Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 21 février 2019 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office :

Je suis très perplexe. Je ne suis pas spécialiste de ces questions, mais connais en revanche assez bien l'organisation de l'État. L'État bénéficie, sous le contrôle du législateur, du monopole de la contrainte. C'est là en réalité sa seule légitimité que de pouvoir imposer à des individus, des citoyens, des comportements fondés sur la base d'une loi, cette dernière étant définie par le Parlement, dont c'est la fonction. J'évoque à dessein cet élément dans la mesure où cette contrainte ne peut s'exercer que si elle est légitime et possible. Or nous sommes ici, à l'Office parlementaire, confrontés (comme l'ensemble de nos compatriotes, bien que ces derniers n'en aient peut-être pas autant conscience) au fait que, d'évidence, l'autorité de contrainte de l'Etat disparaît progressivement, et ce d'autant plus fortement dans une société mondialisée, numérique. Vous indiquiez schématiquement, M. Aubert, que « qui paie commande ». Je n'entrerai pas dans ce débat, car en réalité ce n'est pas l'État, mais le contribuable qui paie. Cette légitimité n'est pas suffisante. En effet, en économie, la frontière se déplace en permanence et la démonstration effectuée à l'instant par M. Clatz montre que la société ne connaît pas, dans ce domaine, de frontières, ni les contraintes de l'État. Prenons l'exemple des tests ADN, encadrés en France par une loi et des règles claires, qui s'imposent à nous : ce cadre est parfaitement contrebattu par la réalité d'une commercialisation de tests ADN dans des conditions qui font que le citoyen échappe à l'autorité de la loi. Traditionnellement, l'image du contrevenant à la loi était celle du contrebandier avec son sac de victuailles, évitant les gabelous. Cette vision est anachronique. Aujourd'hui, l'outil du contrevenant est le « clic » d'achat sur internet. Ceci rejoint d'ailleurs le problème de la fiscalisation des GAFA pour des prestations réalisées dans d'autres domaines et montre la limite de l'action de l'État. Je pense que votre approche est indispensable pour les parlementaires que nous sommes. Ne rien faire serait priver nos compatriotes d'un droit, d'une aspiration légitime à la santé ; mais agir de façon trop contrainte entraînerait cette évasion par la société numérique.

Pour répondre à mon collègue et ami Bruno Sido, je pense en effet que nous n'avons pas, aujourd'hui, besoin de connaître les noms des personnes auxquelles correspondent les données. Il m'apparaît toutefois qu'un jour viendra nécessairement où quelqu'un se dira que le fait de connaître les noms permettrait de générer une valeur ajoutée, en développant une activité rendant service et dont la contrepartie serait un résultat économique. Le mécénat n'est pas le moteur principal de nos sociétés sur le plan mondial et les promoteurs agissent en effet généralement avec l'espérance du profit. Il n'y a pas de nécessité scientifique à connaître l'identité des personnes, mais une nécessité de croiser des fichiers, donc de savoir de qui l'on parle, surtout si l'on introduit, comme le suggère M. Raymond, les données de la vie réelle. Je connais un peu le cas des mineurs de charbon. Il existe des mines avec ou sans silicose. Par conséquent, connaître le contexte et les gens peut être utile. Vous dites « qui paie commande » ; or ce sont les assureurs qui paient et essaient de ce fait de connaître les populations à risque, ce qui implique de descendre vers la connaissance physique de l'individu. La question est donc ouverte aujourd'hui. Cette table ronde est indispensable pour en débattre et le débat parlementaire sera éclairant ; mais l'affaire n'est pas aisée.

L'État, depuis un siècle environ, a toujours cherché des organismes extérieurs, afin de pouvoir coopérer avec des partenaires. Nous avons connu par exemple la génération des offices, dans les années 1930, celle des commissariats, des délégations, des agences, puis des commissions nationales et des autorités indépendantes. La SAS est une formule en réalité assez ambiguë : en effet, dans une société capitaliste, l'important réside dans les capitaux. Or je ne vois pas là les choses très clairement. Je pense en revanche qu'il faut que l'État accepte d'avoir l'attitude la plus ouverte et la plus attentive. On compte des réussites ; la CNIL en est une, car elle s'est imposée comme un acteur de régulation du système public. Peut-être d'ailleurs devrait-elle jouer un rôle plus important dans la régulation de ces données. Il est absolument certain que nous ne ferons pas un système national qui se pense hermétique et serait indifférent à la réalité internationale. Peut-être manque-t-il dans cette table ronde un éclairage sur ce qui se fait ailleurs, afin de savoir comment d'autres pays, en Europe ou ailleurs, envisagent de progresser dans cette direction. Il ne me semble pas réaliste de penser que nous règlerons ce problème en ne le considérant qu'au niveau franco-français et étato-étatique. Nous avons besoin des partenaires privés. Les patients le demanderont.

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