Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du mercredi 13 mars 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement :

Le président Woerth m'interrogeait sur la place de Bpifrance dans les mouvements tectoniques autour de la Caisse des dépôts, avec une conséquence secondaire sur SFIL. Le paysage se clarifie avec l'opération concernant La Poste. La Caisse a désormais trois banques dans son périmètre d'intervention et de responsabilité : une banque commerciale au sens de la Fédération bancaire française, disons une banque banalisée, à savoir La Banque postale, et deux banques de développement, la BPI et la Banque des territoires. Leur clientèle est différente par nature. La BPI n'a pour clients que les entrepreneurs, et ne fait même pas de financement de projets. Les clients de la Banque des territoires sont les collectivités locales, les offices d'HLM et les sociétés d'économie mixte. On co-investit et on cofinance beaucoup de crédits avec La Banque postale, comme on le fait avec la BNP, le Crédit agricole, BPCE ou la Société générale. Nous traitons La Banque postale absolument comme n'importe quel autre banque sur le marché, en ayant désormais avec elle une sorte de cousinage favorable, rien de plus.

SFIL est une petite structure qui a plusieurs fonctions. Au départ, elle a surtout succédé à Dexia ; accessoirement, elle propose aux grandes banques françaises des refinancements à taux favorables sur des opérations de crédit export massives. La question va se poser dans les semestres qui viennent de savoir où repositionner cette petite équipe de huit personnes qui font du refinancement de crédits. Elle fait l'objet de discussions entre la direction générale du Trésor et la Caisse des dépôts ; elle n'est pas tranchée.

Pour ce qui est d'ADP, nous ne sommes absolument pas concernés, nous ne sommes pas actionnaires.

Le F2I, doté de 10 milliards d'euros, doit engendrer 250 millions de rendement par an, c'est-à-dire 2,5 %. Ce taux est garanti par les équipes du Trésor français à partir de calculs mathématiques faits sur le rendement stable que l'on peut atteindre compte tenu de l'évolution de la courbe des taux dans les années qui viennent et de ce qu'on peut anticiper des cycles économiques dans les trente ans. Ces calculs ont fait l'objet de nombreux débats : 2,5 % ? 2,6 % ? 2,7 % ? C'est le ministre des finances qui a arbitré à 2,5 %. Ces 250 millions d'euros font ensuite l'objet d'une répartition, et 80 millions d'euros environ sont confiés en gestion à la BPI, qui les transforme en une avance remboursable et en prêts à taux zéro, ce qui permet d'apporter 150 millions d'euros par an aux start-up françaises. Sur les 170 millions d'euros de rendement qui restent, un financement de 25 millions par programme va à ce qu'on a appelé les grands défis. C'est le Conseil de l'innovation – où sont représentés des entrepreneurs de la technologie française, ainsi que Bpifrance, l'Agence nationale de la recherche (ANR), plusieurs ministères dont celui des armées et celui de la transition écologique – qui définit ces grands défis – l'un a trait à l'informatique quantique, un autre aux protéines. Bpifrance et l'ANR sont opérateurs de ces grands défis.

Le prêt « Croissance TPE » est un sujet de satisfaction : on en a commercialisé plus de mille et il se développe à très grande vitesse. Il s'agit de petits prêts, mais l'encours est passé de 27 millions d'euros en 2017 à 44 millions en 2018, soit une croissance de 60 %, qui s'affirme encore depuis le début de l'année 2019. Il est disponible dans la France entière ou presque, c'est-à-dire douze régions sur treize. En effet, il est financé sur des fonds de garantie dotés par les conseils régionaux. L'État n'intervient pas puisqu'il n'y a pas de crédits inscrits au programme 134 pour financer ce genre d'initiative. Le prêt « Croissance TPE » peut aller jusqu'à 50 000 euros. Mais, pour répondre à M. de Courson, il est toujours consenti en cofinancement avec les banques, ce qui fait qu'une petite PME peut obtenir 100 000 euros de crédits.

