Intervention de Pierre-Louis Bras

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 9h00
Commission des affaires sociales

Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR) :

Merci, madame la présidente, pour votre invitation.

Avant de vous faire part des résultats des travaux du Conseil d'orientation des retraites, je présenterai d'un mot le COR.

Créé en 2000 et présidé à son origine par Mme Yannick Moreau, le COR regroupe l'ensemble des partenaires sociaux, les organisations représentatives des employeurs, les syndicats de salariés, les représentants du monde agricole, des professions libérales, des associations familiales, des administrations, des personnalités qualifiées et des représentants du Parlement, soit quatre sénateurs et quatre députés.

Pour l'essentiel, le Conseil a vocation à établir un diagnostic partagé sur la situation du système des retraites. En raison de la diversité de ses membres, il est peu aisé de dégager des orientations communes ou consensuelles, mais l'essentiel est d'être d'accord sur le diagnostic et sur les chiffres. C'est ainsi que ma présentation fait l'objet d'un consensus, puisqu'il s'agit de poser un diagnostic sur la situation financière du système des retraites, sur les âges de départ et sur le niveau de vie des retraités.

Pour poser ce diagnostic sur la situation financière des retraites, les hypothèses démographiques sont centrales. Nous nous appuyons pour ce faire sur les travaux de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), dont il ressort différents éléments.

Tout d'abord, une stabilité du taux de fécondité à deux enfants par femme, qui correspond à la tendance actuelle.

En second lieu, la poursuite de l'augmentation de l'espérance de vie. Actuellement, à soixante ans, l'espérance de vie se situe à 27,5 ans. Elle passerait en 2070 à 33,6 ans. L'augmentation serait encore plus forte pour les hommes, puisqu'elle passerait de 23 à 31 ans.

Enfin, un solde migratoire – l'écart entre les entrées et les sorties – positif de 70 000 par an, les derniers chiffres étant légèrement inférieurs. Cette hypothèse est toutefois la plus fragile et la plus difficile à formuler, car elle dépend du contexte international et des évolutions de la politique nationale en matière de migration.

Les hypothèses démographiques permettent de calculer un ratio de dépendance, autrement dit l'effectif des personnes en âge de travailler par rapport aux personnes qui ont a priori vocation à prendre leur retraite. Le ratio des 20 à 64 ans rapportés aux 65 ans et plus et celui des 20 à 59 ans rapportés aux 60 ans et plus se dégradent continûment. À l'heure actuelle, le premier ratio se situe à 3 et atteindra 2,3 en 2070. La donnée que constitue l'évolution démographique est centrale pour faire des projections sur le système de retraite.

L'évolution démographique est liée à l'augmentation de l'espérance de vie des personnes de plus de 65 ans et à l'arrivée depuis 2005 des générations nombreuses nées à partir de 1945, période du « baby-boom », qui a fait place au « papy-boom ».

S'ajoutent à cela des hypothèses économiques de long terme. Pour le court terme, nous nous fondons sur les prévisions gouvernementales qui induisent une période de transition. Nous établissons des hypothèses sur l'évolution de la croissance annuelle de la productivité horaire du travail à partir de 2032 pour en déduire l'évolution des rémunérations. L'idée de base est que les rémunérations horaires progressent comme la productivité horaire du travail. Les progrès technologiques et le niveau de qualification de la population déterminent à long terme la productivité horaire du travail. Nous projetons un spectre d'hypothèses entre 1 %, la plus défavorable, et 1,8 %, la plus favorable à partir de 2032. Ce spectre d'hypothèses a été construit entre les membres du COR et fait l'objet d'un relatif consensus.

Cette hypothèse est centrale car, dans notre système de retraite, sauf exception comme en 2019-2020, les retraites du régime général et les droits en cours de constitution sont indexés sur les prix. Or, en raison de l'augmentation de la productivité horaire du travail, les salaires progressent plus rapidement que les prix. Un écart se crée par conséquent entre l'évolution du produit intérieur brut (PIB) et celle des retraites, du fait que ces dernières sont indexées sur les prix. C'est la raison pour laquelle l'hypothèse de croissance de la masse salariale est centrale dans les projections.

