Intervention de Mounir Mahjoubi

Réunion du jeudi 14 mars 2019 à 10h00
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique :

Une partie de la solution au problème des nouvelles pratiques numériques des groupuscules d'extrême droite de toutes générations – et non pas seulement des plus jeunes – consiste à y consacrer du temps afin qu'elles soient mieux comprises, comme nous y invite Tristan Mendès France, par les parlementaires, les pouvoirs publics et les citoyens.

Nous constatons l'influence multiforme et croissante de l'extrême droite en ligne. La nébuleuse de la fachosphère constitue la majeure partie d'un ensemble beaucoup plus vaste que certains appellent la « réinfosphère », dans laquelle sont également inclus des complotistes, qui peuvent être d'autres obédiences, qui ne se reconnaissent pas toujours dans l'extrême droite mais qui la rejoignent sur certains sujets, amplifiant ses messages.

Cette nébuleuse étend ses ramifications à l'ensemble du web social et j'expliquerai en quoi le web social constitue pour nous tous un défi nouveau. Son influence est croissante et touche des cibles nouvelles, notamment les jeunes. Pour la première fois cette année, le taux d'équipement en smartphones des jeunes de 18 à 25 ans a atteint près de 100 % en France, étant entendu que le nombre de ceux qui n'en ont pas est compensé par celui de ceux qui en ont plusieurs. Autrement dit, tous les jeunes ou presque ont accès à internet dans leur établissement scolaire et en-dehors. La connexion aux réseaux, qui était autrefois une pratique exceptionnelle, notamment le soir, est désormais une pratique permanente.

Les volumes de conversation générés par ces sphères rivalisent avec certains médias traditionnels, notamment écrits et télévisuels. Certains groupuscules peuvent générer des audiences de plusieurs centaines de milliers voire plusieurs millions de personnes, les rapprochant ainsi des médias qui ont eu, jusqu'à présent, l'impact le plus fort sur les Français.

Cet écosystème se compose d'acteurs multiples. Il y a les grandes marques de la fachosphère comme Fdesouche, peut-être la plus ancienne, mais aussi Égalité et Réconciliation, Boulevard Voltaire, ou Démocratie participative. Traditionnellement, c'est un site internet ou un blog – le terme étant passé de mode, on dit plutôt un site avec des articles – qui est à l'origine du dispositif et qui s'est accompagné ces dernières années de déclinaisons sur les réseaux sociaux, lesquels servent à diffuser les articles du site ou, à travers des comptes actifs, à jouer un rôle actif différent. Hélas, la fachosphère a été la plus innovante en la matière : elle a été la plus rapide à utiliser des comptes Twitter comme des comptes d'attaque, d'influence et d'impact. Ces comptes sont souvent sous pseudonyme et automatisés – j'ai fait référence à ce propos à l'émergence de comptes « bioman », moitié-homme moitié-robot, qui produisent des contenus au rythme d'un bot à raison d'une fois par demi-heure environ mais dont on voit qu'ils sont pilotés par un être humain car ils sont moins bien écrits et répondent du tac-o-tac. Ces comptes sont importants à regarder car ce sont souvent les plus efficaces en termes de propagation des contenus.

Cette galaxie globale de comptes forme une galaxie d'amplificateurs qui permet de mettre en mouvement de manière quasi-systématique tous les sujets polémiques, notamment ceux qui concernent l'immigration, qui font l'objet d'une mobilisation générale de toute la fachosphère car ce sont peut-être ceux qui unissent le mieux ses membres. Les graphiques sociaux représentant les dynamiques de propagation des contenus permettent de cerner le contour de cette galaxie.

À ces acteurs s'ajoutent les pure players ultimes, qui ne sont nés ni d'un blog ni d'un compte Twitter mais qui sont nés en tant que comptes 100 % Facebook, soit sous la forme initiale de groupes soit sous forme de pages, soit de chaînes YouTube sans affiliation à un site quelconque. À la façon des néo-youtubeurs de ces dernières années, ils fédèrent une audience parfois très importante et relaient des thèses et des contenus d'extrême droite sans pour autant déclarer ou verbaliser leur affiliation à ces théories. Les grandes marques, au contraire, sont fières de se dire d'extrême droite et d'affirmer leur héritage « pro-fa », selon leur propre vocabulaire.

