Intervention de Damien Pichereau

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 9h20
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Pichereau, référent de la commission du développement durable :

Le développement et la production du stockage de l'énergie, et plus spécifiquement des batteries, constituent un impératif stratégique pour l'Europe. En effet, les batteries sont l'une des technologies clés qui permettra une décarbonisation en profondeur du système énergétique de l'Europe, en particulier dans le domaine des transports, avec l'électromobilité, et dans le domaine de l'électricité, avec le stockage des énergies renouvelables d'origine intermittente.

Notre Assemblée vient de mettre en place un nouvel outil franco-allemand pour que nous puissions mieux connaître nos fonctionnements, nos outils juridiques, nos méthodes de travail et mieux tenir compte du point de vue de l'autre, afin de rapprocher nos points de vue et de faire converger nos droits et, plus largement, nos modèles respectifs.

Alors que les sujets d'énergie, de mobilités, de politique industrielle sont en ce moment au coeur des discussions européennes mais aussi nationales, il m'a semblé pertinent de faire aujourd'hui un focus sur la façon dont l'Union européenne, mais aussi nos deux pays, unissent les efforts des différents acteurs pour relever ce défi industriel crucial pour notre avenir. Car l'émergence d'une offre industrielle de cellules de batteries européenne, innovante et respectueuse de l'environnement est un chantier prioritaire de la Commission européenne mais aussi des gouvernements français et allemand.

L'électrification des véhicules existants, équipés en seconde monte d'une batterie, peut aussi être une des solutions pouvant répondre à nos objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre et de développement des véhicules à très faibles émissions et correspond également aux principes de l'économie circulaire. Or nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation de divergence réglementaire entre la France et l'Allemagne. Ce sont donc ces points que je vais successivement développer aujourd'hui.

Le sujet des batteries est un enjeu essentiel pour la compétitivité et la souveraineté de l'industrie européenne, en particulier de son industrie automobile. La batterie est en effet un composant crucial des véhicules électriques dont elle représente près de 40 % de la valeur ajoutée. Comme le souligne avec justesse la note d'analyse de France Stratégie sur l'avenir de la voiture électrique publiée à l'automne 2018, « la batterie constitue le coeur du véhicule électrique, donc le facteur clé de la guerre industrielle. L'avantage technologique a longtemps été ici aux Sud-Coréens […] et au japonais Panasonic, le fournisseur de Tesla, qui ont donné une impulsion remarquable à la mobilité électrique ».

Sur un marché qui exige des investissements colossaux pour y entrer, les États-Unis puis les pays asiatiques disposent d'un avantage concurrentiel énorme et continuent à investir pour accroître cet avantage.

La Chine contrôle aujourd'hui 60 % du marché mondial, ce qui permet à ses fabricants d'obtenir des prix de vente parmi les plus bas. En quelques années, le coût des batteries a nettement diminué - environ 200 €kWh aujourd'hui, contre 350 €kWh à 400 €kWh en 2015 - et leur poids par kWh a lui aussi été quasiment divisé par deux. Le prix des batteries lithium-ion devrait encore baisser de 52 % entre 2008 et 2030, selon BloombergNef, ce qui transformera les modèles économiques pour les véhicules électriques et le secteur électrique. Pour France Stratégie, « la mobilité électrique, qui remet tous les constructeurs automobiles sur un pied d'égalité, offre de fait l'occasion de prendre un raccourci technologique, en faisant l'impasse sur le thermique […] et la Chine espère ainsi doubler les concurrents en coupant le virage ». Avec le basculement des voitures thermiques vers les véhicules électriques, c'est un possible effondrement de la valeur ajoutée et de l'emploi dans l'automobile en Europe auquel nous devons faire face.