Ce spectre d'hypothèses est raisonnable. L'hypothèse basse, celle d'une croissance du PIB de 1 % par an, correspond à ce que nous avons connu au cours de la période 2010-2017, c'est-à-dire depuis le plus fort de la crise en 2008-2009. L'hypothèse la plus favorable s'établit à 1,8 %. Pour la retrouver, il faut revenir à la moyenne de la période 1980-2017, autrement dit une très longue période.

Nous nous situons entre ces deux extrêmes pour fournir un ensemble de projections. Je précise que notre propos ne consiste pas à prédire l'avenir, mais à soumettre des éléments à la réflexion afin de prendre des décisions, et ce pour cinquante ans. Il s'agit, en un mot, de se doter des instruments intellectuels pour baliser l'avenir.

Une fois posées toutes les hypothèses démographiques et économiques, on peut en déduire les perspectives financières du système de retraite, notamment en termes de dépenses rapportées au PIB. En d'autres termes : combien coûtent les retraites par rapport à ce qui est produit annuellement par les actifs ?

Au début des années 2000 et jusqu'en 2017, la part des retraites dans le PIB a progressé fortement. D'un peu moins de 12 % en 2000, elle est passée à 13,8 % en 2017, ce qui veut dire que financer les retraites a nécessité de mobiliser 2 % supplémentaires de la richesse nationale en 2017 par rapport au début des années 2000. Depuis les années 2000, nous avons assisté en 2005 à l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom et à la crise de 2008-2009, de sorte que, même quand le PIB augmente peu, les retraites poursuivent leur tendance et leur part, rapportée au PIB, augmente. Les retraites représentent actuellement 13,8 % du PIB ; autrement dit, il faut prélever 13,8 % sur la richesse créée par les actifs pour l'affecter aux retraites.

Si nous déroulons les projections jusqu'en 2070, selon les hypothèses retenues, les résultats présentent de forts écarts. Dans l'hypothèse la plus favorable, celle d'une croissance de 1,8 %, la part des retraites dans le PIB diminue sensiblement. En 2070 et même avant, on repasse en dessous de 12 %. Le phénomène est lié à la règle fondamentale appliquée dans ces projections, selon laquelle les retraites sont indexées sur les prix tandis que les salaires augmentent plus vite que les prix.

Dans l'hypothèse la moins favorable, on se stabilise autour de 14 % du PIB pour atteindre 14,4 % en fin de période. Globalement, les résultats sont très sensibles aux hypothèses de croissance de la productivité et des salaires, et sont liés à la manière dont est construit notre système de retraite, fondé, depuis la fin des années 1980 sur une indexation sur les prix comme règle principale.

Les projections de 2017 n'intègrent pas la mesure de sous-indexation des retraites décidée à l'automne, qui consiste à augmenter de 0,3 % les retraites en 2019 et en 2020 au lieu de leur faire suivre le rythme de l'inflation. Cet état de fait améliorera la situation financière du système, dans la mesure où il fera baisser la part des dépenses de retraite dans le PIB.

Il n'y a donc pas de dérapage, et les exigences de prélèvement sur les actifs s'améliorent même dans la plupart des hypothèses. Comment arrive-t-on à ce résultat alors même que la situation démographique se dégrade ?

Si l'on considère la traduction des évolutions démographiques exprimée en nombre de cotisants rapporté au nombre de retraités, en 2017 la France comptait 1,7 cotisant pour 1 retraité ; elle en comptera 1,3 en 2070. S'il s'agissait de la seule force agissante, elle ferait exploser la part des retraites dans le PIB.

Mais une autre force joue en sens contraire. L'évolution du niveau moyen des pensions rapportée au niveau moyen des salaires fait apparaître que, dans toutes les hypothèses, ce rapport baissera. Actuellement, la pension représente 51 % de la rémunération brute. Elle est appelée à baisser jusqu'à 40 %, voire 32 %, selon les hypothèses d'évolution des rémunérations.

Ce que je vous ai présenté de prime abord est la résultante de ces deux forces : la force démographique qui a vocation à faire exploser la part des dépenses de retraite dans le PIB, et la force qui, dans la plupart des hypothèses, est supérieure, à savoir la diminution du niveau des retraites rapporté au niveau des rémunérations, car les retraites sont indexées en règle générale sur les prix.

