Je remercie la commission de l'intérêt qu'elle témoigne au rapport que j'ai eu l'honneur de présenter devant elle.
Monsieur le président, je n'ai pas en mémoire tous les engagements de la loi de programmation militaire qui peuvent se rapporter à notre sujet, mais la Cour est en train de contrôler un programme qui se déroule raisonnablement bien et qui, au moins pour le transport stratégique de nos militaires, il peut alléger la contrainte. Il s'agit de l'Airbus 330 MRTT. À double usage, il sert à la fois au ravitaillement en vol et au transport de passagers, le cas échéant au transport de fret, ce qui est de nature à alléger la contrainte.
Je ne peux pas dire que l'Airbus A400M soit un avion de transport stratégique : il a une vocation un peu intermédiaire mais c'est un moyen propre qui peut également alléger certaines des contraintes aériennes que j'ai évoquées.
Je n'ai pas une mémoire assez précise des programmes d'hélicoptères de transport intra-théâtre, qui souffrent d'une lacune capacitaire importante ; c'est un sujet qui réclame de l'attention dans le contexte d'un théâtre élargi comme celui de Barkhane. Voilà ce que je peux dire en réponse à votre question : dans certains domaines, des allégements de contraintes se profilent, contrairement à d'autres.
Monsieur le rapporteur général, la doctrine relative aux externalisations ne vise pas en priorité les externalisations opérationnelles destinées à faciliter l'exécution des missions par nos troupes. Lorsque nous avons étudié le sujet dans son ensemble en 2010, on comptait 1,9 milliard d'euros d'externalisations opérationnelles. La doctrine vise la restauration, le logement, un certain nombre de services offerts à nos forces, autrefois gérés en régie et aujourd'hui externalisés. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le principe consistant à « être assuré dans la durée de gains économiques et budgétaires significatifs évalués par une méthode rigoureuse ».
Pour certaines des prestations de théâtre auxquelles nous venons de nous intéresser, le calcul n'est simplement pas possible ou alors de façon peu fine. Par exemple, l'armée a à disposition, sur une base aérienne rudimentaire, quelque part dans le Sahel, le MI-8, un hélicoptère lourd de transport dont la France n'a pas vraiment l'équivalent, et un équipage prêt à effectuer sa mission 24 heures sur 24. Le prestataire est moins cher qu'un moyen propre avec tout ce que cela suppose en termes de rotations, de maintien en condition opérationnelle, de présence des équipages, etc. Pour ce type de prestations, le calcul fin, la comptabilité analytique seraient utiles mais, en l'occurrence, les comparaisons économiques sont très rudimentaires. En revanche, pour la grande majorité des prestations pour lesquelles ce principe doit trouver à s'appliquer sans exception, nous recommandons, partout où c'est possible, que cette comparaison économique ait lieu – et d'ailleurs elle a lieu.
L'Économat des armées met en concurrence des fournisseurs d'accès pour la téléphonie et pour l'accès internet de nos forces. Les recommandations générales incitent à se livrer à ce calcul, mais pour certaines prestations nous ne sommes pas tout à fait en mesure de le recommander, en tout cas pas au même degré que pour le reste.
Madame Cattelot, vous demandez si le niveau de concurrence est suffisant. Là encore, pour un théâtre difficile comme l'est celui de Barkhane, les fournisseurs locaux sont en très faible nombre. Les besoins de la force supposent la mise à disposition d'aéronefs de conception militaire qui se chargent par l'arrière. Très peu de prestataires sont en mesure d'offrir ce type de service.
Les solutions européennes ou internationales mutualisées constituent-elles une alternative ? Nous pouvons penser à deux solutions. La première est l'existence d'une agence de l'OTAN qui rend des services d'affrètement. Ils sont théoriquement mutualisés. Il s'agit d'un prestataire de services d'affrètement, auquel nous avons d'ailleurs recours dans le cadre de l'externalisation du transport stratégique. Cela fonctionne.