Innovation très importante, nous lançons un nouveau prêt pour les TPE. C'est là, nous en sommes profondément convainus, que se trouve une partie majeure de l'énergie de l'économie française. Il n'y a donc pas de raison de ne pas offrir aux TPE toute la boîte à outils qu'on offre aux PME et aux ETI. Ces TPE, avec un, deux, trois salariés, c'est beaucoup de talent et parfois beaucoup de découragement. Il faut donc aller vers elles. Nous lançons le prêt « Flash TPE », de 10 000 euros sans garantie aucune sur le patrimoine du petit entrepreneur et même de l'auto-entrepreneur. Je pense qu'il va connaître un très grand succès. Dès lors que dans nos agences, sur le terrain, nous avons à peu près 1 200 salariés, cela ne suffira pas pour toucher 100 000 TPE. Nous allons donc commercialiser ce prêt par l'intermédiaire de partenariats bancaires, avec Arkéa en Bretagne et avec le groupe Caisse d'épargne en région Hauts-de-France. Surtout, nous allons utiliser une plateforme de commercialisation des prêts TPE de Bpifrance, dont nous avons confié le développement à une start-up française, United, en entrant à son capital. Là encore, l'encours global ne sera pas élevé, mais le nombre de bénéficiaires, si. Comme notre garantie, qui concerne à peu près 70 000 petits entrepreneurs, je pense que les prêts TPE sans garantie vont toucher des dizaines de milliers de ces entreprises dans la durée. Ce prêt TPE – valable donc même s'il n'y a qu'un salarié – permet de financer de l'informatique et tout ce qui est immatériel, il permet d'acheter des véhicules d'occasion que les banques ne prennent pas en collatéraux, il permet de financer du conseil et du développement. Pour me résumer, tout ce qui est proposé aux PME sera proposé aux TPE. Comme l'État ne participe pas au financment, il nous faut de nouveau faire le tour de France des régions. Cela prendra un an et je pense qu'alors, le prêt « Flash TPE » sera national.

Pour ce qui est de l'accompagnement des ETI et PME à l'international, il est vrai que c'était un peu le maquis. Le dispositif Team France Export a permis de clarifier les choses, et ce consortium entre Bpifrance, Business France et les chambres de commerce est accessible dans toutes les régions. Il y a un partage des tâches. Les dizaines de milliers de toutes petites structures qui se lancent pour la première fois à l'export relèvent des chambres de commerce et d'industrie (CCI), avec le soutien de Business France ; les entreprises un peu aguerries, Bpifrance les accompagne, avec les 50 salariés que Business France nous a délégués – et que nous payons – et qui sont dans nos 50 agences. Au fond, Business France a exporté sa ressource humaine vers les CCI pour les primo-exportateurs, et vers Bpifrance pour les PME qui exportent. Nous voulons les aider à se professionnaliser, car beaucoup exportent tantôt 10 %, tantôt 15 % de leur production, sans jamais atteindre le seuil, qui nous paraît nécessaire, de 50 %.

M. Giraud demandait combien de « licornes » nous avons pu engendrer en six ans. D'abord, il faut retenir que, dans le monde de la technologie, elles sont toutes internationales, nativement, sinon elles n'ont aucune chance. Sans avoir de chiffre exact, je dirai qu'il y en a plus d'une dizaine et surtout que leur nombre va augmenter de façon très significative dans les semestres à venir, car l'effet « boule de neige » que nous avons déclenché s'accélère. Déjà, on trouve de plus en plus de sociétés valorisées à plus d'un milliard d'euros dans le portefeuille de Bpifrance ou dans le portefeuille des fonds privés partenaires. Cela encore, monsieur de Courson, n'existerait pas si nous ne le financions pas – l'activité de fonds de fonds finance chaque année les activités de 300 d'entre eux pour 1 milliard d'euros. Sans Bpifrance, l'écosystème des fonds de capital-investissement français n'existe plus.

La conjoncture est aussi une question fondamentale pour nous, puisque chaque année nous présentons à notre gouvernance un plan stratégique sur des anticipations. Nous nous sommes toujours calés sur un scénario, peut-être parfaitement faux, qui est que le cycle se retourne l'année prochaine, en 2020. Ce scénario était fondé sur une anticipation d'augmentation des taux de la Federal Reserve Board américaine. Maintenant que l'augmentation a cessé, il est possible que ce scénario ne soit plus le bon. Mais aucun macro-économiste au monde ne peut dire jusqu'à quand ce cycle interminable, le plus long depuis la guerre, va continuer. Encore deux ans ? Dix ans ? Je ne sais pas.

