Mes chers collègues, je vais vous présenter le protocole dit de Nagoya-Kuala Lumpur, signé le 15 octobre 2010, qui porte sur la responsabilité et la réparation des dommages à la biodiversité liés à des mouvements transfrontières d'organismes vivants modifiés (OVM). Pour la clarté du débat, je vais d'emblée vous préciser ce que recouvre cette notion d'OVM – organismes vivants modifiés, car il est vrai que nous sommes plutôt habitués à entendre parler d'OGM. En fait, les OVM sont une sous-catégorie des OGM, qui regroupent les semences, plantes, boutures, animaux, micro-organismes génétiquement modifiés susceptibles de se reproduire et de se disséminer dans l'environnement. En gros, les OVM n'incluent pas les produits à base d'OGM prêts à la consommation, lesquels ne sont plus vivants, et donc, ne présentent pas, en tant que tels, des risques pour la biodiversité. Notre protocole porte donc uniquement sur les OVM, en ce qu'ils peuvent être à l'origine de dommages pour la diversité biologique.
Il y a en réalité une filiation directe entre le protocole que nous examinons aujourd'hui et la convention sur la diversité biologique signée lors du sommet de la Terre de Rio, en 1992. L'article 19 de cette convention abordait sans trop de préjugés les questions relatives aux biotechnologies, évoquant le fait qu'il pourrait être nécessaire de réglementer les mouvements d'OVM pour protéger la biodiversité. Dans les années qui ont suivi, l'essor des biotechnologies s'est accompagné de violentes controverses sur les risques que présentaient leurs applications, notamment dans le domaine des OVM. L'Union européenne – et en son sein, la France – ont finalement opté pour un principe de précaution, c'est-à-dire une démarche de prévention des risques en l'absence de certitudes scientifiques sur les effets des OVM sur l'environnement et la santé.
Attardons-nous un instant sur ces risques, documentés par de nombreuses études. En général, les plantes génétiquement modifiées ont soit une tolérance aux herbicides, soit une résistance aux insectes ravageurs, soit une combinaison des deux. Mais il peut y avoir un revers de la médaille. Les OVM résistants à certains ravageurs peuvent également détruire des populations d'insectes non ciblées, ou encore entraîner le développement d'une résistance chez les insectes ciblés. Par ailleurs, les plantes OVM peuvent, en raison de leurs caractéristiques améliorées, devenir envahissantes dans le milieu où elles sont implantées. La culture des OVM peut aussi induire certaines pratiques agricoles nuisibles à l'environnement, par exemple en favorisant la monoculture.
Ces risques sont soulignés par le protocole de Carthagène, conclu en 2000, qui réglemente les mouvements transfrontières d'OVM en s'appuyant sur une démarche de précaution similaire à celle de l'Union européenne. En substance, un pays doit toujours donner son accord préalable pour l'importation d'OVM et bénéficier dans ce cadre d'une évaluation sur les risques pour la santé et l'environnement. Et les pays en développement doivent bénéficier d'une aide technique à cette fin. Le protocole de Carthagène a été ratifié largement : il compte aujourd'hui 171 États parties, dont certains grands producteurs d'OVM, comme le Brésil (2ème mondial) et l'Inde (5ème mondial). D'autres grands producteurs ne l'ont pourtant pas rejoint, à commencer par les États-Unis, premier producteur mondial, ou encore l'Argentine et le Canada.
Dans le protocole de Carthagène, les parties n'étaient pas parvenues à se mettre d'accord sur un mécanisme de responsabilité et de réparation en cas de dommages liés à des mouvements transfrontières d'OVM. C'était pourtant un complément indispensable en cas d'échec de la démarche de prévention. L'article 27 du protocole prévoyait donc que la négociation devrait se poursuivre sur cette question.