Il existe dans cet écosystème un autre type de médias qui appartiennent selon moi à la réinfosphère, même s'il est polémique de les inclure dans la sphère d'extrême droite, car ils reprennent souvent voire constamment les mêmes thèmes : ce sont les médias russes francophones, en particulier RT (ex Russia Today) et Sputnik. Ces deux médias sont particulièrement prisés par les acteurs que j'ai évoqués précédemment. Ces acteurs partagent massivement leurs contenus qui sont des écritures narratives sur des sujets qui les passionnent mais auxquels ils donnent toujours une caution de crédibilité : les immigrés, l'islam, l'anti-médias, l'anti-système et l'anti-gouvernement. Ceux qui partagent les contenus de ces deux médias et qui sont plutôt issus de la première sphère que j'ai abordée précédemment ont l'impression de partager des contenus qui héritent d'une plus grande caution de crédibilité, puisque les deux médias en question emploient des journalistes au sein de rédactions et qu'en bout de chaîne, ils ne sont pas identifiés comme des médias pouvant être manipulés ou téléguidés par un pouvoir extérieur. Des personnes, notamment de la circonscription où j'habite, et dont Mme Delphine O est la députée, à qui je demande pourquoi elles diffusent de tels contenus me répondent pas une question : s'agit-il ou non de médias ? Ce tampon de « médias » valide certaines thèses et le droit que certains se donnent de partager massivement certaines informations. Je pense que cela pose une vraie question. Ceux qui partagent un contenu provenant des marques que j'évoquais – Fdesouche, Égalité et Réconciliation, Boulevard Voltaire, Démocratie participative – assument leur appartenance à cette « bande » et le fait de partager ses idées. Partager un contenu francophone de RT ou de Sputnik, en revanche, ne consiste pas à affirmer son adhésion à des valeurs mais simplement à partager un contenu qui est le fruit du travail de journalistes.

Autres acteurs de cet écosystème : les forums et espaces collaboratifs qui ne sont pas des lieux de l'extrême droite mais dans lesquels elle s'emploie à créer des niches, comme Agoravox ou Jeuxvideo.com. Ce dernier site, par exemple, est l'un des plus grands forums français où les participants viennent parler d'absolument tout. Je conseille à ceux qui ne connaissent pas ce site de le consulter : on en parle souvent comme d'un lieu de terreur alors que c'est surtout le lieu de tous les questionnements adolescents, de tous les questionnements sur les meilleurs mots de passe pour hacker les jeux vidéo, de toutes les discussions sur les jeux vidéo et séries du moment. Constatant l'audience de cette agora de discussion, certains viennent y créer des niches. Or de nombreux jeunes Français passent beaucoup de temps sur ces deux espaces. Leurs parents et leur entourage ne doivent pas s'en inquiéter à l'excès, mais s'assurer qu'ils ont tous les outils nécessaires pour comprendre qui parle, car c'est souvent ce qui pose problème.

La sphère de l'extrême droite se déploie désormais sur toutes les plateformes sociales : Facebook en premier lieu, avec de nombreux groupes, mais aussi YouTube, Twitter, Instagram. Plus intéressant encore : les nouveaux territoires que sont par exemple les messageries privées cryptées comme Telegram et WhatsApp. Les groupes de discussion de cinq ou dix personnes ne réinventent certes pas le réseau social : il s'agit d'une pratique classique, de même que les « fachos » utilisaient autrefois le téléphone et les SMS. En revanche, lorsque ces groupes rassemblent des centaines voire des milliers de personnes, leur usage change et ils se muent en média destiné à diffuser des contenus susceptibles de sortir de la boucle et de se déverser à l'extérieur. C'est une zone complexe car ces messageries privées et cryptées ont une qualification juridique qui peut ne pas correspondre à l'usage qui en est fait. Les messages qui y sont envoyés sont protégés par le droit de la correspondance privée mais, lorsqu'ils sont envoyés à mille personnes, il faut s'interroger sur leur caractère quasi public.

