Intervention de David Gruson

Réunion du jeudi 21 février 2019 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

David Gruson, membre du comité de direction de la chaire santé de l'institut d'études politiques de Paris, fondateur d'Ethik-IA :

Je souhaiterais, en écho aux propos de Mme Gaillot et de M. Gassilloud, souligner l'importance de considérer le facteur temps. Sans doute faudra-t-il, dans le débat parlementaire que vous mènerez, veiller, au niveau national et européen, à ne pas sur-complexifier le dispositif. L'idée que la création du Health data hub serait un objectif d'intérêt économique ou industriel va de soi. Cet outil, sous forme de plateforme d'intérêt public, représente évidemment une avancée éthique, mais est aussi un vecteur de soutien à l'émergence de solutions de médecine algorithmique nationales. Ceci nécessite toutefois d'être porté politiquement. Il s'agit moins, selon moi, d'une question de droit que de volonté politique.

Il m'apparaît, pour répondre à M. Gassilloud, que le risque pour le système de solidarité et notre sécurité sociale tient moins à l'émergence d'acteurs privés qu'à la capacité des professionnels et des patients d'éviter, par le numérique, notre système de santé et le principe de solidarité. L'exemple du règlement général sur la protection des données témoigne d'une initiative européenne communautaire forte. Des acteurs privés, y compris de très gros « calibre » mondial, se sont soumis à ce nouveau cadre normatif. Ceci n'est donc pas impossible dans l'absolu, y compris sur le terrain de la régulation positive. En revanche, si nous tardions trop à avancer sur le partage des données dans un cadre d'intérêt public national, idéalement européen (le Health data hub étant, espérons-le, une première étape dans cette direction), les conséquences seraient très négatives. Ainsi, l'agence de sécurité sanitaire américaine, la FDA, a autorisé en avril dernier l'utilisation d'un algorithme de reconnaissance d'images pour les rétinopathies diabétiques. On peut ainsi très facilement imaginer le cas d'usage d'un patient français qui, plutôt que de patienter plusieurs mois avant d'obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologue, aura recours à cet algorithme, en envoyant ses données de l'autre côté de l'Atlantique, moyennant paiement. Ceci met en lumière un risque de rupture de la protection des données à l'initiative des patients et des professionnels. Il ne faut pas perdre de vue que les risques pour la protection des données sont aussi alimentés par chacun de nous ; il ne s'agit pas seulement d'un sujet de droit, mais d'une question de comportement, donc de formation et de débat public. Il apparaît également que ceux parmi nos concitoyens qui pourront se permettre ce genre de comportement seront ceux qui en auront les moyens, avec de façon sous-jacente un risque de délitement des régimes de sécurité sociale qui sont à la base de notre système. Mon propos peut sembler théorique, mais il s'agit en réalité déjà d'un sujet pratique. C'est la raison pour laquelle il est vraiment essentiel que le cadre juridique français et européen s'adapte au principe de partage des données, avec les éléments de protection juridique qui ont été rappelés par divers orateurs. Il est nécessaire d'agir suffisamment vite et lisiblement pour ne pas accélérer en pratique ces comportements d'évitement du système.

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