Lors de la présentation de ses orientations énergétiques en novembre 2018, le Président de la République avait déploré la dépendance des constructeurs européens vis-à-vis de la Chine et de la Corée du Sud concernant la production des batteries des véhicules. Cette position du Président de la République est partagée : lundi 18 mars dernier, le Centre européen de stratégie politique, groupe de réflexion interne de la Commission européenne, a publié un rapport qui explore un nouvel équilibre possible entre ouverture et protection et présente un certain nombre d'options politiques pour garantir une concurrence équitable tout en renforçant l'ancrage européen des capacités industrielles d'innovation, en prenant en particulier l'exemple des batteries. Ce sujet, qui pourrait sembler très technique, est donc une parfaite illustration des réflexions en cours concernant la réorientation de la politique industrielle – et notre Commission a d'ailleurs décidé de se pencher, lors de sa dernière réunion de Bureau, sur le droit de la concurrence européen face aux enjeux de la mondialisation.

Selon la Commission européenne, le marché des batteries pourrait représenter 250 milliards d'euros par an à partir de 2025. Pour couvrir uniquement la demande de l'Union européenne, il faudrait au moins vingt installations de production de cellules de batterie à grande échelle établies en Europe. Or le chinois CATL, premier fabricant mondial, a annoncé, à l'image des coréens LG et Samsung, ouvrir prochainement une usine en Europe, en Allemagne précisément, pour mieux alimenter les constructeurs européens.

Les États-Unis puis les pays asiatiques (sept entreprises chinoises figurent parmi les dix premiers fabricants mondiaux) ont pris une avance difficilement rattrapable dans les technologies connues. Si nous voulons que l'Europe et ses constructeurs automobiles reprennent la main, nous devons nous positionner sur de nouvelles technologies et de nouveaux domaines d'étude pour faire émerger une filière européenne de fabrication d'une nouvelle génération de batteries.

Face à cette situation, l'Union comme les États membres, notamment la France et l'Allemagne, compte tenu des enjeux pour leur industrie automobile, ont réagi avec énergie. Depuis le lancement de l'Alliance européenne des batteries en octobre 2017, une feuille de route européenne a été établie avec les acteurs industriels appartenant à l'ensemble de la chaîne de valeur de la production et de l'utilisation des batteries pour les véhicules électriques, et un plan d'action stratégique adopté par la Commission européenne, dont l'objectif est bien de doter l'Europe d'une capacité indépendante de développement et de production de batteries pour en faire un leader mondial.

Ce plan d'action, inclus dans le paquet Mobilité 3 présenté en mai 2018, couvre toutes les activités susceptibles d'aider les États membres, les régions et l'industrie européenne à développer des projets compétitifs, innovants et durables de fabrication dans l'Union de batteries non seulement compétitives, de haute qualité et sûres, mais aussi durables et recyclables. Il comporte des mesures concernant l'accès aux matières premières utilisées dans la production des batteries, en vue de définir des conditions-cadres attractives pour l'exploration, l'extraction et le recyclage de ces matières premières en Europe. La Commission européenne entend aussi utiliser tous les instruments de politique commerciale appropriés pour garantir un accès équitable et durable aux matières premières dans les pays tiers et promouvoir une exploitation minière socialement responsable. La Commission demande également à l'industrie de construire des capacités de raffinage de matières premières dans l'Union européenne.

Ce plan apporte également un soutien appuyé à la recherche, avec près de 200 millions d'euros pour des appels à projets dans le cadre d'Horizon 2020, soutien qui sera prolongé dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel, au titre du programme Horizon Europe. Parallèlement, un réseau d'environ 260 acteurs de l'innovation et de l'industrie, issus de tous les segments de la chaîne de valeur des batteries, est mobilisé.

