Intervention de Pierre-Louis Bras

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 9h00
Commission des affaires sociales

Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR) :

Je vais essayer de répondre à certaines questions, sachant que, sur la réforme, les questions devraient plutôt être adressées à M. Jean-Paul Delevoye.

Il n'y a pas de secret : rien ne se crée, rien ne se perd. Si l'on veut un haut niveau de vie des retraités, il faut un haut niveau de prélèvement sur les actifs ; à cela, il n'y a pas d'échappatoire, sauf à imaginer un trésor caché ! Dès lors que nous sommes dans un système par répartition, un haut niveau de vie des retraités signifie que l'on demande aux actifs de consentir un sacrifice sur leur consommation immédiate, avec la promesse qu'ils bénéficieront, eux aussi, une fois à la retraite, d'un haut niveau de vie. Telle est la tâche des politiques : calibrer en fonction des aspirations moyennes. Si le système était privé, ce que je ne défends pas, chacun ferait ses choix pendant sa vie active et en tirerait les conséquences à sa retraite, mais notre système public est celui d'une épargne forcée, avec la promesse qu'elle perdurera de génération en génération. Il appartient donc aux élus de la nation de déterminer le bon niveau de prélèvement. Les comparaisons internationales montrent qu'il n'existe pas de bon niveau. Que l'on sache, les retraités allemands ou britanniques ne se soulèvent pas !

J'en viens aux statistiques sur le niveau de vie. Lorsque nous calculons des statistiques sur le niveau de vie, nous nous fondons sur le revenu disponible des ménages. Nous retenons leur retraite, les revenus du capital, les transferts sociaux éventuels, tels que les aides personnalisées au logement, nous retirons les impôts directs, l'impôt sur le revenu, la taxe d'habitation. Nous ramenons enfin cela à la composition du ménage. : la première personne vaut 1, tout autre adulte vaut 0,5 pour des raisons d'économie d'échelle, les enfants valent 0,5 au-dessus de 14 ans et 0,3 en dessous de 14 ans. C'est ainsi que l'on calcule le niveau de vie des retraités et qu'on le compare au niveau de vie des actifs. Le niveau de vie n'est pas uniquement constitué du revenu perçu. Le niveau de vie, ce sont les revenus plus les transferts moins les prélèvements, le tout rapporté à la composition du ménage. C'est la raison pour laquelle le niveau de vie des retraités est supérieur au niveau de vie des actifs, alors même que leurs revenus sont inférieurs. En règle générale, les actifs ont des enfants à charge et les retraités, sauf exception, n'en ont pas. Telle est la notion de niveau de vie, qui ne tient pas compte de l'éventuel différentiel de prix liés à l'âge – réductions au théâtre, dans les salles de sport ou autres – ni du prix des mutuelles ou assurances, qui sont plus chères pour les retraités que pour les actifs. Les organismes privés, même quand ils sont mutualistes, sont obligés de tarifer à la mesure du risque. C'est sous toutes ces réserves que l'on parle de niveau de vie.

Les statistiques ne tiennent pas compte du fait que les retraités sont souvent propriétaires de leur résidence principale. Être propriétaire de sa résidence principale joue sur l'effet revenu. Si le loyer était imputé dans les calculs, le niveau de vie des retraités serait encore supérieur de 2 % à 3 % à celui de l'ensemble de la population. En sens inverse, on ne retire pas les transferts qui se font majoritairement des retraités vers leurs descendants ou, dans une moindre mesure, des descendants vers les ascendants du fait de la dépendance. La prise en compte de tels transferts réduirait le niveau de vie mesuré des retraités. Voilà les quelques précisions que je souhaitais apporter sur la notion de niveau de vie.

Sur la réforme systémique et sa soutenabilité, bien évidemment, ce que je vous ai présenté aujourd'hui porte sur l'« ancien monde ». Si l'on devait se fonder sur d'autres paramètres, d'autres modes de fonctionnement, d'autres systèmes, on établirait un autre rapport. A priori, le fait de construire un autre système ne met pas en cause la soutenabilité ; tout dépend du choix des nouveaux paramètres.

Un argument est avancé en faveur de la réforme : les projections de dépenses dépendent très largement du niveau de progression des salaires. L'un des enjeux de la réforme pourrait être un mécanisme de construction de la retraite bâti sur une seule courbe au lieu de quatre. En effet, dans la mesure où les retraites seraient fixées par référence aux salaires, la dynamique des salaires n'aurait plus d'influence sur la part des retraites dans le PIB. En d'autres termes, si les retraites étaient référencées aux salaires alors qu'aujourd'hui elles sont référencées aux prix, il n'existerait plus qu'une seule courbe.

