Intervention de Dominique Da Silva

Réunion du mercredi 20 mars 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Da Silva, rapporteur :

Si l'accès aux soins et à une médecine de qualité repose d'abord, en France, sur une assurance maladie obligatoire, cette dernière ne prend en charge que 77 % des frais médicaux des Français. Les organismes complémentaires d'assurance maladie, assurance privée facultative pour la plupart des assurés sociaux, complètent de manière significative ce remboursement. Il s'agit donc bien d'un second étage de notre protection sociale, qui couvre aujourd'hui 95 % des assurés, soit la quasi-totalité de la population française.

Malgré les dispositifs de couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et d'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS), la couverture complémentaire pèse de plus en plus sur les ménages qui ne sont pas obligatoirement couverts par leur employeur et qui doivent souscrire eux-mêmes une garantie.

Les organismes complémentaires financent 13,5 % de la consommation de soins. Leur part est notamment significative pour l'optique, à hauteur de 73 % de la dépense, et les soins dentaires, à hauteur de 41 % de la dépense.

Les contrats souscrits auprès des organismes complémentaires sont soit des contrats individuels, conclus directement par un particulier, soit des contrats collectifs, conclus par un employeur pour ses salariés. Depuis 2016, en application de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, l'ensemble des salariés doit désormais être couvert par un contrat collectif souscrit par leur employeur, dont les garanties sont déterminées dans le cadre d'un accord collectif. L'employeur participe au financement de cette couverture collective mise en place à hauteur d'au moins 50 %.

Les contrats collectifs profitent surtout aux actifs, tandis que les contrats individuels concernent les non-salariés : étudiants, fonctionnaires, indépendants, inactifs et retraités.

Trois catégories d'acteurs évoluent sur ce marché de l'assurance maladie complémentaire, dont le volume atteint 36 milliards d'euros. La moitié de ce marché est détenue par les mutuelles, sociétés de personnes à but non lucratif appartenant à leurs assurés. Elles sont surtout actives sur le marché de l'assurance individuelle, qui représente 70 % de leurs bénéficiaires. Elles ont la part la plus élevée de bénéficiaires de 60 ans ou plus.

Les institutions de prévoyance gèrent 19 % des contrats. Ce sont des personnes morales de droit privé ayant un but non lucratif. Organismes paritaires, elles opèrent essentiellement sur le secteur de la prévoyance collective des salariés. Du fait de leur spécialisation en collectif, elles couvrent essentiellement des actifs, bien portants.

Les sociétés d'assurance contrôlent 28 % du marché. Ce sont des sociétés anonymes à but lucratif, à l'exception des sociétés d'assurance mutuelles à but non lucratif. La répartition par âge de leurs bénéficiaires est semblable à celle de la population générale.

Depuis 2011, les contrats collectifs sont en moyenne déficitaires, alors que les contrats individuels ont dégagé des excédents. En 2016, les organismes complémentaires ont, dans leur ensemble, dégagé de légers excédents sur leur activité santé, les excédents, supérieurs à 4 %, réalisés sur les contrats individuels faisant plus que compenser les déficits, inférieurs à 4 %, des contrats collectifs.

Globalement, 80 % des cotisations hors taxes sont reversées en prestations et 20 % sont destinées à couvrir les charges de gestion des organismes.

La présente proposition de loi vise donc à fluidifier et à rééquilibrer le marché de l'assurance maladie complémentaire, surtout en faveur des non salariés les plus vulnérables.

Depuis la loi du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur, dite loi « Chatel », le souscripteur de couverture complémentaire santé, employeur ou particulier, dispose le plus souvent d'un délai limité à deux ou trois semaines, courant octobre, pour résilier son contrat le cas échéant, au vu de la tarification proposée par l'organisme gestionnaire pour l'année suivante, avant que ledit contrat ne soit tacitement reconduit pour une année.

Des exemples obtenus à l'occasion de mes auditions montrent que certains organismes utilisaient des méthodes peu loyales, voire abusives, pour s'opposer à cette résiliation.

La possibilité de résiliation infra-annuelle des contrats et des garanties en matière de complémentaire santé correspond à une véritable attente de nos concitoyens. Selon un sondage réalisé par l'Institut français d'opinion publique (IFOP), 94 % des Français se déclarent favorables au principe défendu par la présente proposition de loi. 75 % trouvent les conditions de résiliation contraignantes et plus de la moitié des Français ne connaît pas les modalités de résiliation.

Les retraités sont encore plus favorables à la résiliation infra-annuelle de leur complémentaire santé, à hauteur de 96 %, bien qu'ils soient davantage au courant – à 68 % contre 54 % – des conditions de résiliation que le reste de la population. Le coût de la complémentaire santé pèse en effet davantage sur les non-salariés, et plus particulièrement sur les personnes âgées.

Malgré les dispositions de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, dite « loi Évin », qui prévoit la portabilité des contrats collectifs à l'occasion du passage à la retraite, ce dernier se traduit mécaniquement par un renchérissement des cotisations. La contribution des seniors est en effet maximisée par plusieurs effets cumulatifs.