Autre plateforme importante et intéressante : la plateforme russe VKontakte qui s'est internationalisée en prenant l'appellation vk.com. C'est un réseau social – le Facebook russe – qui, en soi, n'est pas d'extrême droite. En revanche, les premiers Français à y avoir créé des communautés sont tous d'extrême droite. Celle d'Alain Soral compte 6 000 amis ; celle de Boris Le Lay, fondateur de Démocratie participative, en compte 1 500 ; celle d'Égalité et Réconciliation près de 4 500 ; celle de Panamza environ 1 400 ; la « dieudosphère » est à la peine avec quelques centaines d'abonnés seulement, tandis que Riposte laïque en a quelque deux mille. En lisant la liste de ces communautés, je ne peux m'empêcher de me rappeler la somme d'articles qu'elles ont diffusés sur moi, sur ma suppléante Delphine O et sur notre circonscription : ces gens font énormément de mal.

Leur force tient à leur incroyable vitesse de réaction : les membres de la fachosphère sont les premiers sur le moindre sujet d'actualité. Citons par exemple l'affaire du hijab de Décathlon : ils ont commencé dans les secondes qui ont suivi – c'est tout de même impressionnant – à partager des contenus et des tactiques de partage. De même, ils ont une capacité incroyable à épouser les codes des différents réseaux sociaux et à jouer sur les émotions. Ils ont été très performants à l'époque des blogs, à celle des « vlogs » puis des chaînes YouTube, puis à nouveau à l'arrivée du Twitter informatif et du Twitter de combat. À chaque fois, ils ont adopté les pratiques les meilleures et les plus récentes de chacune des plateformes, et ils font de même aujourd'hui sur vk.com. Cela leur permet d'influer sur l'agenda médiatique car ils remportent souvent la bataille de l'attention en étant les premiers en volume et chronologiquement.

En revanche, il est beaucoup plus difficile de prouver leur manipulation par des puissances étrangères – un sujet sur lequel la parole gouvernementale est souvent caricaturée. Je ne prétends pas que ces groupes sont manipulés par des forces étrangères, mais qu'ils sont très structurés et qu'est en train d'émerger aujourd'hui une internationale de l'extrême droite, une internationale de la fachosphère, qui va de l'alt-right américaine à certains pro-Brexit en passant par certains nationalistes d'Europe de l'Est et d'Italie, dont l'action est parfois synchrone même si je ne peux pas prouver qu'elle soit coordonnée. Je n'en ai pas les preuves et ne puis vous dire que l'Etat français en a les preuves. Mais nous ne pouvons cependant que constater que sur certains sujets, ils arrivent à hisser très haut certains contenus au même moment.

Quelles sont les actions à mener pour lutter contre la manipulation de l'information et la haine en ligne ? Commençons par le rôle particulier que jouent les réseaux sociaux en tant que plateformes. Dans les médias classiques, qui sont intermédiés et éditorialisés, l'auteur pense et écrit l'idée, l'éditeur la lit et accepte de la publier. L'auteur qui choisit d'écrire un contenu illicite et l'éditeur qui choisit de le publier ont ensemble une responsabilité clairement définie dans le droit et la jurisprudence, que l'on peut contester mais qui est reconnue en France comme apportant la garantie du meilleur équilibre possible. Il n'en va pas de même sur les réseaux sociaux, et c'est pour cela qu'il est difficile d'agir. L'auteur y fait toujours partie du problème, mais se posent de nouvelles questions sur son identification. Comment par exemple identifier l'auteur en l'absence d'éditeur ?