Enfin, il vise à préparer la révision de la directive de 2006 et, compte tenu de la pause résultant des élections, l'objectif est d'aboutir d'ici 2021. Dans ce cadre européen, l'Allemagne et la France ont officiellement annoncé le 18 décembre 2018 une coopération approfondie pour développer en Europe la conception et la production de cellules et de modules de batteries innovantes et respectueuses de l'environnement, en l'inscrivant dans le cadre communautaire des projets importants d'intérêt européen commun, les PIIEC, qui permet de surmonter l'obstacle des règles limitatives en matière d'aides d'État. Outre la création d'un environnement propice au développement de l'industrie des batteries et un soutien aux start-up actives dans ce domaine, la France et l'Allemagne ont annoncé un fort soutien public : le gouvernement fédéral allemand va allouer un milliard d'euros jusqu'en 2022, pour soutenir le développement d'une production de cellules de batteries en Allemagne, en France 700 millions d'euros seront déboursés sur cinq ans, les collectivités locales étant invitées à ajouter leur propre soutien financier.

Mais surtout cette coopération a pour ambition le développement de consortiums industriels. L'appel à manifestation d'intérêt pour identifier les acteurs qui pourraient participer, sur le territoire français, à un premier projet d'envergure a été réalisé en janvier 2019, ce projet devra ensuite être soumis à l'approbation de la Commission européenne afin d'obtenir au cours de la première moitié de 2019 ce statut de PIIEC. Le futur « Airbus des batteries », comme la presse surnomme ce projet, n'est donc qu'au début du chemin, et il nous faudra être très vigilant pour qu'il ne risque pas la sortie de route. La compétition est aujourd'hui à l'échelle mondiale. Notre vigilance à l'échelle européenne doit se doubler d'une vigilance à l'échelle nationale, et je sais notre Présidente très attachée à ce que nous veillions à une bonne articulation entre ces deux plans dans tous nos travaux.

La transformation des véhicules thermiques en véhicules électrique via un remplacement complet de la motorisation – un « retrofit » – pourrait nous permettre de profiter du parc de véhicules existants pour développer la mobilité électrique plus rapidement, faire l'économie de la construction de véhicules neufs et donc de la consommation d'énergie et des émissions de CO2 associées.

Tandis que l'Allemagne, mais aussi l'Italie, ont mis en place un processus d'homologation clair, spécifique aux véhicules électrifiés, la procédure française est très complexe et ne permet pas de commercialiser ces véhicules. Elle bute sur une exigence, l'avis technique préalable du constructeur d'origine. Ce point est bloquant puisque ledit constructeur n'a aucun intérêt à voir se développer une solution concurrente et moins chère que les véhicules électriques qu'il développe lui-même. Pourtant, des précédents existent de modification de la source d'énergie pour les véhicules, en seconde monte, pour les carburants GPL et Superéthanol E85.

Quelle est la conséquence de cette divergence d'approche ? De tels véhicules pourront être homologués en Allemagne, ils pourront évidemment rouler sur le territoire français mais ils ne pourront pas y être commercialisés. Nous nous privons donc d'une possibilité de développement industriel et nous privons nos concitoyens d'un accès facilité à la mobilité durable, en particulier pour toute une frange de la population propriétaire de véhicules anciens polluants mais ne disposant pas des revenus lui donnant accès aux véhicules électriques neufs distribués par les constructeurs traditionnels. Ce sujet fait aujourd'hui l'objet d'un examen par l'Exécutif, afin d'identifier les conditions, notamment d'équité et de sécurité, qui pourraient autoriser ce « retrofit » de la motorisation, car la demande est réelle, et permettrait d'élargir encore le marché potentiel pour les batteries que j'évoquais au début de mon propos.

Pour conclure, ce sujet des batteries illustre à l'évidence l'impérieuse nécessité d'une coordination de nos actions à l'échelle européenne et à l'échelle nationale, en particulier de la part du couple franco-allemand, et l'importance d'une action sur l'ensemble de la chaîne de valeur, de la start-up dans nos circonscriptions au futur « Airbus des batteries » car ce sont des actions démultipliées qui nous permettront d'apporter des réponses adéquates et adaptées à tous les enjeux de la transition énergétique durable, en particulier en matière de mobilités.

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