Intervention de Amiral Jean-Philippe Rolland

Réunion du mardi 12 mars 2019 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Jean-Philippe Rolland :

…ou en Méditerranée, effectivement.

Pour ce qui est des patrouilleurs outre-mer, la manoeuvre est déjà bien engagée, et c'est plutôt pour les patrouilleurs métropolitains – les successeurs des avisos – qu'il faudra attendre 2025 pour les premières livraisons, ce qui constitue une difficulté majeure. En effet, si l'action de l'état-major de la marine a permis de faire prendre rapidement des décisions radicales dans le dossier de l'outre-mer – conserver ou remplacer les P400 néocalédoniens, par exemple –, il n'en est pas allé de même pour les patrouilleurs de haute mer, ces ex-avisos que l'on maintient à bout de bras et pour lesquels il a finalement été décidé de coller au programme de désarmement. Comme vous le savez, nous avons désarmé le LV Lavallée et le Commandant L'Herminier, une décision douloureuse mais nécessaire, car le désarmement des bateaux anciens nous permet de mieux entretenir le reste de la flotte, notamment en recyclant le matériel récupéré sur les bâtiments démantelés. Outre-mer, c'est une autre logique qui a prévalu : il a été jugé préférable de prolonger les P400 plutôt que de passer à une logique d'affrètement – qui a certainement été étudiée par l'état-major, mais j'avoue ne pas avoir été saisi de ce dossier.

Monsieur Larsonneur, vous m'avez interrogé sur les enjeux du déploiement du GAN. Il est clair que ce déploiement a de très nombreux enjeux politiques : vous avez cité les grands exercices que nous allons conduire conjointement avec l'Égypte d'une part, avec l'Inde d'autre part, mais nous allons également conduire avec d'autres pays des exercices d'une visibilité un peu moindre, mais tout aussi importants – je pense à l'Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unis, au Japon ou encore à l'Australie.

Le partenariat stratégique que nous avons établi avec les Australiens, concrétisé par le projet de construction de sous-marins Shortfin Barracuda, avait été nourri précédemment par l'incorporation d'une frégate australienne dans le groupe aéronaval avant la période de l'arrêt technique majeur. Nous montrons désormais que nous sommes crédibles dans la durée, ce qui a forcément un intérêt politique venant s'ajouter à celui du plan strictement opérationnel. Sans trahir de secret, je souligne que l'escale du Charles de Gaulle à Singapour coïncidera avec le Shangri-La Dialogue, et que les autorités pourraient se saisir de cette occasion pour faire porter la voix de la France en zone Indo-Pacifique, évidemment très intéressante.

Vous m'avez d'ailleurs également demandé jusqu'où nous pourrions aller dans notre partenariat avec la Malaisie. Bien sûr, nous avons intérêt à resserrer les liens avec tous les pays qui sont nos partenaires, et notre coopération en matière de sous-marins se complète souvent de la fourniture de bateaux de surface – je pense aux navires Gowind équipant aujourd'hui la Malaisie – ou d'avions – des discussions sont en cours au sujet du Rafale.

Si nous avons de nombreux échanges avec la Malaisie, je dirai que le point d'appui dans cette région pour le groupe aéronaval est plutôt à Singapour, où le Charles de Gaulle a fait sa première escale en 2002, où Naval Group dispose d'une antenne pour l'entretien de bâtiments de surface depuis qu'il a vendu des frégates à ce pays, et où des actions de coopération technologique sont également en cours dans de très nombreux domaines.

Enfin, vous avez évoqué les zones où nous pourrions craindre des dénis d'accès. Je dirai que nous ne sommes pas inquiets en ce qui concerne le golfe de Suez. Nous sommes en revanche très attentifs à Bab-el-Mandeb, car c'est un détroit assez long et comprenant plusieurs îles, où des menaces se sont déjà exprimées sous la forme de drones-suicide de surface ou de missiles anti-navire, mis en oeuvre par des milices locales. Cela dit, on ne peut parler de déni d'accès dans ce cas de figure : on est loin, par exemple, de la menace sous-marine à laquelle nous avons été confrontés en Adriatique, ou de la menace que peuvent représenter les missiles que l'Union soviétique avait vendus à de très nombreux pays, nous obligeant à organiser nos défenses en conséquence. En tout état de cause, le déni d'accès résulte toujours d'une volonté politique, et on ne peut employer cette expression pour décrire la situation à Bab-el-Mandeb – mais nous restons évidemment humbles et vigilants à chaque fois que nous devons préparer un franchissement.

Monsieur Lainé, vous m'avez interrogé au sujet de la propulsion du futur porte-avions, ce qui représente une question majeure. Si on raisonne dans la perspective de 2080, il me paraît difficile de contester le besoin de mettre en l'air des moyens de nature à nous permettre de tirer parti de la troisième dimension en mer – que ce soit pour agir vers la terre ou pour acquérir une forme de supériorité locale. Durable ou pas – cela dépend des zones concernées –, la maîtrise des espaces aéromaritimes ne sera jamais permanente : nous sommes conscients du fait que cet objectif est hors de portée compte tenu de nos ressources. En revanche, il faut pouvoir comprendre, connaître et agir lorsque c'est nécessaire.

