Intervention de Yannick Moreau

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 9h00
Commission des affaires sociales

Yannick Moreau, présidente du Comité de suivi des retraites (CSR) :

Je ne suis pas vraiment payée à l'heure… Il existe des moments inégaux de travail. Le Comité de suivi connaît des moments où il ne fait pas grand-chose et d'autres où il travaille beaucoup, en particulier entre le 15 juin et le 15 juillet. C'est un peu l'enfer ! Le 15 juin, nous recevons votre rapport, monsieur Bras, et le 15 juillet nous présentons notre avis au Premier ministre. Nous travaillons, cependant, par anticipation tout au long de l'année. Nos séances, contrairement à celles du COR, ne sont pas publiques. Nous nous réunissons toutefois librement à plusieurs reprises dans l'année.

Je vais répondre à une question dont je comprends qu'elle vous intrigue : pourquoi n'avons-nous pas créé une caisse des fonctionnaires ? Pour des raisons psychopolitiques. Il faut savoir que les salaires des fonctionnaires sont la résultante de la masse indiciaire et des primes. Pour réduire les salaires des fonctionnaires, notamment ces dernières années, la valeur de l'indice a été stabilisée. Ainsi, la direction du budget a l'impression de tenir les manettes de la masse salariale. Le bureau des retraites de la direction du budget estime que la masse des salaires et des retraites de la fonction publique est un ensemble qui doit rester géré par la direction du budget.

Le courant historique est très fort et passe par des syndicats, dont Force ouvrière (FO), très représentative, et la Confédération générale du travail (CGT). Il ne faut pas croire que les syndicats sont homogènes, entre ceux qui défendent des fonctionnaires et ceux qui défendent d'autres catégories. Il y a ceux avec lesquels cela peut se passer à peu près bien et ceux avec lesquels cela peut « castagner ». Il faut bien comprendre les divergences entre direction du Trésor et direction du budget. La direction du Trésor a expliqué partout qu'il convenait d'adopter un régime par points, alors que la direction du budget ne voulait pas que l'on changeât un iota d'une machine qu'elle disait contrôler parfaitement.

Quant à la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires, les fonctionnaires n'étaient pas demandeurs et la direction du budget était contre. Mes propos sont crus, mais vrais. Faire émerger un régime de retraite aurait mis les fonctionnaires sous le contrôle de conventions d'objectifs et de gestion (COG) passées avec la direction de la sécurité sociale ; cela semblait impossible pour les fonctionnaires.

La loi de 2010 a prévu un rapport sur la création d'une telle caisse, mais ce rapport n'a jamais vu le jour, car il existait deux versions, celle de la direction de la sécurité sociale et celle de la direction du budget, et il n'existait pas d'accord entre les deux directions. Les syndicats n'étaient pas demandeurs ; ce n'était pas leur intérêt. Les fonctionnaires, quant à eux, ne se rendaient pas compte que le service rendu est plutôt moins bon quand un régime est pris en charge par un service administratif. Enfin, le mode de calcul en vigueur paraissait plus simple ; en cas de changement, il aurait fallu plus d'agents. Au surplus, la direction du Trésor maintenait sa position en faveur d'un régime par points, plutôt unique, et les autres directions ainsi que les hauts fonctionnaires du ministère étaient contre, ces derniers voulant maintenir une certaine discrétion sur le montant élevé de leurs primes.

Le ministère des finances ne soutenait pas une position unifiée, et jamais un ministre des finances ne voudrait arbitrer une telle question. Mais celle-ci a évolué. L'affirmation politique selon laquelle une réforme était inéluctable a joué son rôle. D'ailleurs, aujourd'hui, la question n'est pas celle de la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires. Il n'y en aura probablement jamais, ou alors à titre intérimaire. La direction du budget a estimé mieux régler le problème de cette façon.

