« [Le pêcheur] livre au hasard sombre une rude bataille.
Pluie ou bourrasque, il faut qu'il sorte, il faut qu'il aille,
Car les petits enfants ont faim. Il part le soir,
Quand l'eau profonde monte aux marches du musoir.
Il gouverne à lui seul sa barque à quatre voiles. [... ]
Lui, seul, battu des flots qui toujours se reforment,
Il s'en va dans l'abîme et s'en va dans la nuit.
Dur labeur ! tout est noir, tout est froid ; rien ne luit. »
Ces quelques vers de Victor Hugo ne sont pas seulement une évocation poétique, mais la description d'une réalité sociale, la même que celle que dépeignent d'autres écrivains classiques comme Pierre Loti ou Joseph Conrad. Or, avec le temps, la dureté et le danger inhérents à ce métier n'ont pas changé ; nous en avons entendu plusieurs témoignages aujourd'hui. J'invite ceux qui en douteraient encore à lire un livre contemporain et très puissant sur le sujet : Le Grand Marin, de l'écrivaine Catherine Poulain, qui décrit de façon à la fois épique et très réaliste la vie des pêcheurs au large en Alaska au XXIe siècle – un enfer.
Elle confirme ainsi ce que nous savons : que la pêche est l'une des activités les plus exigeantes et les plus dangereuses qui soient, tous secteurs confondus. On a pu parler à cette tribune de l'alcool, de la drogue, mais que dire du manque de sommeil ? Or les pêcheurs passent de longues heures, souvent de longs jours, en mer, sans dormir ou presque dès que le poisson est présent. Ils accomplissent un travail ardu où ils sont amenés à manier des équipements parfois dangereux dans des conditions souvent éprouvantes.
Il y a une semaine, dans les Côtes-d'Armor de notre cher rapporteur, le parquet a requis une amende de 5 000 euros contre un armateur à la suite de l'accident d'un marin dont le bras avait été pris dans un treuil sur un chalutier en mer. L'armateur est notamment poursuivi pour ne pas avoir dispensé à ses équipes une formation appropriée et pratique.
Cela a été dit : chaque année, 24 000 pêcheurs font leur trou dans l'eau. Partout dans le monde, les pêcheurs meurent plus vite et plus souvent que les autres travailleurs. Dans notre seul pays, 243 accidents ont été déclarés en 2016.
Face à ce constat, il faut agir et, pour cela, la ratification de la convention apparaît indispensable. La France est aujourd'hui le quatrième producteur de pêche et d'aquaculture de l'Union européenne.
Cela étant, la ratification ne changera pas grand-chose s'agissant de la réglementation des conditions de travail des pêcheurs français. Comme l'a expliqué M. le rapporteur, la France avait en effet anticipé la mise en oeuvre de la convention par une réforme globale engagée en 2015. Mais notre pays va plus loin : il est l'un des rares pays européens à avoir ratifié, dès octobre 2015, la convention n° 188 de l'Organisation internationale du travail concernant le travail dans le secteur de la pêche, laquelle vise à garantir un travail décent aux personnes employées dans le secteur.
Peut-être ne le saviez-vous pas : la France a parrainé et soutenu dès l'origine la démarche engagée en 2001 par les partenaires sociaux maritimes afin d'instaurer un véritable code du travail mondial pour les gens de mer dans le cadre de l'OIT. Je dois vous avouer quelque chose à ce sujet : j'étais à l'époque représentant du Gouvernement français au conseil d'administration du Bureau international du travail ; à ce titre, j'avais défendu le projet et nous l'avions financé, nous, pouvoirs publics, notamment dans le cadre d'un atelier de négociations organisé dans notre beau pays, à Nantes.
Toutefois, comme l'a dit notre collègue Jumel, la réglementation est une chose, son application en est un autre.
Pour terminer, je voudrais aborder un point particulier : le dumping social.
Certes, seuls vingt-six pays ont ratifié le texte à ce jour et l'on peut regretter le manque d'engagement des quelques grands pays encore en retard dans le processus. Mais, outre les États de l'Union européenne, de nombreux pays en voie de développement l'ont ratifié, y compris à proximité de nos territoires d'outre-mer. Je songe aux Kiribati, à la Sierra Leone, aux Palaos, à Sainte-Lucie, à la Namibie, à la Roumanie. Si ces ratifications sont importantes pour nos pêcheurs, c'est qu'elles offrent un moyen de lutter contre le dumping social.
Après le durcissement de la directive sur les travailleurs détachés, en juin 2017, et la décision d'encadrement du transport routier international, en décembre dernier, la ratification de la présente convention va fournir une nouvelle preuve du fait que la France est en pointe dans la lutte contre la concurrence déloyale et le moins disant social.