En 2016, la Mutualité sociale agricole a enregistré pas moins de 70 000 accidents du travail dans le secteur agricole, soit environ 11 % des accidents du travail en France. Entre les maux de dos, le stress, la fatigue ou encore les accidents liés à des machines ou à l'utilisation de produits phytosanitaires, les agriculteurs font face à des risques spécifiques, et non des moindres.
Ce projet de loi autorisant la ratification de la convention no 184 de l'Organisation internationale du travail nous invite donc à nous pencher, une fois encore, sur la question de la sécurité et de la santé de nos agriculteurs.
C'est une bonne chose car, si, en France, les travailleurs agricoles sont protégés par des normes assez strictes, ce n'est pas toujours le cas ailleurs. Et ce secteur, qui emploie un tiers des travailleurs du monde, présente 50 % des accidents du travail mortels.
Dans notre pays, la ratification n'aura pratiquement pas de conséquences, car notre droit du travail est déjà très précis en matière de sécurité. Pour autant, le texte est intéressant par sa portée symbolique. Il découle d'une volonté louable d'interpeller sur les conditions de travail dans le monde de l'agriculture et d'informer les agriculteurs sur la dangerosité de certains produits phytosanitaires. Il est donc juste que la France s'engage sur le sujet.
Cependant, ne tombons pas dans l'autosatisfaction. Les députés qui se sont exprimés en commission semblaient globalement satisfaits de la santé des agriculteurs français. C'est compréhensible si nous nous comparons avec des pays moins bien lotis. Pourtant, si l'on regarde de plus près les données fournies par l'Agence nationale de santé publique, on découvre qu'il n'y a pas non plus de quoi pavoiser.
Outre les problèmes spécifiques que j'ai déjà évoqués, c'est surtout le risque de dépression qui est extrêmement présent chez nos agriculteurs, et qui ne peut pas laisser indifférent : 14,7 % des travailleurs agricoles salariés et 21,2 % des travailleuses présentent des symptômes de dépression. Chez les non-salariés, ces taux sont de 13,6 % pour les hommes et de 19,1 % pour les femmes. Chez les hommes, la prévalence augmente significativement avec l'âge. À titre de comparaison, 5,3 % des hommes et 11,4 % des femmes de tout milieu ont souffert d'un épisode dépressif en 2017.
Ce décalage entre le secteur agricole et les autres professions n'est pas difficile à comprendre : malgré un travail colossal, de trop nombreux agriculteurs sont dans l'impossibilité de se rémunérer décemment. De même, le taux de suicide de nos agriculteurs est plus qu'alarmant, mais ce sujet n'a même pas été évoqué en commission. Or – faut-il le rappeler une nouvelle fois ? – 156 agriculteurs se suicident chaque année en France, soit environ un tous les deux jours.
C'est pourquoi il ne faut pas trop se gargariser de la ratification de cette convention qui aura peu de portée sur notre sol, alors qu'aujourd'hui, certains de nos agriculteurs sont toujours désespérés, ce qui explique ces suicides en nombre.
Il y a un réel décalage entre intentions et effets. Des députés se sont réjouis que la ratification de cette convention leur donne l'occasion de « manifester leur attachement » à la question de la sécurité et de la santé des agriculteurs. Mais ces derniers réclament plus que de l'attachement ; il leur faut des solutions concrètes.
Ratifier des conventions, c'est bien ; soutenir concrètement nos agriculteurs, c'est mieux. Poser un cadre qui mette fin à la concurrence déloyale entre notre agriculture et celle des pays étrangers, y compris de certains de nos voisins de l'Union européenne qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que nous, voilà qui serait intéressant. En ce sens, la convention pourrait être utile en tirant les normes vers le haut. Mais, à ce jour, elle n'a été ratifiée que par dix-sept pays, peu dans l'Union européenne. Tout cela prendra du temps. Du temps et du courage ! Malheureusement, je crains que nous ne nous contentions de pétitions de principe.
Prenons l'exemple du glyphosate, puisque ce sujet a été soulevé en commission et que l'on ne peut plus évoquer la santé des agriculteurs sans l'aborder. On veut l'interdire en France, mais cessera-t-on pour autant d'importer du soja américain qui en contient ? De même, et plus proches de nous, arrêterons-nous d'importer les vins espagnols dont les vignes sont traitées avec des phytosanitaires parfaitement interdits en France ?
C'est une réflexion d'ensemble sur les produits phytosanitaires qu'il faut mener. Cela concerne non seulement la santé des travailleurs agricoles et des consommateurs, l'environnement, mais aussi la rentabilité des exploitations. Car ceux qui ont consenti de gros investissements financiers ne peuvent pas changer de modèle en claquant des doigts sans prendre le risque de mettre la clef sous la porte. Santé, environnement et rentabilité des exploitations, tout est lié !