Conclusion : à l'avenir, les retraites ne déraperont pas, elles seront globalement stabilisées. Le phénomène dépend certes largement des hypothèses économiques, mais, même dans l'hypothèse la plus défavorable, elles n'explosent pas. Au début des années 2000, les dépenses de retraite atteignaient entre 20 % et 25 % du PIB. Nous étions dans un autre monde. Aujourd'hui, elles sont relativement stabilisées en proportion du PIB. Pour autant, dire que les retraites sont stabilisées ne signifie pas qu'elles le soient à un bon niveau. Aux yeux de certains, un niveau de 14 % du PIB représente trop de prélèvements sur les actifs, désincite au travail et engendre des dépenses publiques ; ils préconisent donc de le ramener à 12 %. D'autres diront que cela obligerait les gens à partir à la retraite trop tard, alors qu'ils sont usés et fatigués, les retraites versées n'étant pas suffisamment généreuses. Les deux discours peuvent s'entendre et il n'appartient pas à un technocrate comme moi de trancher, d'autant qu'au sein du COR les appréciations sont extrêmement divergentes.

Dès lors, comment apprécier le bon niveau ? Il convient d'étudier les effets économiques sur les actifs. Prélever sur les actifs pour financer les inactifs peut avoir des effets sur la croissance elle-même. Il convient également de savoir ce que les cotisants et les retraités souhaiteraient. La retraite est une épargne forcée que l'on impose aux actifs pour assurer leur niveau de vie pendant leur retraite. Le niveau en France est-il le bon niveau ? Impose-t-on trop d'efforts pendant la vie active de ceux qui cotisent ou leur accorde-t-on trop dès lors qu'ils sont inactifs ? C'est toute la question. L'équilibre est une décision éminemment politique. Les dépenses sont donc stabilisées. Le sont-elles à un bon niveau ? C'est à la politique d'en décider.

Le chiffre de 14 % du PIB correspond aux retraites publiques. Je dirai un mot de la part des dépenses publiques en France, qui donne lieu à un débat politique assez vif. Selon une étude de France Stratégie, ces dépenses, rapportées à la moyenne des onze pays comparables au sein de l'Union européenne, sont de 7 % supérieures. D'où des questions sur le niveau des prélèvements obligatoires et du déficit. Les retraites représentent 3,5 % sur ces 7 %, soit la moitié, donc, de l'écart entre pays européens pour ce qui est de la part des dépenses publiques dans le PIB. Si nous sommes, comme disent certains, champions du monde en la matière, les retraites sont responsables pour moitié de cet état de fait.

Ces 3,5 % liés aux retraites peuvent se décomposer en deux parts égales. Tout d'abord, par rapport au système de retraite des pays qui nous entourent, notre système est davantage public. Nous avons davantage inséré le système de retraite dans la sphère des dépenses publiques. Le système public de pays comme le Royaume-Uni, la Suède ou l'Allemagne est en effet complété par des systèmes privés reposant le plus souvent sur des accords de branche, d'entreprises, qui relèvent des dépenses privées. La France possède également un système complémentaire, AGIRC-ARRCO, mais dans la mesure où ce système est obligatoire et étendu à l'ensemble des entreprises, il entre dans notre décompte des dépenses publiques.

Quant à l'autre moitié de ces 3,5 %, elle est liée à la générosité un peu plus grande de notre système de retraite par rapport aux systèmes étrangers. C'est un constat, dont il vous appartient de tirer des conclusions normatives. On peut considérer qu'il existe un besoin, propre à la France, d'avoir plus de sécurité, ou un revenu plus élevé, ou de partir à la retraite plus tôt. Il s'agit d'un choix social, légitime en tant que tel. Je vous livre donc ces comparaisons sans en tirer de conséquences normatives.

Voilà pour les perspectives financières.

J'ai évoqué la part des dépenses de retraite dans le PIB, mais non leur solde, alors qu'en général c'est le solde qu'on commente. Je ne le ferai pas, parce que Mme Moreau s'y consacrera et, surtout, parce que je considère qu'en vous livrant les dépenses dans le PIB, je vous livre l'indicateur économique pertinent. C'est lui, en effet, qui permet de mesurer le montant à prélever sur les actifs pour assurer l'équilibre. Il est au coeur de la réflexion économique.