Une seconde ressource possible repose sur les accords intra-européens qui prévoient, entre pays européens, l'exécution de certaines missions au profit d'autres pays. Il arrive même que les pays qui fournissent ces missions ne participent pas aux opérations. C'est un moyen de mutualisation qui existe d'ores et déjà mais qui échappe au champ du contrôle. Ce sont des échanges de services, il ne s'agit pas de l'achat ou de la fourniture d'un service rémunéré.
Au titre des avions de grosse capacité à long rayon d'action, nous disposons de l'Antonov 124 et de plus ou moins un fournisseur, puisque les Russes se sont retirés du marché. Il s'agit d'un fournisseur final, celui qui est en mesure de fournir l'avion, non d'un affréteur.
Quant aux États-Unis, ils ont mis en place une organisation extrêmement centralisée et sophistiquée des systèmes de soutien. Je ne sais pas si nous avons eu raison de le mentionner dans le rapport dans la mesure où le volume des externalisations américaines en Irak et en Afghanistan, pour la période 2006-2004, représente 297 milliards de dollars. Nous pouvons essayer de répliquer certaines des caractéristiques de l'organisation. En France, il me paraît étonnant que les pièces de marché ne soient pas saisies informatiquement sur le théâtre. La nécessité de les ressaisir manuellement justifierait la mise en place de procédures de remontée à la fois comptables et administratives centralisées, offrant une vision plus globale de nos opérations sur le théâtre.
Monsieur le rapporteur spécial, je veux d'emblée dissiper un malentendu, à savoir l'idée que l'on ne nous aurait pas facilité la mission. Nous avons obtenu le rapport du CGA dès que nous le lui avons demandé. Nous avons été un peu freinés, parce que nous avons eu quelques difficultés à obtenir les pièces de dépenses sur lesquelles il se fondait, en raison, je pense, d'une sorte de passage de relais bureaucratique mal géré. Après avoir établi leur rapport, les agents du CGA ont eu des difficultés à les retrouver, mais je ne crois pas que cela relevait d'une quelconque mauvaise volonté de leur part. Le rapport était classifié et nous avons dû reconstituer nous-mêmes les informations qui y figuraient pour en faire état devant votre commission. C'est la règle du jeu, cela nous a demandé un peu de temps.
Pourquoi le rapport n'a-t-il pas été déclassifié, alors même que les informations qu'il contenait ne revêtaient pas un caractère très confidentiel ? Je vous laisse poser la question au ministère des armées. Je n'ai pas la réponse ; je pense plutôt à un excès de zèle bureaucratique plutôt qu'à une mauvaise volonté. D'une façon générale, les armées nous ont aidés, par exemple, à reconstituer les niveaux de dépenses externalisées dans le cadre des OPEX.
Le système Chorus n'est pas fait pour restituer une catégorie de dépenses comme celle d'une opération externalisée en OPEX. Le système Chorus, « lolfien » dans son essence, identifie les dépenses par destination. Ces dépenses externalisées sont rattachées à des marchés qui peuvent être à usage principal national avant de servir à un usage externalisé. Je laisserai Olivier Chatelain expliquer ce point de façon plus compétente que moi.
Des constats ont déjà été dressés ; dès lors, vous vous interrogez sur les progrès. Nous avons détecté en 2016 des faits qui nous paraissaient présomptifs d'une infraction pénale. Par « anomalies », nous entendons des écarts par rapport à la réglementation « volontaire », les marchés infra-théâtre n'étant pas soumis au code des marchés mis en place par le ministère. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas usé du terme « irrégularités ». Nous réfléchissons par référence à un texte dont la valeur normative est incertaine, à des circonstances, en plus d'urgences que l'on apprécie mal à distance.