Certains soutiennent la thèse que l'on ne peut se satisfaire qu'un pays développé comme la France utilise quatre projections à long terme du niveau des dépenses de retraite et qu'il faudrait n'en avoir qu'une. Didier Blanchet a très longtemps défendu cette thèse avec force. Pour ce faire, il faudrait que le système de retraite soit conçu de sorte que les retraites évoluent à proportion des salaires, comme c'était le cas avant la fin des années 1980. Mais, dans la mesure où, a priori, le coût est plus élevé dans l'hypothèse d'un référencement aux salaires, il faut modifier d'autres paramètres, sauf à faire exploser le système. On ne peut avoir un taux de liquidation à 50 % à 62 ans ! La réforme systémique change tout. En elle-même, elle n'est ni favorable ni défavorable à la soutenabilité, qui reste dépendante des paramètres retenus.

Dans le projet initial, tel qu'il figurait dans le programme du Président de la République, prévalait une très forte influence du modèle que le COR appelle « à rendement défini » : un système en pilotage automatique, qui évite de rendre des arbitrages réguliers sur les paramètres et de se demander chaque année si les retraités sont trop riches ou non, s'ils doivent être indexés ou sous-indexés, si l'on doit augmenter la CSG pour transférer de l'argent d'une catégorie à une autre. On serait dans un système, à l'image du système suédois, où chaque génération a un droit à percevoir l'équivalent actuariel de ce qu'elle a cotisé. Cela supprime le débat visant à déterminer si les retraités sont riches. Aujourd'hui, on peut répondre oui ou non, chacun peut avoir son avis. En Suède, il n'y a pas de débat, chaque génération de retraités reçoit, sous forme de prestations, l'équivalent actuariel de ce qu'elle a cotisé. Le système est quasiment en pilotage automatique, les retraités ont de vrais droits, le système est presque toujours équilibré, sans intervention des pouvoirs publics. Telle est la proposition qui figurait dans le programme du Président de la République. Dans ce cadre, les politiques et les syndicats acceptent de ne pas intervenir à tout moment, comme on le voit depuis des années, en augmentant la CSG pour reverser de l'argent aux actifs, en indexant sur les prix, etc.

Certains pensent que le pilotage automatique est une bonne chose parce qu'il ouvre de vrais droits, et aussi parce que nous n'avons pas à nous en occuper en permanence, même s'il convient de procéder à quelques ajustements. D'autres pensent qu'il faut nourrir constamment un débat démocratique et estiment qu'en cas de changement démocratique on doit pouvoir changer d'orientation politique en modifiant les paramètres et les équilibres entre retraités et actifs. Tel est, selon moi, le vrai choix : pilotage automatique, ordonné avec de vrais droits, ou renvoi au débat démocratique et au choix discrétionnaire.

Soixante-deux ans est l'âge minimum d'ouverture des droits, mais tel n'est pas l'âge du départ à la retraite. La plupart des Français considèrent que l'on part à la retraite lorsque l'on atteint le taux plein. Et, de fait, 80 % des gens partent à ce moment-là. Treize pour cent partent plus tard et 6 % à 7 % « décotent » : ils partent avant. La norme du taux plein est à l'esprit de tous les Français et de tous les DRH qui ne peuvent se séparer de leur salarié que s'il a atteint le taux plein. Demain, avec la réforme, un âge minimal d'ouverture des droits continuera de s'appliquer. Il se peut que cette référence au taux plein disparaisse, puisque les gens accumuleront des points et que la référence à la durée d'assurance aura disparu.

L'une des questions que se posent tous les économistes, et à laquelle même M. Blanchet n'a pas la réponse, est celle-ci : quels seraient demain les comportements, dès lors que l'on supprimerait cette référence à un âge de taux plein ? Les gens partiraient-ils dès qu'ils le pourraient, ou continueraient-ils à travailler pour bénéficier d'une surcote ? Ils auraient la liberté de partir à 62 ans, mais à eux d'assumer les conséquences de leur choix de départ : plus ils partiraient tôt, moins leur retraite serait élevée ; plus ils partiraient tard, plus leur retraite serait intéressante. Dans un sens, c'est équitable : s'ils partent tard, ils coûtent moins au système, qui peut donc leur verser davantage. La décote et la surcote ne représentent pas un cadeau : c'est faire comprendre à la personne qui prend la décision de partir plus ou moins tôt ou tard le fait qu'elle coûtera plus ou moins à la collectivité. Le système donne une grande liberté, mais il appartient à chacun d'assumer les conséquences de sa décision.