Même si les inconvénients du système étaient patents, les avantages en termes de sécurité budgétaire paraissaient considérables. Tous les directeurs du budget ont tenu le discours selon lequel créer une caisse de retraite ne servirait à rien. Tel était le discours officiel, doublé d'un discours sous-jacent : ils ne souhaitaient pas passer une COG avec la sécurité sociale. Aucun rapport ne pouvait reprendre ce discours, auquel personne n'était très favorable, sauf parfois un parlementaire – et moi-même qui, interrogée sur l'utilité d'une caisse pour les fonctionnaires, avais dit qu'une COG aurait le mérite de mettre les chiffres en lumière.

Un léger progrès est intervenu en 2014. Une réunion annuelle de discussion sur les retraites a été prévue au ministère des finances. On créait ainsi une situation nouvelle, à la condition, cependant, que l'on ne change rien au bout du compte ! Mais, au moins, on faisait le point. Il fallait bien commencer par quelque chose !

Invitée par le ministre du budget ou par celui de la fonction publique, j'ai assisté à certaines des réunions. Les éléments du dossier étaient mis sur la table. La question de savoir s'il fallait changer le régime de la fonction publique et créer une caisse a été posée pour la première fois dans le rapport public de juin 2013 de la commission que je présidais, où il était écrit que la situation des fonctionnaires était intenable et ne pouvait durer. La question de la création de la caisse était relativement secondaire. Certains membres du Gouvernement étaient d'accord, tandis que d'autres étaient absolument hostiles à cette idée – tout le monde sachant que cela ne se ferait pas.

À l'époque, la direction du budget était très disciplinée pour produire tout ce qu'on lui demandait, mais les directeurs du budget ont tous été contre la création d'une caisse jusqu'à l'élection du président Macron. Un choc politique s'est alors produit ; pour autant, un choc politique ne résout pas l'ensemble des problèmes. Car, dans ces querelles, les raisons ne sont pas toutes d'ordre corporatif. La création de la caisse aurait mis en cause l'équilibre salaire-retraite. Par exemple, les enseignants du premier degré perçoivent très peu de primes, donc de bonnes retraites. C'est là une petite compensation. Il faut donc imaginer qu'une réforme se serait étalée sur un temps très long. La direction du Trésor partageait cet avis. Aujourd'hui, le principal progrès tient dans le fait que les directions du ministère se parlent désormais et qu'un directeur de cabinet les fait dialoguer – c'est ce que j'ai cru comprendre. Cela dit, nous ne participons pas aux groupes de travail, nous ne sommes pas impliqués dans la réforme, nous établissons l'avis annuel.

Il n'y a jamais eu de caisse parce que, sociologiquement, tout le monde y était opposé, et parce qu'une réforme de la fonction publique ne soulève pas uniquement l'opposition des fonctionnaires : elle déplace des masses d'argent considérables. Voilà le coeur de la difficulté à venir, et voilà ce qui explique la longueur de la période de transition qui sera nécessaire – nous le savons par avance.

Le Comité de suivi est plutôt dans l'idée qu'il faut évoluer, mais il n'a jamais dit ce qu'il convenait de faire ni que ce serait facile. Il est évident que la réforme prévue soulèverait des problèmes considérables de transition dans le temps. J'emploie le conditionnel, car tant que le projet ne sera pas présenté au Conseil des ministres, le sujet est si lourd par les masses d'argent en cause que nous ne savons pas si la réforme aura lieu, même si le Président de la République a annoncé qu'il y en aurait une. Les enjeux sont considérables. Aucune des réformes ne fut simple, celle-ci ne le sera pas non plus.

La réforme présente un atout. Selon les sondages, les Français pensent que l'on n'a pas réformé les retraites et sont insatisfaits. Pour autant, la France dépense tout de même 14 % du PIB, un niveau qui n'est pas médiocre, mais les Français n'ont pas confiance. Cela ne signifie pas qu'ils applaudiront des deux mains un changement. C'est ce que traduisent les sondages : les Français ne sont pas contents de la situation actuelle, mais ne disent pas être favorables à la réforme.

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