D'autre part, le rôle de la plateforme peut être considéré comme faisant partie de la solution ou du problème. Les réseaux sociaux donnent la parole à tout le monde ; c'est pour cela que nous les aimons et qu'ils sont puissants. Dans toutes les démocraties, ils ont servi aux plus beaux desseins comme aux pires. Les choses se compliquent quand les plateformes refusent, au nom d'un principe de neutralité, de regarder les contenus qui circulent sur leurs réseaux. Les politiques publiques peuvent tenter de criminaliser chaque action – ou absence d'action – de ces plateformes, mais nous aurons davantage à gagner en les mobilisant pour qu'elles contribuent à la réalisation de nos objectifs en les incitant à agir et à prendre leurs responsabilités – sous le contrôle démocratique, s'entend. C'est pourquoi le plan d'action que je défends, dans le cadre duquel la proposition de loi de Mme Avia s'inscrit pleinement, vise tout à la fois à sanctionner en reconnaissant une responsabilité forte et à affirmer l'idée selon laquelle ces plateformes doivent impérativement apporter les informations sur ce qui se passe sur leurs réseaux. Car c'est elles qui disposent de ces données et peuvent mettre en place des dispositifs qui, sans remplacer l'État, aillent à la vitesse de leurs propres réseaux et en fassent des espaces de dialogue intelligent et pacifique pour éviter la haine absolue.

J'en viens à la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, première étape de notre démarche. Elle ajoute à notre droit un élément nouveau dont nous avons peu l'expérience : le devoir de coopération des plateformes. Ses modalités restent à préciser par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Elles constitueront la première brique d'un corpus législatif nouveau qui impose des obligations de partage d'informations aux plateformes, et qui permet à l'État d'agir avec plus d'efficacité et, surtout, d'aller vite. Certes, un processus faisant systématiquement intervenir le juge est plus protecteur des libertés individuelles mais il contribue aussi à les saper lorsque les décisions ne peuvent être prises que plusieurs semaines, voire plusieurs mois après que les actes incriminés ont pleinement déployé leurs effets sur les victimes.

Ensuite, nous avons lancé voici quelques mois la « mission Facebook ». Lors de sa rencontre avec Mark Zuckerberg, le Président de la République lui a demandé de participer à une expérimentation destinée à comprendre et évaluer la manière dont Facebook gère les contenus haineux et les processus de décision relatifs à la modération de contenus. Pourquoi Facebook ? Parce que c'est le premier réseau social en France. Nous avons cherché à cerner de la manière la plus fine qui soit les dispositifs que cette plateforme a mis en place, l'interprétation qu'il est demandé aux modérateurs de faire de la loi, la formation des modérateurs en question et la manière dont ils traitent les demandes, les refus et les contestations de modération ainsi que les contenus qui leur sont signalés par l'État et la coopération avec les services de l'Etat. Les équipes de plusieurs ministères et de différents services publics ont accès, pendant toute la durée de l'expérimentation, aux modérateurs auxquels elles ont pu rendre visite en France et ailleurs en Europe pour comprendre ce qui fait leur quotidien.

Avant toute chose, il s'agit d'une expérimentation de transparence. Facebook ne participe pas à la rédaction d'une quelconque loi. La proposition de loi défendue par Mme Avia est le fruit d'un an de travail dans le cadre des états généraux du numérique avec les parties prenantes, s'appuie sur le rapport qu'elle a écrit avec Gil Taieb et Karim Amellal et découle du travail du Gouvernement dont s'est désormais saisi le Parlement. Facebook n'a participé à aucune étape de ce processus ; cette entreprise n'a fait qu'ouvrir ses portes pour que nous comprenions son fonctionnement. En effet, si notre loi produit des résultats sur Facebook, elle le fera également sur une grande partie des contenus haineux dont nous parlons. Il faut donc qu'elle fonctionne chez eux et chez les autres et soit particulièrement efficace. Je rappelle l'objectif : que les contenus haineux restent le moins longtemps possible en ligne car à chaque seconde de présence, à chaque consultation, ils font des victimes qu'ils abiment un peu plus. Le deuxième objectif de tous les dispositifs que nous mettons en place est l'identification des auteurs. Nous devons pouvoir retrouver les auteurs des contenus haineux.