En premier lieu, quel que soit le statut de l'organisme complémentaire, les cotisations augmentent fortement passé un certain âge, avec la consommation médicale des seniors. Ensuite, les retraités qui ne bénéficient ni de la CMU-C ni de l'ACS doivent assumer l'intégralité de la cotisation, alors que la moitié était prise en charge par leur employeur lorsqu'ils étaient salariés. En outre, ils sont couverts par des contrats individuels, sur lesquels les organismes complémentaires font des excédents, pour être plus compétitifs et déficitaires sur le marché des contrats collectifs. Enfin, ils sont soumis à la taxe de solidarité additionnelle (TSA) de 13,27 %, assise sur les cotisations versées, ce qui aboutit à des niveaux de taxation inéquitables.

Le sens de la présente proposition de loi est de permettre au souscripteur d'une assurance complémentaire en matière de santé de bénéficier d'une faculté de résiliation de son contrat sans frais et à tout moment, dès lors que la garantie a été souscrite il y a plus d'un an.

Les trois premiers articles étendent aux complémentaires santé le dispositif introduit par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon ». Il s'agit d'une évolution et non d'une révolution. Aujourd'hui déjà, les organismes complémentaires sont amenés à gérer des résiliations de garanties souscrites, soit à l'échéance annuelle du contrat ou de la garantie souscrite, soit en cours d'année, en cas de changement de situation personnelle.

L'article 4 fixe l'entrée en vigueur du dispositif au 1er décembre 2020, de manière qu'il s'applique aux contrats conclus ou renouvelés tacitement le 1er janvier 2021. Cette entrée en vigueur différée a pour objectif de permettre aux acteurs du secteur d'avancer sur le déploiement de solutions adaptées à la consultation en temps réel des droits des assurés.

Les craintes de déstabilisation du marché, invoquées par certains acteurs de façon dramatique et parfois caricaturale, restent sans fondement. Je rappelle qu'en 2014, avant le vote du projet de loi « Hamon », les mêmes représentants des assureurs et des mutuelles avaient prédit que cette faculté de résiliation conduirait à déstabiliser le marché de l'assurance automobile et de l'assurance habitation : cinq ans plus tard, ils reconnaissent qu'après une augmentation de quelques points du taux annuel de résiliation, celui-ci a retrouvé les niveaux précédents, sans avoir bousculé les équilibres du marché.

De la même manière, des avancées normatives importantes ont contribué à transformer le marché de l'assurance emprunteur, avec l'apparition de nombreux acteurs et des baisses de tarifs pouvant atteindre 30 %, tout en procurant les mêmes garanties à l'organisme de crédit.

La présente proposition de loi ne vise ni à bouleverser le marché ni à renforcer sa segmentation entre des assurés qui seraient de « bons » risques, et d'autres qui seraient de « mauvais » risques. Elle vise avant tout à améliorer l'offre de complémentaire santé, en laissant les assurés libres de changer d'organisme lorsqu'ils estiment que les garanties proposées et le service rendu ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Ce texte sera profitable aux retraités, dont les contrats individuels dégagent, quoi qu'on en dise, des bénéfices, et sont aussi bien couverts par le secteur lucratif que par le secteur non lucratif.

La proposition de loi ne pourra pas susciter de comportements opportunistes, car le respect des engagements du plan « 100 % santé », prévoyant une durée minimale pluriannuelle avant la prise en charge d'un nouvel équipement, seront contrôlés.

La juste concurrence entre acteurs du marché de la complémentaire santé passe également par un renforcement de la lisibilité et de la comparabilité des garanties proposées.

Selon un sondage réalisé par l'IFOP pour l'UFC-Que choisir, 37 % des Français trouvent leurs garanties santé difficiles à comprendre, et 48 % ne connaissent pas à l'avance, pour des soins importants, le montant du remboursement qu'ils percevront. Ce manque de lisibilité conduit à des incompréhensions et des méfiances entre les organismes complémentaires et leurs assurés, qui jugent le service rendu indispensable, mais contraint et opaque.

Le 14 février 2019, l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (UNOCAM) et les principales fédérations d'organismes complémentaires d'assurance maladie ont signé, en présence de la ministre des solidarités et de la santé, l'engagement d'améliorer la lisibilité des garanties de complémentaire santé. Cet engagement prévoit notamment, pour les documents contractuels émis à compter du 1er janvier 2020, une harmonisation des libellés des principaux postes de garanties, ainsi qu'une liste d'exemples concrets de remboursements en euros.

Mes chers collègues, la présente proposition de loi vise à obtenir : un marché plus concurrentiel et rééquilibré, au moyen de l'ouverture du droit à résiliation ; une concurrence loyale fondée sur une lisibilité accrue des offres, des garanties et des prestations proposées ; une baisse des frais de gestion, grâce à la sécurisation et la généralisation du tiers payant, dans le cadre d'une relation efficace entre assurance maladie obligatoire et organismes de couverture maladie complémentaires.

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