Moi aussi, je les aime, comme toutes les villes et les territoires méditerranéens, et je me sens aussi marseillais que chacun ici.
La condition féminine est l'un des agendas sur lesquels les 43 pays sont d'accord. Chacun se donne un droit de regard sur les autres pour améliorer la situation, promouvoir l'autonomisation des femmes, leur rôle comme cheffes d'entreprise, l'égalité femmes hommes dans le travail. Sur cette question, il existe un consensus et les États membres ont tendance à laisser leurs différends à la porte lorsqu'elle est abordée. Je ne mentirai pas en prétendant que la situation des femmes sur le pourtour sud de la Méditerranée est excellente – les défis sont immenses. Mais, comme l'a dit Pierre Duquesne, nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et certains seront surpris de constater qu'en matière de cadre normatif, les choses sont parfois plus avancées sur la rive Sud que sur la rive Nord. Mais je suis très honnête et très ouvert sur la question, et il est vrai que, dans la pratique, les réalités sont différentes.
Vous avez soulevé la question des moyens. Il est vrai qu'il s'agit d'une petite structure, avec des moyens très limités et j'approuverai tous ceux qui souhaiteront améliorer notre capacité d'action, et nous aider à passer d'un rôle de facilitateur à une agence apte à intervenir de façon concrète et forte sur différents chantiers, pourquoi pas à travers un fonds fiduciaire, ainsi que Pierre Duquesne l'avait proposé lors d'une réunion – la France nous soutient beaucoup en ce sens.
Nous avons une particularité unique, celle d'inspirer la confiance aux grandes agences européennes de développement. Nous travaillons ainsi avec les Allemands – la GIZ -, avec les Suédois – la SIDA –, avec les Norvégiens – la NORAD. Nous sommes en négociation avec l'Agence française du développement (AFD) et avec l'agence de développement espagnole – l'AECID. Toutes nous font confiance en matière de priorités et de management budgétaire, ce qui permet une certaine flexibilité dans nos interventions. Pour autant, nous sommes loin d'avoir atteint une pleine puissance financière.
Certains commentaires font du format « 5+5 » et du sommet proposé par le Président de la République une alternative à l'UPM. Mais personne, en France, dans le bassin méditerranéen ou au sein de l'Union européenne, ne le croit. De fait, l'Europe a deux voisinages, l'Est et le Sud. Ce dernier ne se limite pas à cinq pays, pas plus que la Méditerranée ne peut être réduite à cinq pays. Les problèmes de la Méditerranée – l'Égypte avec 100 millions d'habitants, la Syrie, ou encore le Liban – ne trouveront pas leur solution à travers ces cinq pays. Toutefois, le « 5+5 » demeure un cadre de coopération qui a prouvé son efficacité et qui va de l'avant. Appuyé par l'UPM et d'autres partenaires, il peut donner l'exemple. On peut aussi encourager les synergies avec le processus d'Agadir – qui vise l'intégration économique au sein de la Méditerranée Sud –, par exemple, ou avec les initiatives dans le domaine gazier – je reviendrai sur les problèmes liés aux forages.
Concernant les migrations, quel est le rôle de l'UPM ? Je serai très honnête, elle ne saurait gérer directement la crise ; elle est plutôt là pour travailler sur les racines de ce problème. Quelles sont-elles ? Vous les connaissez tous : elles sont à la fois socio-économiques, liées aux changements climatiques, aux évolutions géopolitiques du Printemps arabe, mais aussi aux crises de l'Afrique subsaharienne, voire asiatiques – beaucoup d'Iraniens et d'Afghans traversent la Méditerranée. Les pays du pourtour sud, considérés en Europe comme foyer d'immigration, sont en réalité des pays de transit : le nombre de réfugiés résidant dans ces pays est cinq ou six fois plus important que ceux qui ont pu traverser la Méditerranée pour venir en Europe ! En Europe, le problème est vu comme purement européen. Or il est dix fois plus important au sud qu'au nord de la Méditerranée : douze à quinze millions de réfugiés y habiteraient ; au Liban, 30 % de la population sont des réfugiés – soit un habitant sur trois ; en Jordanie, le ratio est très proche ; cinq millions de réfugiés vivent sur le territoire égyptien ; la situation est identique au Maroc. Nous devons imaginer une approche de moyen et long termes pour ces pays de transit, comme le préconise le président de la République dans son initiative, mais aussi la Commission européenne avec l'Africa Investment Platform (AIP) ou les processus de Rabat et de Khartoum.
Grâce au leadership européen, mais aussi à l'investissement des pays du sud, maintenant que la pression médiatique est retombée – les flots d'immigration ne sont pas au même niveau qu'il y a deux ou trois ans –, nous commençons à réfléchir sur le moyen et le long termes et les racines de ces migrations.
Vous estimez que l'UPM ne peut se targuer de résultats concrets : mais au regard de nos moyens et du contexte géopolitique, nous avons déjà fait beaucoup. Je ne suis là que depuis cinq mois, il ne s'agit donc pas de défendre mon mandat – je le ferai dans quatre ou cinq ans. Vous évoquez 2008 : vous avez raison, légalement parlant, mais en réalité, l'UpM a commencé à fonctionner en 2011, le secrétariat ayant été établi en 2010. En sept ans, nous avons tout de même défini des plans et une vision commune dans une douzaine de secteurs majeurs – environnement, changement climatique, femmes, coopération industrielle, etc.
Quelle relation entretient l'UPM avec la politique de voisinage ? C'est une question très pertinente. Nous représentons la dimension régionale de cette politique et sommes dotés d'une gouvernance équilibrée et équitable entre le nord du sud, contrairement à la politique de voisinage, certes très positive et disposant d'un programme ambitieux d'aide aux pays du pourtour sud de la Méditerranée, mais qui reste une politique européenne vis-à-vis de des pays du sud. À l'inverse, notre politique n'est pas bilatérale, elle est régionale. Elle est également la dimension régionale et méditerranéenne des dix-sept objectifs de développement durable (ODD) qui couvrent à la fois l'environnement, les changements climatiques, l'emploi ou l'éducation.
Je conclurai par l'optimisme, avec lequel j'ai commencé : malgré les difficultés et une situation géopolitique complexe, ce que nous avons pu accomplir dans une période difficile me donne de l'espoir d'aller de l'avant dans les années à venir.
Nous ne sommes pas « un luxe » car l'Europe ne peut pas se permettre de ne pas forger d'étroites relations avec ses voisins et partenaires du sud, tout comme le sud ne peut se permettre d'exister sans une relation structurée, structurante et organique avec l'Union européenne.
La volonté politique est là, je le vois dans les réunions de hauts fonctionnaires ou de ministres. Les années qui viennent, le Dialogue « 5+5 » le Sommet des Deux Rives à Marseille ne feront que renforcer cette tendance.