Nous pourrions nous attarder sur le solde, mais la question est plus conventionnelle. Si je décide d'affecter telle ou telle recette aux retraites plutôt qu'au budget de l'État, le solde évoluera en conséquence. Dans la mesure où vous votez chaque année le projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous aurez noté la multiplicité des tuyaux entre l'État et la sécurité sociale. Je soupçonne même que vous avez parfois quelque difficulté à comprendre l'ensemble des branchements. Dans le passé, j'étais le plombier en chef. Et moi-même, au bout de six mois, ne comprenais plus rien aux tuyaux que j'avais construits ! (Sourires.) Mais dans la mesure où on les reconstruisait chaque année, il était inutile de comprendre. Si vous comprenez, bravo !

J'en viens à l'âge de départ à la retraite. Jusqu'au début des années 2000, les Français partaient en moyenne un peu avant 61 ans. L'âge de départ n'évoluait pas. À partir de 2010, la réforme dite « Sarkozy » a institué le report de 60 ans à 62 ans de l'âge minimum légal ; c'est ainsi qu'en 2017 les gens sont partis à la retraite, en moyenne, à 61,8 ans. Ce mouvement s'est poursuivi. Par ailleurs, la règle qui prescrit une durée d'assurance requise pour éviter la décote est devenue de plus en plus prégnante. Progressivement, l'exigence de durée d'assurance est passée à 43 ans pour la génération née à partir de 1973, ce qui fut établi dans la réforme de 2014, dite réforme « Touraine ». La plupart des Français partant au taux plein, cette exigence croissante en termes de durée d'assurance tirera vers le haut l'âge de départ à la retraite – jusqu'en 2035-2040, moment où les générations nées en 1970 partiront à la retraite. Ensuite, le mouvement s'est stabilisé puisqu'il n'y a plus d'exigence croissante, mais, d'ici à 2035, il est bien possible que d'aucuns se disent que l'on pourrait à nouveau déplacer le curseur et entreprendre une réforme plus systémique où la durée d'assurance jouerait un rôle différent de celui qu'elle joue actuellement. Je raisonne, pour ma part, à législation constante.

Progressivement, les Français partiront en moyenne à 64 ans. Même si l'âge du départ à la retraite s'élève, la durée de la vie à la retraite continuera de progresser. L'âge de départ sera en effet repoussé moins rapidement que n'augmente l'espérance de vie. La génération qui aura eu l'espérance de vie à la retraite la plus longue est la génération de 1950, celle qui est partie juste avant la réforme de 2010. Cette réforme, qui a été assez rapide, a ramené l'espérance de vie à la retraite de 26 ans à 25,5 ans pour les cohortes nées en 1951, 1952, 1953 et 1954. À nouveau, l'espérance de vie à la retraite va augmenter parce que l'espérance de vie tout court augmentera davantage que ne reculera l'âge de départ à la retraite. Il faut souligner que les femmes ont une espérance de vie supérieure à celle des hommes.

L'âge de départ à la retraite étant décalé, que se passe-t-il pour l'âge de sortie d'activité et d'emploi ? En d'autres termes : en décalant l'âge de la retraite, crée-t-on des inactifs ou des chômeurs ? Quel est le temps moyen passé avant la retraite par une personne de 50 ans qui travaille ? Jusqu'en 2010, il fallait qu'elle attende 61 ans avant d'accéder à la retraite. Elle sortait du marché du travail ou de l'emploi deux ans avant, car il existait encore, à l'époque, de nombreux dispositifs de préretraite, ce qui se traduisait par un fort taux d'inactivité avant la retraite proprement dite.

Dans les années 2000, les préretraites ont disparu. Depuis 2010, repousser l'âge de la retraite a eu pour effet de repousser aussi l'âge de sortie de l'activité et l'âge de sortie de l'emploi. Bien sûr, des effets conjoncturels interviennent sur le chômage en général.

Quels sont, par régime, les âges moyens projetés ? Tous les régimes convergent vers 64 ans, à deux exceptions dans le système actuel : les catégories dites « actives », telles que les agents de conduite de la SNCF, qui partent vers 57 ans, et les personnels actifs de la fonction publique proprement dite – policiers, pompiers… - qui partiront en 2070 vers 57 ans dans le cadre du système actuel. Les fonctionnaires d'État dits « sédentaires », quant à eux, partent à 64 ans.

Le COR ne dispose pas de la décomposition entre sédentaires et actifs pour les agents des collectivités locales. L'âge de départ se situe un peu en dessous des autres régimes, soit un peu en dessous de 64 ans, car, parmi les personnels hospitaliers et territoriaux, on compte à la fois des sédentaires et des actifs. La Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) nous a promis de procéder à cette distinction dans la prochaine livraison de ses études.