S'agissant de la fonction publique, la donne resterait inchangée dans le cadre de la réforme systémique, puisque les primes seraient intégrées dans les rémunérations qui donnent droit à retraite et dans l'assiette des cotisations. Dans un premier temps, il faudrait prélever des cotisations sur les primes, ce qui aiguiserait la question des salaires nets pendant la période de transition. Aujourd'hui, les fonctionnaires ne paient pas de cotisations sur les primes. Si nous informons un fonctionnaire qui touche 30 % de primes que nous allons lui prélever 12 % de cotisations dessus, il s'interrogera sur l'évolution de son salaire…

Prélever sera l'un des sujets majeurs de la réforme, surtout dans une période de gel de la valeur du point d'indice. Si, demain, on prélevait 2 % de cotisations supplémentaires, les réactions seraient fonction de l'évolution des salaires.

Le contexte d'aujourd'hui se caractérise par le gel du point. Augmenter les cotisations paraît compliqué, mais l'augmentation peut s'étaler sur vingt ans – tout en posant d'autres problèmes. C'est toute la difficulté d'un système qui n'est pas universel. Dans le privé, on cotise et on perçoit des pensions en fonction de ce qu'a été l'ensemble de sa rémunération ; dans la fonction publique, la pension se calcule sur la seule rémunération indiciaire, hors primes.

Une question a porté sur la période de transition et sur l'hypothèse selon laquelle il faudrait modifier l'ancien système alors même que le nouveau serait entré en vigueur. C'est une question qui peut se poser, mais qui dépend du choix qui sera fait sur la transition.

Dans l'hypothèse d'une transition « big-bang », il n'y aurait plus, dès la transition, d'ancien système. On convertirait tous les droits à une date donnée pour une génération donnée. Par exemple, en 2025, on convertirait tous les droits constitués de l'ancien système dans le nouveau. Cela signifierait que, pour un salarié du privé ayant travaillé trente ans et ayant acquis des droits au titre du régime général et de l'ARRCO-AGIRC, on convertirait ses points dans le nouveau système, ce qui s'assortirait d'une éventuelle décote. Pour le régime général, les droits acquis sur trente ans seraient calculés sur les vingt-cinq meilleures années. Les convertir dans le nouveau système consisterait à calculer ce qu'un SMIC et demi, durant trente ans, apporte en termes de points. Telle est l'opération « big-bang ». Dans ce cas, l'ancien système mourrait et disparaîtrait. Une autre manière de faire la transition est de faire perdurer les anciens droits et les anciennes cotisations – c'est ainsi qu'ont procédé les Italiens.

Telles sont les deux options du système de transition. La question n'est pas tranchée.

S'agissant des comparaisons internationales, il faut considérer que, par rapport aux pays européens, nous consacrons aux retraites 3,5 points de PIB en plus. Sur ces 3,5 %, la moitié est liée au fait que le système est presque entièrement public, sans recours à des accords d'entreprise ou de branche. L'autre moitié est due au fait que nous sommes un peu plus généreux quant à l'âge de départ et au niveau des pensions. Au surplus, nous bénéficions de l'espérance de vie la plus longue au monde.

Concernant l'idée de faire jouer un coefficient démographique, relevons que, de génération en génération, l'espérance de vie augmente et que, donc, les pensions versées diminuent dans la mesure où la pension est perçue plus longtemps.

Statistiquement, un homme de la génération 1958 vivra deux ou trois ans de moins qu'un autre de la génération 2000. Il est donc normal que ce dernier touche moins chaque mois puisqu'il vivra deux ou trois ans de plus. De génération en génération, la transformation du capital constitué à 65 ans aura un rendement moindre en raison de l'allongement de l'espérance de vie. Il faut une équité entre générations : celui qui perçoit sa pension plus longtemps doit toucher moins et, s'il veut recevoir autant, il doit travailler un peu plus.

Dans le système suédois, un tableau à double entrée transforme, depuis 1988, un capital de points en retraite en fonction de l'âge. Chacun choisit. Et, de génération en génération, les coefficients de transformation décroissent. C'est là un élément d'un système en pilotage automatique qui intègre dans les paramètres du système l'évolution de l'espérance de vie.

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