In fine, l'objectif est naturellement de déployer cette action au niveau européen. Si on lit bien la tribune récente de la commissaire à l'économie et à la société numérique, Mme Gabriel, et du commissaire à l'union de la sécurité, M. King, on voit qu'il y a un début de reconnaissance de la nécessité d'un texte. Après avoir écouté toutes les parties prenantes, la Commission a d'abord décidé qu'un texte n'était pas nécessaire et qu'une charte volontaire des plateformes pourrait suffire à faire évoluer le secteur. Dans certains secteurs, elle a conclu que cela ne suffisait pas et qu'il fallait aller plus loin. Constatant que ce n'était pas le cas, la France a décidé de légiférer sur le plan national ; l'Allemagne aussi, et d'autres pays y réfléchissent. En clair, la seule façon d'avancer passe par l'adoption d'un texte européen.

Parallèlement à la proposition de loi de Mme Avia, nous avons mis au point un plan d'action en dix points, qui ne la recouvre pas complètement car tout n'y relève pas du domaine législatif. Rappelons les enjeux en amont : la sensibilisation du public, la prévention, la définition et la co-construction des règles de modération avec la société civile et les gouvernements. Autre enjeu : le processus de signalement. S'il est trop complexe, il empêche les victimes et les veilleurs de signaler des contenus. S'il est simplifié, il est de nature à augmenter le nombre de signalements et à favoriser l'efficacité. L'accompagnement et l'information des victimes est aussi une question essentielle, qui ne relève pas forcément de la loi. Les utilisateurs de Twitter, par exemple, lorsqu'ils signalent un contenu particulièrement violent les concernant, reçoivent souvent un message automatique un peu froid sans recommandation, qui peut laisser les personnes concernées, notamment les plus faibles, dans une impasse. Dernier chapitre de ce plan d'action : la coopération avec les autorités judiciaires dans le cadre de l'identification des auteurs, y compris des auteurs réguliers, et de l'application des sanctions judiciaires, en particulier les interdictions d'accès à certains sites, notamment les sites miroirs.

La proposition de loi de Laetitia Avia apportera des réponses législatives au défi de la haine en ligne. Nous travaillons en lien étroit avec elle depuis un an : aux phases de travail gouvernemental ont succédé des phases de travail indépendant de la commission puis, comme pour toute proposition de loi, un dialogue avec l'exécutif pour garantir l'efficacité du texte définitif. Je confirme cependant que c'est bien Laetitia Avia qui a la main sur ce texte. Ce n'est pas un texte du Gouvernement qu'elle aurait repris. Elle en a récemment présenté quelques éléments que je rappelle en fonction de ses déclarations publiques. Premier point : l'obligation d'assurer le retrait des contenus en vingt-quatre heures. Autre mesure : une sanction pouvant atteindre 4 % du chiffre d'affaires, soit un taux aligné sur celui de la sanction prévue par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) lorsque l'acteur n'assure par le retrait des contenus en question. Je rappelle – c'est une observation personnelle – que l'objectif de cette sanction est de ne pas être appliquée. Nous espérons en effet que les plateformes auront consacré des moyens suffisants pour créer les conditions nécessaires à la réussite du dispositif et qu'il ne sera pas nécessaire d'activer la sanction. L'Allemagne a mis en place le même type de dispositif et, hélas, il est parfois nécessaire de prononcer la sanction parce que certaines plateformes ne partagent pas toujours les analyses que font nos démocraties. Je suis donc convaincu de l'utilité de cette sanction, mais aussi de tout ce que nous ferons en amont pour garantir l'efficacité du retrait des contenus. Si on en arrive à la sanction, cela signifie en effet que le contenu haineux concerné sera resté plusieurs semaines voir plusieurs mois en ligne, au détriment des victimes.

Dernier point : l'obligation de transparence concernant les moyens déployés. La loi allemande ne la prévoit pas ; ce sera une innovation de la proposition de loi française. Autres mesures : un outil de signalement homogène dans la langue de l'utilisateur, et l'obligation d'accuser réception du signalement et d'offrir la possibilité de contester le retrait ou le non-retrait du contenu. Je rappelle notre triple objectif : identifier les auteurs, protéger les victimes en retirant les contenus au plus vite mais aussi protéger la liberté d'expression en s'assurant que les auteurs de contenus retirés puissent eux aussi exprimer leur désaccord. Il faut en outre assurer la meilleure information des victimes concernant les possibilités de recours dont elles disposent, et augmenter la sanction financière lorsqu'un site ne coopère pas avec les autorités judiciaires pour identifier l'auteur d'un contenu illicite. De nombreux dispositifs de coopération existent aujourd'hui mais certaines plateformes utilisent encore un droit d'évaluation personnel dans leurs réponses à des requêtes. Elles peuvent y répondre en quelques minutes ou en quelques mois selon les cas, en fonction de leur propre définition des priorités et de l'importance qu'elles attachent à l'identification des auteurs.