En résumé, il y a convergence de l'ensemble des régimes autour de 64 ans, avec des exceptions dans les régimes publics et dans les régimes spéciaux, tels que la SNCF, au titre des catégories actives.

Par rapport aux autres pays européens, la projection réalisée par la Commission européenne fait apparaître que la France est le pays où les gens partent le plus tôt à la retraite : à 62 ans, et prévoit que cet âge atteindra progressivement 64 ans. Les Français se rapprocheront ainsi des ressortissants de la plupart des autres pays, à l'exception de la Belgique. L'Italie est le pays dont les ressortissants partent le plus tard, mais nous n'avons pas intégré le « nouveau monde » italien. L'Italie, en effet, débat actuellement de la question et s'apprête à revenir sur la réforme Fornero de 2011.

La France se caractérise actuellement par un âge de départ un peu plus précoce que dans les autres pays ; dans le futur, les Français partiront un ou deux ans plus tôt les habitants des autres pays.

Quant au niveau de vie moyen des retraités, il est supérieur à celui de l'ensemble de la population. On note à la fois une certaine parité entre retraités et actifs et la supériorité du niveau de vie des retraités par rapport à l'ensemble de la population – 105 % à 106 %. Il s'agit là d'un constat statistique, et nullement de la perception des Français qui, interrogés, répondent, pour 60 % d'entre eux, que le niveau de vie des retraités n'est pas meilleur que celui de l'ensemble de la population ; 25 % l'estiment identique et seulement 14 % supérieur. Les jeunes, en particulier, pensent que les retraités ne vivent pas mieux que le reste de la population. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ne sont pas favorables à l'abaissement du niveau des retraites.

J'ai évoqué les retraités comme s'il s'agissait d'un groupe, ce qui peut donner lieu à des interprétations selon lesquelles les retraités seraient riches. Mais « les retraités », cela n'existe pas : il s'agit d'une catégorie construite par les statisticiens.

Dix pour cent des retraités ont un niveau de vie inférieur à 1 090 euros mensuels et un nombre équivalent ont un revenu supérieur à 3 200 euros. Les écarts entre retraités sont toutefois un peu plus resserrés que les écarts entre actifs. L'écart entre le premier décile et le neuvième décile est de 2,9 pour les retraités et de 3,3 pour les actifs. Il y a donc moins d'inégalités entre les retraités qu'il n'y en a entre les actifs. Néanmoins, il y a des retraités riches et des retraités pauvres, comme il y a des actifs riches et des actifs pauvres. Toute considération sur les retraités par rapport aux actifs doit être confrontée à la diversité interne aux deux groupes.

Que vit un retraité au cours de sa retraite ?

Le principe est celui de l'indexation des retraites sur les prix. Le problème, c'est qu'il n'est pas tenu compte des transferts liés aux prélèvements qui s'appliquent aux retraites. L'indexation sur les prix n'a pas toujours été pratiquée, notamment dans les régimes complémentaires et même dans le régime de base ; en repoussant les revalorisations, on arrive à faire évoluer les pensions un peu moins vite que les prix.

Prenons l'exemple d'un cadre type, né en 1932, soumis à la contribution sociale généralisée (CSG) à taux plein, qui a pris sa retraite en 1972, à l'âge de 60 ans. Aujourd'hui, il a 87 ans et cela fait 26 ans qu'il est à la retraite. En 2018, il a perdu environ 11 % à 12 % du pouvoir d'achat de sa retraite. Au début des années 1990, il a été soumis à des augmentations de CSG. Ensuite, sa retraite a été un peu érodée, l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) n'ayant pas suivi l'évolution des prix. Je précise que la retraite AGIRC est très importante pour les anciens cadres. À cela se sont ajoutés les effets de l'augmentation de la CSG en 2017, de la sous-indexation AGIRC ARRCO la même année, et du prolongement en 2019-2020 de la sous-indexation des retraites de base, le résultat final de ce calcul dépendant naturellement des hypothèses d'inflation.