Cela nous mène au protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur, que nous examinons aujourd'hui. Sa négociation a été difficile, car les positions étaient très opposées, entre les pays producteurs et consommateurs d'OVM, qui voulaient réduire au maximum le champ du dommage pris en compte, et les pays soucieux d'éviter une trop grande dissémination. Cette deuxième catégorie rassemble les pays de l'Union européenne, mais aussi les pays en développement, qui n'ont pas les moyens de contrôler cette dissémination.
Finalement, les parties sont parvenues à se mettre d'accord sur un mécanisme de responsabilité administrative en cas de dommage, significatif et prouvé, sur la biodiversité, causé par un mouvement transfrontière d'OVM, qu'il soit légal, non-intentionnel ou illicite. Qu'implique cette responsabilité administrative ? Dans une situation de dommage avéré ou imminent sur leur territoire, les États doivent contraindre les opérateurs – c'est-à-dire toute personne manipulant des OVM – à prévenir les autorités compétentes, à évaluer ce dommage, et à prendre des mesures visant à l'éviter ou à le réparer. Dans certains cas, les autorités du pays peuvent assurer elles-mêmes la réparation du dommage, le cas échéant en recouvrant les coûts auprès des personnes responsables.
Ce mécanisme est incontestablement une avancée car il est contraignant, et s'applique également à des OVM en provenance d'États non parties au protocole. Certains pays, notamment les pays en développement, auraient voulu aller plus loin et prévoir des mécanismes contraignants de garantie financière pour les exploitants confrontés à ces risques, et de responsabilité civile pour organiser la compensation du dommage. Le protocole en prévoit la possibilité sans l'imposer aux parties. La France n'y était pas particulièrement favorable.
Quelle est la situation de notre pays par rapport à ce texte ? Vous ne serez pas surpris d'entendre que la réglementation européenne est assez exigeante dans le domaine des OVM et de la responsabilité environnementale. De ce fait, tous les pays de l'Union ont déjà mis en place, depuis la directive sur la responsabilité environnementale de 2004, un mécanisme pollueur-payeur pour toutes les atteintes à l'environnement. Les dommages liés aux transferts d'OVM en font partie. Ainsi notre législation est entièrement conforme au protocole de Nagoya-Kuala Lumpur, dont les exigences restent moindres.
Quels sont concrètement les enjeux pour notre pays ? En réalité, ils sont limités. La France ne produit plus aucun OVM, à titre commercial depuis 2008 et à titre expérimental depuis 2013. Au sein de l'Union européenne, seule la culture du maïs MON 810 est autorisée, et il n'y a que l'Espagne et le Portugal qui le cultivent, de manière limitée. Ainsi les risques de dommages à la biodiversité liés à des OVM sur notre territoire ne pourraient venir que d'une contamination fortuite via l'Espagne ou via des semences importées. Ce risque est faible mais il n'est pas inexistant. Les services du ministère de l'Agriculture nous ont rapporté la détection récente de semences de colza OVM au sein d'un lot de colza importé d'Argentine. La pollution était faible : de l'ordre de 0,05 % ; mais les parcelles concernées ont toutes été détruites.
Ainsi, nous devons rester prudents et renforcer nos capacités d'évaluation quant aux impacts possibles des OVM. À moyen terme, il semble utile de promouvoir, à l'échelle internationale, la démarche de précaution que nous avons mise en place. Ce protocole y contribue, et c'est pourquoi nous devons le ratifier. Mais n'oublions pas que le principe de précaution suppose une démarche scientifique active pour lever les incertitudes. Certains pays investissement massivement dans la recherche sur les biotechnologies, y voyant notamment le moyen de nourrir la planète face à l'explosion démographique. Cette idée est contestée, mais nous devons nous donner les moyens de contribuer à ce débat sur le plan scientifique.
Pour conclure, la ratification du protocole de Nagoya-Kuala Lumpur ne suppose aucune modification de notre droit interne, et il est en résonance avec nos préoccupations concernant les OVM et la responsabilité environnementale. Le Sénat l'a approuvé en novembre dernier. Je ne vois donc que des bonnes raisons de faire de même.