Intervention de Bernard Nordlinger

Réunion du jeudi 21 février 2019 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bernard Nordlinger, chirurgien oncologue, Hôpital Ambroise Paré, membre de l'Académie nationale de médecine :

Merci de m'avoir invité.

L'approche que je vais vous présenter est celle d'un clinicien. Je suis chirurgien cancérologue et arrive donc au bout de la chaîne pour appliquer, de manière parfois irréversible, les options retenues préalablement du point de vue diagnostic et thérapeutique. J'ai aussi une expérience en matière de recherche clinique.

Mon exposé sera divisé en deux parties, correspondant à l'intitulé de cette table ronde. Il ira donc des données aux soins, puis des soins aux données.

Pour ce qui est de la partie allant des données aux soins, il faut entendre la notion de données au sens large du terme, c'est-à-dire incluant également les algorithmes. Il s'agira en fait d'analyser l'influence ou les applications de l'intelligence artificielle en matière de soins. Vous me pardonnerez l'aspect catalogue de ma présentation : il n'est en effet pas possible, en quelques minutes, d'entrer dans le détail. Je vais néanmoins essayer d'évoquer les principales applications, sachant que la santé est de toute évidence l'un des principaux domaines d'application de l'intelligence artificielle et de l'utilisation des données massives. Ce mouvement étant par ailleurs absolument irréversible, il va falloir faire avec.

Ceci pose avant tout un défi autour de la confiance. Il ne suffit pas en effet de disposer de réalisations techniques : encore faut-il que nos concitoyens aient confiance en ces dispositifs. Or un certain nombre de fantasmes s'expriment dans les médias : il se dit par exemple que l'intelligence artificielle ferait courir le risque que les ordinateurs ou les algorithmes prennent la main et réduisent le cerveau humain en esclavage. Si l'on veut que le recours à l'intelligence artificielle et aux données soit bien accepté par nos concitoyens, il faut expliquer clairement qu'il s'agit d'une façon rapide et logique d'effectuer des calculs et que l'objet n'est absolument pas de réduire en esclavage le cerveau humain.

Les données sont partout, dans des bases publiques et privées. La plupart d'entre elles sont d'ailleurs stockées dans des bases privées. Une estimation récente indique en outre qu'environ 30 % des données mondiales sont en Chine, 30 % aux États-Unis et les 60 % restants partagés entre les autres pays du monde. C'est une réalité. Il faut savoir par ailleurs que tous les géants de l'internet s'intéressent à la santé, qui est l'un des principaux domaines d'application.

Quelles sont les applications, pour un clinicien comme moi, de l'utilisation de ces données pour les soins ?

La première, qui intéresse le plus le public, consiste en une aide à l'établissement du diagnostic et à la définition du traitement. Il convient de considérer que ceci ne sera jamais qu'une aide pour le médecin et ne le remplacera pas. Ces outils permettront de bénéficier d'un médecin augmenté par les informations fournies, non d'avoir un médecin automatique. En effet, un ordinateur, un algorithme, n'ont pas les compétences d'un médecin, pas plus qu'ils n'ont le sens de l'empathie ou de la vie réelle d'un patient, c'est-à-dire de sa famille, de ses antécédents, de ses bonheurs et de ses malheurs. Ils ne disposent pas non plus, qualité essentielle pour un médecin, du bon sens. Pour l'instant, les aides au choix du diagnostic ne fonctionnent pas très bien. La plus connue en cancérologie est Watson, développée par IBM. Sans doute des progrès vont-ils encore être accomplis dans ce domaine. Des entreprises françaises ont par ailleurs développé des aides au choix des rendez-vous, qui fonctionnent bien.

