.

Madame la ministre, je suis convaincu que vous avec conscience de cette insuffisance. Preuve en est votre engagement, pris en commission, d'associer les parlementaires à la rédaction des ordonnances. Ce voeu est louable, à condition qu'il ne reste pas pieux et, malheureusement, il n'engage que vous !

Pour le moment, il nous est difficile de nous prononcer sur la réforme du premier cycle des études de santé, dont la mise en oeuvre est prévue par décret, ou d'y voir clair dans la suppression du numerus clausus, une décision pourtant approuvée par tout le monde. À nos questions, vous ne répondez point.

Qu'avez-vous prévu pour que les universités puissent s'adapter à l'arrivée de nouveaux élèves, alors que la plupart des amphithéâtres sont déjà saturés ? Qu'avez-vous prévu pour permettre aux hôpitaux d'accueillir tous ces futurs externes, qui deviendront ensuite internes ? Qu'avez-vous prévu pour que la suppression du numerus clausus profite aux secteurs touchés par la désertification médicale, alors que nous savons tous que moins de 15 % des étudiants en médecine choisissent aujourd'hui le secteur libéral ? Autant de questions auxquelles nous n'avons pas de réponses, si ce n'est l'annonce d'un décret par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Il nous est aussi difficile de nous prononcer sur la création d'un statut unique de praticien hospitalier, même si nous savons qu'elle est attendue et que nous l'approuvons. Mais, là aussi, le recours à une ordonnance confère à cette mesure un caractère très flou, ce que regrettent l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées.

Il nous est enfin difficile de nous prononcer sur la création d'établissements de santé de proximité, tant les questions restent nombreuses à leur sujet. Quelles seront leurs missions ? Correspondront-elles aux besoins des territoires ? Quel sera leur modèle de financement ? De quelle autonomie disposeront-ils ? Seront-ils sous la tutelle des groupements hospitaliers de territoire ? À toutes ces questions, vous nous renvoyez à des ordonnances pour obtenir les réponses. Comme l'un de mes collègues l'a dit en commission, nous savons que l'ordonnance est une pratique usuelle en médecine, mais, là, nous nous en serions bien passés !

Le développement de la télémédecine et des télésoins ne permettra pas de mettre fin aux déserts médicaux, qui sont souvent aussi des déserts numériques. De même, ni l'extension du statut de médecin-adjoint, ni l'élargissement aux praticiens à diplômes étrangers hors Union européenne du champ des bénéficiaires du contrat d'engagement de service public ne régleront le problème. Il ne s'agit là que de rustines qui n'empêcheront pas le développement d'une médecine à deux vitesses dans les territoires.

J'aurai bien sûr l'occasion de revenir sur tous ces points, et sur bien d'autres encore, au cours de l'examen des articles. Il en est trois, cependant, qui me semblent les grands oubliés de votre projet de loi, alors qu'ils font partie des grands enjeux de la politique de santé.

Lorsque vous avez pris vos fonctions, madame la ministre, vous vous êtes engagée à faire de la prévention l'axe majeur de votre politique, objectif auquel j'adhère. Or rien dans le texte ne traduit cette intention, alors que la prévention aurait dû en être le principe directeur.

Le deuxième sujet sur lequel je serai conduit à revenir, à travers mes amendements, concerne la politique du handicap. Là aussi, le Premier ministre, lors de la première conférence interministérielle du handicap, le 21 septembre 2017, s'était engagé à ce que le handicap soit pris en considération dans tous les projets de loi présentés par votre Gouvernement. Je constate au contraire qu'il a été souvent oublié, et qu'en l'absence d'une prise en charge de qualité, trop de personnes demeurent, du fait de leur handicap, dans une situation précaire sur le plan de la santé.

Enfin, je pense bien sûr à la prise en charge des personnes âgées dépendantes, auxquelles vous avez prévu de consacrer un projet de loi avant la fin de cette année. Nous n'oublions pas cet engagement.

Parce que nous sommes, plus que tout, attachés à notre système de santé et à sa pérennité, parce que ce système est aujourd'hui en danger et parce que votre projet de loi restera sans doute la seule occasion qu'il nous sera donné au cours du quinquennat d'y porter remède, nous adopterons une attitude constructive dans cette discussion, comme nous l'avons fait en commission. Nous vous ferons de nombreuses propositions, en espérant que nos débats contribueront à lever le flou qui continue de régner autour de vos intentions.

Madame la ministre, le monde médical et les usagers du système de santé nous regardent, et nos concitoyens attendent beaucoup de nous. Nous ne pouvons pas nous tromper et nous devons répondre à leurs attentes. C'est dans ce but que nous travaillerons avec vous cette semaine, mais, en l'état actuel, nous ne pouvons accepter votre texte.

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