Intervention de Rémy Choquet

Réunion du jeudi 21 février 2019 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Rémy Choquet, directeur de l'innovation d'Orange healthcare, chercheur associé au laboratoire d'informatique médicale LIMICS (U1142) de l'INSERM :

J'ai pendant longtemps travaillé dans le secteur public et y poursuit encore aujourd'hui des activités de recherche. J'ai géré des données de santé dans les maladies rares pour le compte de l'Etat pendant quelques années, avant de rejoindre le secteur de l'industrie privée.

Il existe plusieurs positionnements possibles. J'observe par exemple chez Orange, qui est une grande entreprise française du numérique, un positionnement, qui peut différer de celui d'autres structures, consistant à ne jamais considérer les données de santé comme un objet de valorisation pour la société, mais comme un objet à partir duquel on va accompagner le secteur de la santé dans le développement d'une certaine industrialisation des dispositifs mis en place dans ce domaine.

Les données de santé sont des éléments susceptibles d'avoir un impact populationnel etou individuel, dans un processus de santé. Evidemment, ces deux visions ne se confondent pas et ne sont pas nouvelles. Des cohortes ont ainsi été mises en place. La France se situe toutefois dans ce domaine bien en-deçà de ce qui a pu être élaboré dans d'autres pays, faute d'investissements suffisants. Il n'est pas question aujourd'hui, me semble-t-il, de résoudre ce problème avec des données médico-administratives, puisque la précision et la définition des données nécessaires pour faire avancer la science sont beaucoup plus fines et de nature totalement différente de celles que contiennent les grandes bases de données médico-administratives.

La deuxième question est de savoir quelle valeur peuvent avoir les données de santé cliniques collectées lors des processus de prise en charge à l'hôpital ou par les différents professionnels de santé, dans l'optique d'une réutilisation soit pour des décisions populationnelles, soit pour des décisions cliniques précises. Cette question reste ouverte dans beaucoup de secteurs. Je pense qu'il est important d'y réfléchir globalement et de prioriser les éléments pour lesquels l'investissement public permettra de faire avancer la science d'une part, les pratiques d'autre part.

Nous répondons, chez Orange, à des appels d'offres orientés vers les hôpitaux et les collectivités territoriales, afin de mettre en place en leur sein des dispositifs numériques. Le secteur de la santé est en transformation permanente et se numérise progressivement. Il existe ainsi une corrélation directe entre la vitesse à laquelle cette numérisation intervient dans le secteur et le retour sur investissement que vont permettre les outils numériques mis à sa disposition. La dernière brique du retour sur investissement est l'analyse, la capacité qu'ont les professionnels de santé, mais aussi les directeurs d'hôpitaux, les autorités sanitaires et les pouvoirs publics au sens large à prendre les bonnes décisions grâce aux données générées.

Orange a choisi de se positionner dans ce champ en procédant au rachat de la société française Enovacom, qui distribue un entrepôt de données médicales développé au CHU de Rennes sur six ou sept hôpitaux français. L'idée est vraiment de pouvoir équiper les professionnels de santé, les hôpitaux, avec des outils leur permettant de mieux capitaliser sur ces données. Evidemment, certains enjeux dépassent le simple problème de l'hôpital ; mais l'hôpital est un maillon de notre point de vue assez important, car il est producteur de données. Même si l'on installe des cadres techniques, de l'interopérabilité, des logiciels similaires, l'interprétation d'une donnée de santé à l'extérieur de l'hôpital et du cercle des gens qui ont produit ces données peut être tout à fait différente. Il ne faut donc pas négliger l'investissement à mettre en place dans les hôpitaux, pour que toute la chaîne de valeur autour des données de santé puisse être abordée.

Les données ont une valeur, à plusieurs niveaux et pour divers types d'acteurs. Celle-ci est difficilement modélisable. Néanmoins, in fine, qu'il s'agisse de surveillance épidémiologique, de diagnostic, de thérapeutique ou d'efficience du système de santé, elle revient toujours vers le patient et la capacité du système, c'est-à-dire de l'offre de soin, de répondre à la demande au meilleur rapport coût – efficacité possible. Le sujet me semble être véritablement là. On parle beaucoup, à l'échelle de l'hôpital, d'aide à la décision médicale. On observe toutefois qu'en 2017 par exemple, 25 000 publications scientifiques traitaient de deep learning. Nous sommes à un moment où l'on essaie de construire les outils de demain. Une très belle review d'Eric Topol publiée dans Nature en décembre 2018 et reprenant le sujet de l'aide à la décision médicale au sein des spécialités mettait en avant un probable effet de mode, mais alertait aussi sur le fait qu'il devait y avoir un effet clinique. Or ce dernier n'est aujourd'hui pas toujours mesuré ou tout du moins publié. Les publications font souvent apparaître de belles courbes montrant qu'un algorithme peut détecter quelque chose, mais in fine l'efficacité et le réel avantage cliniques que ceci peut produire ne sont pas toujours corrélés. Cet aspect mérite selon moi d'être regardé, non pour contrôler l'innovation et l'investissement réalisé dans ce domaine, qu'il faut encourager, mais pour s'assurer que l'impact est réel et mesuré. Apple a par exemple déployé une montre permettant de détecter notamment les cas de fibrillation atriale, donc une pathologie cardiaque éventuelle, avec une précision assez bonne en population générale. Comme souvent, l'algorithme a été conçu pour être très précis dans la détection, quitte à détecter de faux positifs. Or ceci a un impact sur le système de soin, dans la mesure où il est aujourd'hui parfois difficile d'obtenir un rendez-vous de cardiologie. La mise sur le marché de dispositifs de ce type peut ainsi avoir un impact tout à fait pertinent à l'échelle individuelle, mais stressant pour le système de soin dans son ensemble. Je pense que ces sujets doivent être regardés avec attention.

Le NHS a publié cette semaine des recommandations relatives à la mise en place de bonnes pratiques dans la création de technologies basées sur des données de santé. Ce n'est pas de la loi narrative contraignante, mais de la soft law, qui part d'un principe assez sain consistant à considérer que lorsque l'on veut créer quelque chose à partir de telles données, il faut partir du besoin de l'utilisateur et voir dans quelle mesure l'utilisation des données pourrait permettre d'y répondre et quelles technologies développer, dans le respect des bonnes pratiques et des lois régissant ce type d'activité. Je pense que cette recommandation serait à examiner afin éventuellement de s'en inspirer en France pour guider le développement de ces technologies.

Les opérateurs du soin doivent par ailleurs pouvoir prendre en mains les technologies et pas simplement être en capacité de les utiliser. Il faut leur donner les moyens de développer éventuellement eux-mêmes un certain nombre d'algorithmes et de les partager. Si l'on peut entendre la difficulté de partager des données, en revanche le partage des algorithmes, des expériences ne devrait poser aucun problème. Ceci permettrait par exemple de ne pas avoir à développer dans un hôpital en France un algorithme pour les besoins de la recherche, alors même qu'un autre établissement a déjà mis en place un algorithme susceptible de répondre à ce besoin. Il est très important de favoriser le partage et de permettre ainsi au plus grand nombre de profiter le plus vite possible des algorithmes développés grâce à l'argent public.

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