Reste que, comme le montrent les chiffres pour 2018, le sous-jacent économique français n'est pas mauvais du tout. La demande est soutenue pour les crédits à l'investissement, énorme pour le crédit à l'innovation, les entrepreneurs ont le moral. Pendant la crise politique que nous avons connue, ils ont été très atteints par les attaques dont ils ont à nouveau fait l'objet sur le thème de la richesse, du capital et de la jalousie – nous en sortons. En tout cas, à la différence de l'hiver 2012-2013, ils n'ont pas posé le sac, ils ont continué de se développer, envers et contre tout, et nous les avons beaucoup aidés.

Mme Peyrol m'a interrogé sur la baisse de la garantie. Elle est minime, ce sont cinq cents entreprises de moins que l'année dernière. La raison en est le rationnement de la ressource budgétaire d'État sur le programme 134 : nous n'avons pas assez d'argent ; il nous a fallu augmenter les tarifs, ce qui, inévitablement, a freiné le volume. Je ne peux pas décliner la garantie par secteur, mais nous avons les données et nous vous les communiquerons. En revanche, je peux répondre à M. Barrot sur la différence entre la Nouvelle-Aquitaine et les Hauts-de-France dans la répartion de la garantie. C'est simplement que la demande en Nouvelle-Aquitaine est plus forte, et par demande il ne faut pas entendre seulement celle des entrepreneurs, mais aussi celle des banques, lesquelles, en dessous de 200 000 euros, ont accès automatiquement à cette garantie sur le système informatique de Bpifrance. Peut-être les réseaux bancaires de la Nouvelle-Aquitaine la demandent-ils moins. Sur le plan national, nos deux premiers partenaires sont le Crédit agricole et BPCE. Ils présentent beaucoup de dossiers, peut-être sont-ils moins présents dans les Hauts-de-France.

À ce propos, j'observe que ce type de garantie est partout, notamment en Europe, un très important produit d'intervention publique au service des crédits les plus risqués. Or, c'est en France que la garantie est la plus faible et la plus chère. Nous avons demandé à la communauté scientifique française de travailler sur nos bases de données nominatives des quatorze dernières années, pour mesurer la puissance de la garantie en termes de préservation et de création d'emplois – M. Barrot, qui était chercheur à l'époque, a réalisé cette étude, qui vient de sortir. Elle démontre que, pendant la dernière crise, le rôle contracyclique de la garantie française a été absolument massif. Nous continuerons donc de défendre le programme 134 coûte que coûte. Comme vous le savez, cette année il a été budgétisé à hauteur de 10 000 euros. De ce fait, c'est Bpifrance qui autofinance la garantie par des remontées de dividendes exceptionnels sur la base des résultats importants que nous réalisons sur nos opérations en fonds propres, et cela fait cinq ans que nous fonctionnons ainsi.

Sur la transition énergétique, Bpifrance est très active, à hauteur de 1,5 milliard d'euros de crédits par an, et nous faisons énormément d'opérations de fonds propres. Nous travaillons très bien avec l'ADEME et c'est bien avec l'ADEME qu'il faut travailler. Faut-il, comme le propose le rapport Canfin-Zaouati, créer une nouvelle institution pour travailler encore mieux ensemble ? Notre réponse est non. Si l'on veut créer un comité de plus, soit. Mais Arnaud Leroy et moi-même avons une excellente relation, de même qu'avec la Caisse des dépôts qui finance les infrastructures, sur pratiquement tous les dossiers. Nous faisons dans le concret, donc je voudrais être sûr de bien comprendre le problème qu'on cherche à résoudre...