La proposition de Mme Avia visera enfin à donner la possibilité à une autorité administrative de demander aux fournisseurs d'accès, lorsqu'une décision judiciaire de blocage d'un site a été rendue, de bloquer les sites miroirs futurs qui pourraient apparaître. Rappelons le contexte historique. Il a fallu plusieurs années pour aboutir à une loi permettant d'interdire l'accès à un site et lorsque les premières décisions de justice arrivent, dans les minutes qui suivent leur application, les sites concernés ouvrent de très nombreux sites miroirs, comme un bras d'honneur à notre démocratie. Il faut donc relancer un cycle judiciaire pour obtenir le blocage de ces nouveaux sites, chaque nouveau blocage suscitant un nouveau bras d'honneur avec l'ouverture de nouveaux sites miroirs. Nous devons nous doter des outils permettant de lutter avec efficacité contre ces sites miroirs. C'est la raison pour laquelle nous partageons pleinement tous les objectifs défendus par Laetitia Avia : mieux responsabiliser les plateformes pour faire respecter les droits des utilisateurs en ligne tout en préservant la liberté d'expression et la capacité des plateformes à proposer des services innovants.

Un mot de conclusion. Si nous faisons tout cela, c'est parce que les Français utilisent massivement internet et que nous n'épargnons aucun effort pour qu'ils l'utilisent encore plus. Nous élaborons des plans d'inclusion numérique pour permettre à tous les Français d'être encore mieux connectés. Nous déployons un plan sur la 4G et le très haut débit parce que nous voulons que 100 % des Français qui le souhaitent puissent se connecter à Internet. Cela signifie que le nombre de personnes connectées plus longuement et plus régulièrement, y compris les plus faibles, va augmenter. Il faut donc offrir de nouvelles protections qui s'inscrivent dans une vision plus globale du monde et de la régulation. On peut décider qu'Internet ne doit être soumis à aucune règle ; c'est le laisser-faire absolu. On peut aussi vouloir, à l'inverse, un internet totalement filtré et contrôlé par l'État – comme l'ont décidé deux pays dans le monde. La voie médiane est celle qu'empruntent les grandes démocraties, notamment l'Europe et la France : elle consiste à faire d'internet un lieu d'échanges et de respect qui ne soit soumis ni au contrôle de l'État ni au laisser-faire. Toutes les discussions que nous aurons au cours des prochaines années porteront sur ces sujets. Le numérique est politique. Nous ne portons pas les mêmes regards sur ces questions partout dans le monde. Le débat doit être politique, y compris au niveau national. Malgré les désaccords, j'ai l'impression qu'un regard français et européen émerge, autour duquel nous pourrions trouver un consensus.

Lors de son discours devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le Président de la République a rappelé que les contenus antisémites, racistes en ligne n'ont jamais été aussi nombreux qu'au cours des dernières années. Le niveau de violence est devenu incroyable. Nous constatons même des pratiques onlineoffline consistant, à l'instar des meilleures pratiques de marketing, à imprimer salement les pires contenus sur des feuilles A4 et à les coller au scotch ou à la colle. Nous l'avons constaté ce week-end lors d'une ballade dans le 19e arrondissement : des affichettes reprenant des articles de l'un des sites que j'ai cités étaient collées çà et là au scotch. Autrement dit, ces sites internet incitent les auteurs à prolonger leurs délits dans l'espace physique et à faire peser sur les gens une menace inacceptable. C'est pourquoi nous sommes particulièrement engagés et attendus sur ce sujet.

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