Toute cette législation a permis d'entamer une convergence sociale, qui reste toutefois aujourd'hui insuffisante. Nous mentionnons dans notre rapport des statistiques qui tendent à montrer que l'Union souffre, malgré cet acquis social très conséquent, d'une faible convergence sociale.
À l'échelle internationale, l'Union européenne est indéniablement une zone de prospérité économique et sociale. Presque tous les États du continent ont un niveau de dépenses sociales par rapport à leur PIB supérieur à la moyenne de l'OCDE, qui se situe à 22 % du PIB. Beaucoup d'autres critères le montrent, notamment la comparaison des coefficients de Gini et l'impact des impôts sur la répartition des revenus. Dans tous ces critères, les États de l'Union se distinguent nettement.
En 2010, l'Union s'est dotée d'une stratégie, appelée « Europe 2020 ». Celle-ci comprend quatre objectifs « sociaux », qui cachent souvent des réalités nationales très différentes en fonction des États. L'objectif pour le taux d'emploi global pour les personnes âgées de 20 ans à 64 ans était de 75 %. Il se situe aujourd'hui à 71 %, avec de fortes divergences : moins de 59 % en Grèce et plus de 81 % en Suède. Le deuxième objectif était la réduction d'au moins 20 millions du nombre de personnes touchées ou menacées par la pauvreté ou l'exclusion sociale. Or, entre 2008 et 2014, ce nombre a augmenté de plus de 4,8 millions, en particulier dans quatre États : l'Italie, la Grèce, l'Espagne et le Royaume-Uni. En France, ce nombre a augmenté de 390 000 personnes. Le troisième objectif visait un taux d'abandon scolaire ramené à moins de 10 %. Ce chiffre se situait en 2017 à 10,6 % (contre, il est vrai, près de 15 % en 2008). Enfin, cette stratégie visait un taux d'au moins 40 % de la population détenant un diplôme de l'enseignement supérieur. Ce taux était en 2016 de 39,1 %, soit un taux supérieur de 10 points à celui de 2006. On constate toutefois de fortes divergences dans l'Union européenne, avec un taux global inférieur à 20 % en Italie par exemple.
D'autres statistiques, assez inquiétantes, méritent d'être signalées et témoignent de certaines fractures européennes : dans l'Union européenne, les 20 % des ménages les plus riches gagnent cinq fois plus que les 20 % les plus pauvres, et cette proportion s'est creusée depuis 2010 ; le taux de chômage de longue durée varie de 1,3 % au Danemark à 15,6 % en Grèce ; le taux de pauvreté est également très variable, entre 23,4 % en Bulgarie et 13 % en France ; il en va de même pour les taux de mortalité et de fécondité, très différents selon les États, ou encore l'écart de rémunération et de taux d'emploi entre les femmes et les hommes. Ces statistiques montrent que des progrès ont pu être observés sur certains indicateurs, mais que, pour d'autres, des écarts inquiétants se creusent. La crise économique de 2008 a eu des impacts très forts sur la réalisation de ces objectifs et les élargissements successifs, notamment celui de 2004, ont rendu plus complexe l'objectif de convergence. Ces constats rendent donc d'autant plus importante la publication du socle européen des droits sociaux.
Nous mentionnons dans le rapport des évolutions importantes qui ont un impact sur les droits sociaux et qui justifient de « rafraîchir » l'acquis social européen. Il s'agit en particulier du vieillissement de la population, de l'impact des plateformes numériques sur le travail et de l'accroissement des inégalités. Le socle européen des droits sociaux a donc été proclamé dans ce contexte, en novembre 2017, lors du sommet social de Göteborg, en Suède. Son long Préambule en rappelle les principaux objectifs, notamment une croissance inclusive, la prise en compte des mutations du marché du travail, la réduction des inégalités, et l'accroissement d'un potentiel inexploité d'emplois.
Les vingt principes sont ensuite déclinés selon trois chapitres. Sans être exhaustif, on notera en particulier : l'égalité des chances en matière d'emploi et de protection sociale ; le concept « d'emplois sûrs et adaptables » ; le « droit à un salaire équitable devant respecter un salaire minimum » ; un équilibre entre vie privée et vie professionnelle ; des prestations chômage adéquates ; un « revenu minimum pour les personnes ne disposant pas d'un revenu d'activité suffisamment élevé pour vivre » ; ou encore une aide au revenu pour les personnes handicapées. On constate, à la lecture du socle, un haut niveau d'ambition et une grande diversité des sujets abordés. Nous voyons plusieurs avancées permises grâce au texte. Il permet d'abord de dessiner ce qu'est le « modèle social européen », basé sur l'égalité dans le travail, la protection sociale, la compétitivité, l'égalité des chances et le dialogue social. Il permet ensuite de définir un véritable plan d'actions pour continuer à approfondir l'Europe sociale.
Il faut toutefois souligner deux points plutôt négatifs : le socle n'est pas juridiquement opposable aux États membre, il appelle donc des traductions concrètes. De plus, certains principes sont formulés dans des termes parfois très généraux. Je vous conseille, sur ce point, la lecture de l'article 3 sur l'égalité des chances, qui est très éclairante.