Les pensions étant indexées sur les prix, un ancien cadre assujetti à la CSG à taux plein a subi une perte de pouvoir d'achat significative par rapport aux actifs qui l'entourent. Le non-cadre, en revanche, qui n'est pas soumis à la CSG à taux plein, et qui a bénéficié de revalorisations, parfois assorties de « coups de pouce », de sa retraite du régime général, n'a en outre pas souffert de la sous-indexation de la retraite AGIRC, puisqu'il n'est pas ressortissant de ce régime. Il a donc, grosso modo, maintenu son pouvoir d'achat pendant toute la période. Il commencera à perdre un peu avec la sous-indexation en fin de période. En 2008, il était quasiment à moins 1 %. La grande différence avec le cadre, c'est la CSG.

En 2015, la prime aux faibles retraites, la prime forfaitaire Hollande de 40 euros, s'est bien traduite par une augmentation du pouvoir d'achat des retraités, mais ce ne fut qu'un feu de paille !

Comme je l'ai souligné, le niveau des pensions, rapporté à celui des salaires, permet de stabiliser la part des dépenses de retraite dans le PIB. En projection, le niveau de vie des retraités, qui constitue une notion plus large puisqu'elle comprend à la fois les pensions, les revenus du capital, les transferts et les prélèvements directs, diminuera relativement. De 105 % en 2017, le niveau de vie des retraités diminuera pour atteindre, à l'horizon 2070, entre 90 % et 75 % des revenus des salaires, selon les hypothèses relatives à l'évolution de ces derniers.

Actuellement, les retraités ont un niveau de vie supérieur à celui de l'ensemble de la population, en raison du mode d'indexation dans l'ancien monde. Mais, progressivement, leur niveau de vie sera érodé par rapport à celui des actifs. Je précise qu'il s'agit d'une érosion relative, car les retraités de demain gagneront plus, en moyenne, que ne gagnent les retraités d'aujourd'hui. Il n'y aura pas de paupérisation absolue des retraités. Je le souligne : au COR, nous disons que le niveau de vie relatif des retraités diminuera. Les journalistes un peu pressés retirent le terme « relatif » et la phrase devient « le niveau de vie des retraités diminuera », laissant accroire que les retraités de demain seront plus pauvres que ceux d'aujourd'hui. Non : selon les hypothèses du COR, les retraités de demain seront plus riches que ceux d'aujourd'hui, mais seront plus pauvres relativement aux actifs. Or, c'est cela qui importe. Si vous dites à un retraité que vous rencontrez dans vos permanences qu'il est plus riche que le même retraité d'il y a cinquante ans, il vous dira qu'il n'en a rien à faire et il aura raison ! Le niveau de vie relatif des retraités diminuera donc, mais il faut garder à l'esprit que notre projection est à comportements constants.

Face à cette perspective, les actifs d'aujourd'hui peuvent réagir de deux manières : soit épargner pendant leur vie active pour se constituer un capital dont ils bénéficieront à la retraite, soit retarder l'âge auquel ils partiront à la retraite. Si, confrontés à cette baisse du niveau de vie relatif, ils considèrent une telle situation comme insupportable, ceux qui seront encore en activité à l'âge de la retraite pourront prolonger d'un an leur vie active, ce qui leur offrira une surcote et la possibilité d'acquérir davantage de droits. C'est pourquoi je dis que notre projection est à comportements constants : vu l'importance des changements qui vont intervenir, il se peut que les comportements évoluent également.

Après ces éléments d'appréciation sur le pouvoir d'achat, je conclurai sur une comparaison internationale. L'âge de départ à la retraite en France est un peu plus précoce que dans d'autres pays. La France est le pays où le niveau de vie relatif des plus de 65 ans par rapport à l'ensemble de la population est le plus favorable, puisque nous nous situons à 103 %, quand certains de nos voisins, comme la Suède, l'Allemagne ou le Royaume-Uni, se situent entre 80 % et 90 % – des taux que nous atteindrions si le niveau de vie relatif des retraités se dégradait.

Voilà le point sur la situation financière de notre système de retraite, les questions d'âge et les questions de pouvoir d'achat. Tout cela est tiré, pour l'essentiel, du rapport que nous produisons chaque année, le 15 juin.

Je vous ai parlé de l'ancien monde, non du nouveau. Avec l'ensemble des membres du Conseil, nous essayons de fournir des éléments pour comprendre la réforme. Depuis un an, nous consacrons de nombreuses séances pour dérouler les conséquences logiques des principes affirmés dans la présentation de la réforme et fournir aux partenaires sociaux des éléments pour en comprendre les enjeux.

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