Dans un avenir proche, des aides au choix du diagnostic seront accessibles au public afin, comme d'aucuns l'affirment, que chacun puisse être informé et prendre en charge sa santé. Il va falloir que les professionnels de santé s'habituent à faire avec. S'il est normal d'informer, il sera toutefois difficile de se passer d'un médecin. Peut-être savez-vous qu'en Chine, un petit robot passe des examens aussi bien que des étudiants en médecine. Il ne viendrait toutefois à personne l'idée de confier sa santé à un étudiant en médecine fraîchement émoulu ; mieux vaut attendre qu'il ait acquis un peu d'expérience. Un géant de l'internet, baptisé Baidu, propose par ailleurs, pour pallier le manque de généralistes, une application dans laquelle on entre ses informations et qui, à partir de leur analyse, propose un diagnostic. Bien entendu, ceci soulève de nombreux problèmes. En cas de difficulté, la responsabilité de l'acte doit rester au médecin, sauf bien entendu dans le cas d'un défaut avéré du dispositif.

Lorsque le médecin s'aidera d'un algorithme d'apprentissage, il sera en outre important que le mode de fonctionnement, de raisonnement soit explicité au patient, afin d'éviter le phénomène de « boîte noire ». Il est essentiel de pouvoir expliquer.

Parmi les autres applications, citons la télémédecine et le télédiagnostic, qui doivent être développés afin d'améliorer l'efficacité et l'efficience des consultations et proposer une solution au problème des déserts médicaux. Bien entendu, l'organisation territoriale des soins devra par ailleurs progressivement tenir compte de la numérisation.

Il est bien évident que les futurs médecins doivent être formés aux nouvelles technologies dans les facultés de médecine. Il s'agit là d'un vaste sujet.

De nombreuses spécialités médicales vont être impactées par le développement de l'intelligence artificielle, notamment celles faisant appel à des images. On pense par exemple à la radiologie : l'IA ne remplacera pas les radiologues, mais ces derniers devront apprendre à l'utiliser. Ceci impactera aussi les métiers d'anatomopathologiste, de dermatologue, de chirurgien ou d'ophtalmologue. David Gruson a évoqué précédemment une application approuvée par la FDA américaine pour le diagnostic de rétinopathie diabétique. Il existe par ailleurs, dans le domaine de la chirurgie, des télémanipulateurs, mais aussi des dispositifs de simulation. Les cancérologues et les psychiatres verront également leur pratique professionnelle modifiée par le développement de l'intelligence artificielle.

Les métiers non médicaux de l'hôpital seront aussi concernés par les nouvelles technologies. Certains vont disparaître, d'autres être créés, d'autres encore devoir s'adapter. Il me semble en tout cas que tous les métiers ayant un contact direct avec le patient ne devront pas être supprimés, mais évoluer pour appliquer les nouvelles méthodes.

Les plateformes et les tumorothèques, c'est-à-dire les bases de données permettant de corréler, de croiser les données cliniques d'un patient et de les apparier à sa maladie, doivent être développées. Il s'agit certainement de l'avenir de la recherche médicale, en tout cas en cancérologie, puisque les méthodes actuelles d'essais cliniques de phase 1, 2 et 3 s'essoufflent, en raison de leur coût considérable et du grand nombre de patients nécessaires pour les mener.

Sur le thème « des soins aux données », je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qui a déjà été dit. J'insisterai simplement sur la quasi impossibilité d'avoir une réglementation dure, rapidement dépassée par le progrès et qui risque de créer des inégalités d'accès aux soins, certains patients se rendant à l'étranger pour bénéficier de technologies indisponibles en France, ainsi que l'a expliqué David Gruson.

Il est par ailleurs important d'uniformiser les langages. Au sein de l'Assistance publique par exemple, certains hôpitaux ne parlent pas le même langage informatique.

Il faudrait également que le dossier médical partagé informatisé et accessible aux patients entre en application.

Il m'a, pour terminer, été demandé d'évoquer brièvement la cohorte Constance. Il s'agit d'une application pratique du SNIIRAM, qui a pour l'instant permis d'inclure 170 000 sujets volontaires, avec leur accord. Ces personnes sont suivies prospectivement par des interrogatoires et des examens, complétés par les données du SNIIRAM. L'intérêt en est évident pour mener à l'avenir des études épidémiologiques et de santé publique.

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