Pour ce qui est du rapport de gestion, des indicateurs d'intervention et des éléments d'activité par territoire et par filière, nous publions chaque année en juin un rapport de gestion très complet. C'est une obligation légale, comme pour n'importe quelle entreprise. Vous avez celui pour 2017 ; celui pour 2018 n'est pas encore disponible. D'autre part, notre direction des études produit quantité d'informations qui sont à votre disposition, et que nous présentons au conseil national d'orientation où les parlementaires sont présents, ainsi que les syndicats professionnels et les entrepreneurs. Nous présentons également tous les ans les résultats de Bpifrance, par territoire, dans les comités régionaux d'orientation qui sont présidés par les présidents de conseils régionaux et les préfets. Enfin, nous publions chaque année un atlas par région des interventions de Bpifrance qui donne le détail de tous les produits par région et par métropole. Il est distribué assez largement et est à votre disposition.

Comment se répartissent nos actions entre territoires et métropoles ? Le financement à court terme se fait à 63 % hors métropoles ; le financement de la garantie, à 70 % hors métropoles ; les financements à moyen et long terme, les crédits à l'investissement – cela aussi répond un peu à la question de M. de Courson – à 62 % hors métropoles. Il n'y a que pour le capital-investissement que la part des métropoles atteint environ 50 % ; pour les aides à l'innovation, elle s'élève à 60 %, sans surprise, car les start-up sont souvent à côté des pôles universitaires. Nous menons donc bien une action territoriale qui correspond à la vision de notre rôle social en France.

Les coûts de fonctionnement figureront dans notre compte d'exploitation. Bpifrance publie chaque année son rapport d'activité à la fin du mois de janvier et son compte d'exploitation au courant du mois de mars. Je présenterai les comptes au conseil d'administration après-demain ; nous pourrons vous les communiquer ensuite, mais je peux déjà vous dire que Bpifrance demeure la banque la plus frugale du marché. Notre coefficient d'exploitation, c'est-à-dire le rapport entre charges et produit net bancaire, dans notre activité strictement bancaire, est encore inférieur à 50 % ; c'est de loin le coefficient plus bas du marché. Nous sommes très prudents ; nous discutons les enveloppes d'augmentations salariales avec nos partenaires : l'État, d'une part, la Caisse des dépôts, qui a ses propres enveloppes, d'autre part. En 2019, une augmentation, tout à fait correcte, de 2 % a résulté de la négociation annuelle obligatoire avec nos partenaires sociaux. Nous avons distribué la prime exceptionnelle ; elle a été de 500 euros pour les salaires inférieurs à 2 500 euros et de 250 euros pour les salaires compris entre 2 500 et 3 000 euros bruts. Ne soyez pas inquiets, la maison est gérée.

Nos critères d'attribution sont classiquement bancaires. Quand nous distribuons les aides à l'innovation, c'est pour le compte de l'État, et les critères d'attribution sont ceux de la direction générale des entreprises. Quand nous distribuons des programmes collaboratifs, c'est pour le compte du PIA, et les critères d'attribution sont ceux du PIA. Quand nous distribuons la garantie, c'est pour le compte de la direction générale du Trésor, et les critères d'attribution sont les siens. Et quand nous faisons crédit sur nos fonds propres, c'est nous qui décidons, selon l'adage « qui paye, commande ».

Nous sommes convaincus que la seule solution permettant de redresser la balance commerciale française, c'est l'industrie – et, compte tenu du retard que nous avons pris, il y faudra trente ans. Il faut accepter, comme les Chinois l'ont fait, de se dire que nous avons devant nous trente années de reconstruction, qui correspondent à peu près aux trente années de dégradation que nous avons, de facto, passivement acceptées, ou même, engendrées. Tout ce qui a conduit au déclin de l'industrie doit être inversé. Il faut retourner le gant – tous les gants : l'innovation, les charges sociales, le soutien aux entrepreneurs, la place de l'entrepreneur dans la société française et dans les territoires, celle du capital humain dans les régions... Alors, dans la longue durée et avec beaucoup d'innovations, nous aurons une chance de regagner des parts de marché perdues. Pour y parvenir, il faudra monter de très grosses usines en France, parce qu'une seule grosse usine exportant 95 % de sa production, comme le fait une usine de STMicroelectronics, d'Airbus ou de Sanofi, vaut une centaine de PME.

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