Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, rapporteur :

– C'est un sujet dont j'ai eu à connaître en tant que directeur de laboratoire. Il se traitait de façon fermée et quelque peu traumatisant pour la communauté scientifique, en raison d'une divergence entre la volonté des autorités chargées de la sécurité nationale d'éviter tout risque d'espionnage et la volonté des scientifiques de travailler dans un contexte ouvert, accueillant et international. Les représentants de la sécurité nationale estimaient qu'il leur appartenait de décider de ce qui était bon pour les scientifiques, tandis que ces derniers revendiquaient leur liberté d'organisation.

La première table ronde sur les menaces et les risques, confidentielle, a réuni les principaux responsables de la protection du potentiel scientifique et technique (PPST) de la nation ; secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) du ministère de l'intérieur et Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).

Les intervenants ont exposé les menaces et risques de captation de savoirs, savoir-faire et technologies – thésards espions, récupération de documents par exemple. Le dispositif des ZRR, au coeur de la PPST de la France, a été rappelé : accès physiques sécurisés, autorisation des personnels travaillant dans la zone après enquête, protection informatique, procédures de concertation entre les directeurs d'unité et les services chargés de la sécurité avec un collège d'experts et des sous-commissions thématiques. C'est un régime très restrictif, alors que les laboratoires scientifiques préfèreraient disposer d'outils de réponse à la menace.

La deuxième table ronde, ouverte à la presse, a réuni le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) adjoint des ministères de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI) et de l'éducation nationale et de la jeunesse (MENJ), et des chercheurs de plusieurs disciplines. Les responsables de laboratoires en sciences de la vie, agronomie et sciences de l'environnement et sciences pour l'ingénieur (mécanique), ont montré qu'ils avaient bien intégré le dispositif des ZRR. En revanche, leurs homologues des laboratoires de mathématiques, d'informatique et de physique ont exprimé de vives critiques à son encontre : délais d'autorisation des candidats, frais de protection physique et logicielle, surcoût administratif de gestion, insuffisance du dialogue avec les services chargés de la sécurité, incompréhension des décisions prises. Pour les seuls candidats étrangers, le délai moyen d'autorisation d'accès est de 34 jours et le taux de refus est de 3,8 %, contre respectivement 16 jours et 1 ‰1 pour les Français. En aparté, on nous a indiqué que certains pays, l'un d'entre eux en particulier, posaient de vrais problèmes.

Le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HDFS) adjoint qui participait à la table ronde a formulé trois propositions. : un « contrat PPST » avec les directeurs d'unité (DU) et les établissements, comportant des garanties en matière de concertation et d'échanges ; l'expérimentation d'une procédure simplifiée pour les avis sur demande d'accès, qui réduirait les délais de moitié ; un travail d'aménagement du dispositif réglementaire, par discipline.

C'est en mathématiques que la contestation des ZRR a été la plus violente, à tel point que les directeurs de laboratoire dans cette discipline ont envisagé une démission collective. L'un des objectifs de la table ronde était de mettre les parties en présence et de confronter leurs positions, pour parvenir ensuite à un éventuel accord.

En conséquence, je propose de conclure dans les termes qui suivent.

L'Office rappelle d'abord que, si les activités de recherche sensibles nécessitent une protection, la liberté académique et l'ouverture internationale des scientifiques, principes fondamentaux du développement des connaissances, doivent être préservées. Le maintien de l'excellence de la recherche française nécessite l'échange des idées et l'attraction des meilleurs chercheurs et étudiants dans ses laboratoires. Le souci de l'efficacité de la recherche est essentiel pour garder les laboratoires français au meilleur niveau international. Nous retrouvons ici la même tension entre sécurité et efficacité que dans le précédent sujet.

L'Office estime également que, depuis 2012, le dispositif des ZRR a été mis en place de façon trop rigide et contraignante, avec une concertation insuffisante. D'où une gêne considérable pour les laboratoires, qui a été plus ressentie dans certaines disciplines scientifiques comme les mathématiques, l'informatique ou la physique que dans les sciences de la vie, déjà soumises à des contraintes et procédures très importantes qui leur rendent plus acceptable ce type de restrictions.

L'Office regrette que la PPST repose sur une logique binaire : soit un classement en ZRR entraînant une application uniforme de toutes les contraintes sans tenir compte de la particularité des disciplines et des laboratoires, soit une absence de classement exonérant le laboratoire de toute discipline. Or un algorithme ne réclame pas nécessairement le même type de protection qu'un virus…

À cet égard, l'Office prend acte des déclarations du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HDFS) adjoint : selon ce dernier, les enquêtes précédant une demande d'accès à une ZRR ne se limitent pas à l'utilisation de mots-clés ou à la nationalité du candidat, comme avancé par certains scientifiques lors de l'audition, mais reposent sur une étude approfondie au cas par cas ; les publications des chercheurs des ZRR ne sont pas obligatoirement soumises à un régime d'autorisation préalable, tout dépend de ce qui est prévu dans le règlement intérieur de la ZRR.

L'Office souhaite rester en contact avec la communauté scientifique en organisant une nouvelle table ronde, dans un délai à déterminer en fonction des avancées constatées, mais en tout cas dans une limite de deux ans.

L'Office recommande la mise en place d'une procédure de recours interne des décisions prises dans le cadre de la création et de la gestion des ZRR. Cette procédure serait confiée à trois personnes : l'une représentant les sciences et devant être une personne à la légitimité incontestable et reconnue, habilitée confidentiel défense ; la deuxième représentant les services de l'État en charge de la sécurité ; et la troisième avec un profil plus juridique et dont l'indépendante serait assurée.

L'Office estime, au vu de tous ces éléments, que les problèmes rencontrés par les laboratoires de recherche français ne relèvent pas des seules modalités d'applications du dispositif des ZRR et recommande, en conséquence, un véritable changement de doctrine et d'état d'esprit dans la mise en oeuvre de la PPST.

L'Office souhaite que l'on s'inspire des pratiques aux États-Unis et au Royaume-Uni, qui ne sont pas réputés naïfs en matière de sécurité, pour : adapter le dispositif des ZRR aux spécificités des différentes disciplines scientifiques ; protéger des projets sensibles au cas par cas, plutôt que des secteurs ; s'appuyer sur une plus grande responsabilisation des chercheurs, avec des actions de formation et d'information, plutôt que sur des mesures contraignantes ; et développer une culture de sécurité de tous les acteurs pour permettre, au-delà des seuls laboratoires sensibles, une prise de conscience des enjeux de la recherche en termes de compétition internationale, de propriété intellectuelle, de valorisation de l'innovation et de défense nationale.

Enfin, l'Office recommande un effort en matière d'éducation sur la sécurité informatique, qui doit être réalisé dès le collège, pour la diffusion d'une meilleure « hygiène informatique ».

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