Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, je suis ravi de représenter ici l'association négaWatt afin de restituer les enseignements de ses analyses prospectives en les illustrant par quelques exemples. J'indiquerai d'emblée à votre mission que nous considérons ce travail mené par l'association depuis plus de quinze ans comme un accélérateur de la transition énergétique.
L'analyse prospective est nécessaire pour dessiner un projet commun, une vision à long terme et concevoir les moyens de les atteindre. Nous sommes depuis longtemps convaincus de l'importance du rôle et de la société civile et des experts indépendants dans le travail collectif de conception et de construction de cette représentation à long terme. C'est ainsi que l'association négaWatt essaie depuis longtemps d'apporter sa contribution sur les usages de l'énergie, afin de favoriser tous les moyens techniques de nature à améliorer les rendements, à réduire les pertes, en vue de privilégier des ressources renouvelables, c'est-à-dire des ressources de flux par opposition aux ressources de stock que sont notamment les énergies fossiles et l'uranium. C'est que nous appelons la sobriété.
Cette analyse prospective sert aussi à identifier des objectifs à long terme. L'association a ainsi largement contribué à l'élaboration de la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et à l'élaboration des différents scénarios définis en amont. Ce travail a révélé la pertinence des options défendues dès cette époque par notre scénario, ainsi que celle des scénarios de l'ADEME. Je pense notamment à la division par deux de la consommation d'énergie finale à l'horizon 2050 comme condition de la décarbonation complète du système énergétique – car nous considérons qu'agir sur l'offre est insuffisant –, et pour s'inscrire dans une perspective de neutralité carbone à plus long terme.
Si nous sommes satisfaits des objectifs à moyen et long terme définis dans la loi de 2015, nous sommes plus réservés sur les décisions politiques et les mesures qu'elle contient. L'analyse prospective permet de penser ce que négaWatt appelle l'urgence de long terme, c'est-à-dire l'inscription dès maintenant, dans les décisions politiques et les mesures à court terme, des éléments conformes à l'atteinte des objectifs à long terme.
L'analyse prospective sert à identifier des manques, des besoins, des rythmes d'action. Elle sert d'abord à identifier tous les leviers d'action possibles. Ainsi, alors que la mobilité est généralement pensée en termes d'efficacité des véhicules ou changement de type de véhicules – je pense évidemment au véhicule électrique –, l'analyse prospective montre qu'il faut aussi jouer sur la sobriété en se penchant sur l'aménagement du territoire pour maîtriser les distances à parcourir, permettre le transfert modal dans toutes les situations – milieu rural, milieu urbain et milieu périurbain – et améliorer le taux de remplissage des véhicules particuliers, notamment avec le covoiturage, comme pour les camions ou le fret.
L'analyse prospective a également pour objet d'évaluer les bons niveaux d'action. C'est le cas pour la rénovation thermique des bâtiments. Nous savons tous que la rénovation est nécessaire, mais nous constatons dans les politiques et les mesures actuelles une logique de petits pas, de rénovation par étapes qui n'est pas à la hauteur des besoins et qui risque même, à terme, de tuer le gisement des besoins de rénovation thermique complète, performante, en profondeur de l'ensemble de notre parc. L'analyse prospective sert à la fois à identifier le besoin et à penser des politiques et mesures. L'association négaWatt est porteuse de propositions visant à s'orienter progressivement vers une sorte d'obligation de rénovation, vers le développement de solutions simples de tiers financements et d'équilibre de trésorerie pour ces opérations, afin de permettre leur massification.
L'analyse prospective permet également d'identifier des ruptures. Les acteurs industriels, qui ont tendance à penser de manière incrémentale à partir de leur situation actuelle, peinent à se projeter dans le niveau de rupture nécessaire par rapport aux enjeux 2050. Nous avons beaucoup échangé sur ce point avec la DGEC dans le cadre de l'élaboration de la stratégie nationale bas-carbone.
Un autre exemple est l'identification d'enjeux pour la cohérence de l'action dans le temps. Ainsi est-il nécessaire de réfléchir à la possibilité de verdir, à moyen et à long terme, des vecteurs énergétiques comme le gaz et l'électricité, d'envisager l'équilibre entre ces vecteurs par rapport aux usages, aux ressources disponibles, aux infrastructures et aux réseaux. Par exemple, il importe de se préoccuper de la nécessaire revalorisation du réseau gaz existant dans des trajectoires à long terme. Cela nous conduit à privilégier un équilibre entre le gaz et l'électricité, tous deux devenant 100 % renouvelables à long terme, et à envisager l'utilisation du gaz pour la mobilité.
Cette vision prospective permet de penser à long terme le renforcement et le confortement de l'ambition. Nous avons été précurseurs en France dans l'affirmation que le 100 % renouvelable est possible. Nous avons été rejoints depuis par de nombreux acteurs. Cela se traduit fortement dans la vision du système électrique par la possibilité d'aller vers une électricité 100 % renouvelable, avec ce que cela implique au regard de la trajectoire définie par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). De notre point de vue, en maintenant plus qu'il n'est nécessaire la capacité nucléaire à long terme, cette trajectoire est beaucoup trop prudente et contre-productive.
Mesdames, Messieurs, ces quelques illustrations montrent l'utilité de l'analyse prospective pour penser l'urgence de long terme et accélérer la transition énergétique.