Je relèverai une anomalie qui est typique : sur les six ou sept documents fondamentaux attestant de la qualification des appareils et des équipages, il en manquait deux. Pour la Cour des comptes, un mot est un mot. Si nous écrivons « irrégularités », c'est qu'il y a une présomption d'irrégularité ; le terme d' « anomalie » répond à une norme plus molle. La situation n'est pas la même que celle que nous avions relevée en 2016. Nous observons, dans le détail, une qualité de suivi et d'exécution des marchés qui s'est améliorée sur le théâtre. Certaines dispositions ont été prises à cet effet, le contrôle interne a été renforcé. Il nous paraît que la stabilité et la compétence des acheteurs sur le théâtre restent un sujet auquel il faut s'intéresser.
Le dernier point, non des moindres, est celui de la sécurité de l'information et de la confidentialité, que j'ai omis de mentionner dans ma présentation. Aux quatre critères de 2008 de l'état-major des armées, nous proposons d'ajouter la sécurité de l'information et sa confidentialité. Il est anormal que, pour des forces en opérations, le manifeste soit nominatif. Cette façon de faire peut compromettre la sécurité des personnels. À cet égard, nous vous suivons totalement. Le respect des données et des informations est essentiel dans un contexte d'opérations actives et dangereuses.
Madame Goulet, monsieur le rapporteur spécial, vos questions ont convergé sur l'idée du recours à l'externalisation au regard de notre autonomie stratégique. Quelles sont les sources commerciales ? Pouvons-nous vraiment leur faire confiance ? Comment procède-t-on pour vérifier que nous avons des alternatives ? En réalité, l'absence d'autonomie, c'est de ne pas avoir le choix – telle est la définition même de l'absence d'autonomie. Si je laisse de côté la question du transport aérien, je crois, toutefois, que, pour le reste, il y a mise en concurrence et que la gamme de fournisseurs n'est pas négligeable. L'Économat des armées est un cadre de mise en concurrence, il n'est pas un fournisseur unique. Je laisserai Lucie Roesch préciser.
Vous avez identifié un problème de longue date dont votre commission est informée, à savoir le problème du transport aérien, qu'il soit stratégique ou intra-théâtre. À cet égard, nous suggérons d'ouvrir les options que, je n'ose pas dire par principe, les armées ont choisi de ne pas étudier jusqu'à présent. J'en ai mentionné deux : l'achat d'appareils d'occasion ou la location. À la différence de l'affrètement, les armées louent un aéronef d'État avec toutes les capacités d'approche des combats, d'utilisation en mode plus actif.
Monsieur Bricout, oui, nous jugeons que la doctrine de l'état-major est de bonne qualité. Il n'en reste pas moins que, sur la réversibilité ou la dépendance par rapport à un seul fournisseur, elle présente des limites. La doctrine se heurte aux faits. Encore une fois, pour certains types très particuliers de prestations pour lesquels il n'y a pas de moyens propres et peut-être deux fournisseurs – et encore ! –, nous sommes confrontés à une forme d'impossibilité d'appliquer la doctrine. Si la doctrine est bonne, les faits ne permettent pas de l'appliquer dans l'état actuel des moyens propres. C'est ce qui nous conduit à écrire dans le rapport que, parmi les anomalies relevées, on note une tendance naturelle a reconduire le titulaire du marché pour une raison qui tient aussi à la difficulté des alternatives.
Monsieur Labaronne, de façon très juste, vous avez insisté sur des éléments du rapport : la traçabilité ; la qualité de l'archivage ; le besoin de recourir, de préférence de façon dématérialisée, aux marchés et aux pièces de marché ; la qualité du contrôle interne. Là encore, il faut se placer dans un contexte où le contrôle interne des forces armées est d'introduction récente au ministère des armées. Bien sûr, je n'excuse pas les limites que nous avons relevées mais je maintiens qu'il y a quand même eu, en particulier s'agissant des OPEX, de légers progrès et même des progrès assez déterminants.
Je laisse mes collègues répondre sur l'aspect comptable des limites de Chorus, la façon de l'utiliser ainsi que sur le contrôle de gestion. M. Chatelain sera mieux à même de vous répondre et Mme Roesch vous dira un mot de l'Économat des armées, dans la mesure où elle a contrôlé les prestations.