Nous sommes invités aujourd'hui à approuver la ratification de la convention n°184 de l'Organisation internationale du travail en matière de santé et de sécurité au travail dans le secteur agricole, l'un des trois secteurs les plus dangereux pour la santé des travailleurs, avec les industries extractives et la construction.
Avant un propos général sur les contradictions de notre pays en matière de sécurité et de santé dans l'agriculture et sur sa passivité libérale, je voudrais faire un passage par le pays de Bray, cette terre d'élevage dans ma circonscription. C'est une manière de planter le décor, de rappeler ce que signifient la rudesse des métiers de la terre, la pénibilité, l'épreuve et l'endurance des corps, les risques et la santé à l'épreuve du travail paysan.
Ce détour en pays de Bray, c'est un résumé de la journée d'un éleveur producteur de lait. Au printemps – nous y sommes – , de 6 heures à 6 h 30, c'est le tour des troupeaux pour la surveillance et le déplacement vers la traite ; de 6 h 30 à 8 heures, la traite en salle de traite ; de 8 heures à 8 h 20, le lavage ; de 8 h 20 à 9 heures, le nettoyage des surfaces en béton, le raclage avec le tracteur ; de 9 heures à 9 h 30, la buvée des veaux et la surveillance des autres animaux ; de 9 h 30 à 10 h 30, l'affouragement avec deux machines spécifiques pour le levage et la distribution, puis le paillage. Voilà trois heures trente de travail d'astreinte qui viennent de s'écouler, avec trois tracteurs ou automoteurs, auxquels s'ajoutent de quinze à trente minutes d'enregistrement des événements des animaux.
Si le temps y est propice, l'éleveur effectue le travail de saison, plus ou moins long suivant la période. Il devra atteler plusieurs matériels différents sur les tracteurs utilisés le matin. Pour effectuer trois à cinq heures de travail de saison, il aura posé six à huit béquilles de calage et commandé dix à douze manettes hydrauliques différentes liées au matériel, monté et descendu trois à cinq marches d'escalier plus de soixante fois en salle de traite, sur le tracteur etc.
De 17 heures à 19 heures, retour à l'astreinte : il faut rapprocher les animaux de la traite et assurer la buvée des veaux si besoin. S'il est employeur de main-d'oeuvre, l'agriculteur éleveur remplit le document unique, fastidieux, d'évaluation des risques professionnels. Mais celui-ci ne tient pas compte de la fatigue, des entretiens et calages mal réalisés, des freins, béquilles et manettes mal entretenus, ni de la vitesse d'exécution.
Tout cela n'est qu'un bref aperçu de ce que subissent les organismes de ceux qui travaillent aux champs – amplitudes horaires très larges ; astreintes sept jours sur sept pour les éleveurs ; manutention avec des changements d'outils incessants qui multiplient les risques de blessures et font de la profession agricole une profession où l'on ne compte plus les lumbagos puis, à l'heure de la retraite, les corps usés. Hier encore, j'étais dans une ferme où l'agriculteur, pourtant jeune, me disait souffrir de ce mal de dos récurrent. Cette réalité rend nécessaire une attention vigilante des pouvoirs publics à la santé dans le secteur agricole. Elle impose des pas en avant, à l'instar de cette convention, dont l'objet est de « garantir aux agriculteurs la même protection que celle dont bénéficient les travailleurs d'autres secteurs ».
Entrée en vigueur il y a plus de quinze ans – je salue, au passage, la classe d'un établissement de Dieppe qui vient de prendre place dans les tribunes – , cette convention a été à ce jour ratifiée par seize États. Dans un contexte de ralentissement du rythme de la ratification des conventions de l'OIT au plan mondial, la ratification de cette convention par la France, membre fondateur d'une organisation qui fête son centenaire, a une portée symbolique qu'il ne faut sans doute pas surestimer ni négliger non plus.
Le crédit de la France à l'international est, en effet, aujourd'hui largement entamé par une politique étrangère incohérente. La politique des petits arrangements ainsi que l'alignement systématique sur la politique économique allemande et sur la politique étrangère américaine ont fait perdre à notre pays sa crédibilité sur la scène internationale.
Nous pouvons sans doute nous satisfaire que la France respecte le socle minimal de normes sociales prévues par la convention en matière agricole, mais il nous faut garder à l'esprit que la santé et la sécurité dans le secteur agricole restent dans notre pays des sujets d'actualité, tant en matière de régulation des échanges internationaux que de protection des agriculteurs et des riverains contre certains risques sanitaires avérés.
Les accidents mortels qui ont frappé de jeunes travailleurs l'an dernier invitent aussi, monsieur le secrétaire d'État, à tirer des conséquences dans ce secteur et, au-delà, sur la réforme de l'inspection du travail intervenue en 2014.
On peut s'interroger sur la portée, dans le cadre des échanges internationaux, de la ratification par la France des conventions de l'OIT. Notre assemblée a autorisé, en février dernier, la ratification du traité de libre-échange négocié entre l'Union européenne et le Japon. Or le Japon n'a pas ratifié deux des huit conventions fondamentales de l'OIT : celle relative à l'abolition du travail forcé et celle concernant la discrimination. Cela implique que ces deux conventions ne sont pas applicables dans le cadre du traité. Le principe de précaution ne l'est pas davantage, alors que le Japon est le pays qui autorise le plus d'organismes génétiquement modifiés dans l'alimentation.
Cela illustre le niveau de considération que les libéraux que vous êtes – veuillez m'excuser de le dire devant vous, monsieur le secrétaire d'État – ont pour les normes sociales et environnementales, qui, selon vous, font souvent obstacle au commerce de manière excessive. De ce point de vue, le principe édicté dans la loi EGALIM selon lequel il convient de « veiller dans tout nouvel accord de libre-échange [… ] à un degré élevé d'exigence dans la coopération en matière de normes sociales, environnementales, sanitaires, phytosanitaires et relatives au bien-être animal » apparaît comme une barrière de papier.
Nous ne pouvons pas davantage nous satisfaire de la situation en matière d'exposition des agriculteurs et du monde agricole au risque chimique. Dix ans après le lancement, en 2008, du premier plan Écophyto, qui visait à réduire de 50 % la consommation de pesticides au cours de la décennie, un constat s'impose : loin d'avoir baissé, la consommation de pesticides a augmenté, au point que le Gouvernement a reporté à 2025 l'objectif de diminution.
Les causes de cet échec sont multiples : les exigences de rendement et l'aggravation des logiques de compétitivité, évidemment, mais aussi le fait que l'on a renoncé à modifier le modèle agricole français pour lui donner une dimension humaine. Faute de moyens pour accompagner les agriculteurs et d'une meilleure implication de l'ensemble des acteurs de la chaîne en aval – industrie agro-alimentaire et grande distribution – , nous ne parvenons pas à faire évoluer la situation dans le sens d'une amélioration du cadre normatif, ce que nous regrettons devant vous aujourd'hui.
L'enjeu environnemental et sanitaire devrait pourtant nous conduire à faire preuve d'une plus grande volonté lorsqu'il s'agit de soutenir la recherche, notamment publique, de protéger notre agriculture contre les ravages du libre-échange et de soutenir activement nos paysans. Or, de ce point de vue, la loi EGALIM est restée très générale, quoique généreuse.
Il est également urgent – d'autres l'ont évoqué avant moi – de cesser les atermoiements en ce qui concerne la réparation des préjudices.