De ce point de vue, en ma qualité d'ancien commandant du Charles de Gaulle, je dirai que la propulsion nucléaire présente des avantages opérationnels majeurs. Le premier avantage est celui de l'autonomie, car le carburant qui n'est pas utilisé pour pousser le bateau peut l'être pour faire voler les avions : vous avez donc la capacité de mettre en oeuvre plus d'avions, plus longtemps. De plus, l'absence de soutes à carburant laisse une place libre, qui peut être occupée par des soutes à munitions plus importantes. Cette capacité, conjuguée à la surface du pont d'envol, contribue à donner sa puissance à l'outil qu'est le porte-avions.

Le second avantage est celui de la fiabilité. Les exigences de sûreté dans le domaine nucléaire contribuent très directement à la fiabilité de l'appareil propulsif puisque nous sommes obligés, par conception, de prévoir des modes dégradés, des modes de secours, des redondances, bref, différents moyens de faire face à tel ou tel aléa – par exemple la défaillance d'une pompe ou d'un filtre. Une fois que le porte-avions a atteint son régime de croisière, il est d'une fiabilité remarquable. Ayant eu l'honneur de commander le Charles de Gaulle lors du déploiement de 2010-2011 en Afghanistan puis en Libye, où nous avons navigué neuf mois sur douze, je peux vous dire que le bâtiment était une véritable horloge, ce qui est très précieux pour l'équipage, mais aussi pour le commandement, qui peut ainsi se concentrer sur les aspects opérationnels et humains.

Pour ce qui est des contraintes, il faut préciser que la présence d'installations nucléaires implique une plus grande rigidité dans le calendrier de maintenance, avec notamment un arrêt technique majeur de dix-huit mois tous les dix ans. La durée réelle d'indisponibilité est de deux ans, car il faut compter six mois supplémentaires pour la remontée en puissance du bateau et le réentraînement, ce qui signifie qu'un bâtiment à propulsion nucléaire n'est jamais disponible qu'à 85 %, c'est-à-dire en dehors de ses périodes d'entretien majeur.

Cela dit, en tant qu'exploitant opérationnel, je considère que les avantages opérationnels l'emportent sur le coût pour les équipages et pour le calendrier du maintien en condition opérationnelle (MCO) – je ne parle pas de l'aspect financier, c'est-à-dire du coût global de possession, car je ne possède pas les éléments relatifs à cet aspect, évoqué dans le cadre d'études en cours à Paris et auxquelles je ne suis associé que de loin.

Au-delà du niveau opérationnel auquel je me place, je dirai qu'il y a, à l'échelle de la marine, des avantages à pouvoir disposer de deux chaufferies nucléaires sur un porte-avions – voire sur deux – en plus des réacteurs des sous-marins nucléaires. Cela nous permet d'atteindre plus facilement une taille critique en termes d'acquisition de compétences : les atomiciens sont rares et, plus on en a, plus on est capable de faire face aux appels d'air que peuvent produire les grands acteurs du nucléaire civil. Par ailleurs, cela implique que nous fassions appel à des bureaux d'études que nous contribuons ainsi à faire vivre, ce qui est plus cohérent pour la filière nucléaire. En la matière, nous sommes situés à des niveaux de politique industrielle engageant l'ensemble de notre pays et, in fine, la décision à prendre sera de nature politique.

Le Cassard, au sujet duquel Mme Gipson m'a posé une question, va effectivement rentrer jeudi de sa dernière mission opérationnelle, avant son retrait du service actif prévu pour le printemps. Il a été décidé d'avancer ce retrait de service pour permettre la manoeuvre de double équipage. En effet, pour disposer d'un double équipage sur les FREMM, nous devons trouver des marges, ce qui justifie le retrait anticipé du Cassard, mais aussi celui du Primauguet à Brest dès cette année – il y en aura d'autres ensuite.

Il ne sera pas trop difficile aux marins concernés de passer du Cassard au Charles de Gaulle. Je parle en connaissance de cause, puisque j'ai eu l'honneur de servir sur le Jean Bart, qui est le sistership du Cassard, ce qui me permet de vous dire que ce sont deux bâtiments dont les principes fondateurs organisant le système de direction de combat, l'intégration des systèmes et le travail au central opérations sont très proches. Certes, le système de direction de combat du Charles de Gaulle a été modernisé lors de son dernier arrêt technique majeur, mais les grands principes algorithmiques demeurent inchangés, ce qui fait que les opérationnels du Cassard s'y adapteront assez facilement. Peut-être les choses seront-elles un peu plus compliquées pour les mécaniciens ou les personnels mettant en oeuvre les systèmes de moyens de communication, eux aussi très profondément modernisés, mais les stages d'adaptation à l'emploi permettent en quelques semaines de mettre un marin à niveau lorsqu'on estime que la marche à franchir le justifie, et je suis tout à fait confiant sur le passage des marins du Cassard vers le Charles de Gaulle.

Certains marins du Cassard constitueront aussi cet été le premier noyau d'équipage de la future Alsace, une FREMM à compétence de défense aérienne – comme l'était le Cassard…

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