Intervention de Mounir Mahjoubi

Réunion du jeudi 14 mars 2019 à 10h00
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique :

La réapparition du site Démocratie participative parmi les résultats de recherche sur Qwant et Google a choqué beaucoup d'utilisateurs et fait l'objet de nombreux échanges sur les réseaux sociaux cette semaine et ce week-end. Le problème – et l'intelligence – du site, c'est qu'il a fait d'une expression commune une marque. « Démocratie participative » est une expression que j'utilise beaucoup mais pas pour parler de ce site. Nous ne pouvons pas demander aux moteurs de recherche de bloquer la recherche de l'expression « démocratie participative », que feront, je l'espère, beaucoup de nos concitoyens pour savoir comment créer des dispositifs de consultation citoyenne. Dans la mesure où le blocage ne concerne que les URL, le site peut se faire réhéberger très régulièrement, avec des URL différentes et par des hébergeurs différents, dans le monde entier. Qwant et Google ont affirmé avoir tout mis en oeuvre pour bloquer le site très rapidement. Certains disent que cela n'a duré que quelques heures parce que le site a réussi à se réhéberger sur une URL différente.

Pour ce qui est du financement par le biais de cagnottes, de crypto-monnaies ou de la publicité, la transparence est un vrai sujet. Il y a toujours quelqu'un qui paie, un intermédiaire et quelqu'un qui reçoit. En ce qui concerne la publicité en ligne, il faut pouvoir identifier les régies publicitaires qui ne font pas leur travail d'évaluation des sites sur lesquels leurs contenus apparaissent. Cette pratique est dénoncée par de nombreux acteurs notamment les annonceurs eux-mêmes, qui font pression pour que les régies publicitaires s'assurent de l'identité des sites. Il y a aussi des pratiques d'achats dynamiques et automatiques d'espaces publicitaires qui font que nombre d'annonceurs ou leurs agences ou les prestataires de leurs agences ne savent plus où leurs contenus sont affichés. Si le début du Web ressemblait au monde physique – on y achetait réellement un espace où placer des bannières sur tel ou tel site –, aujourd'hui on achète une audience sur un public identifié par le big data et on ne sait plus où vont les publicités. Ce qui est intéressant est que toutes les associations d'annonceurs appellent à plus de transparence, de clarté et de simplicité, ce qui assainira le Web haineux, le Web illégal et le Web en général. Mais le dark advertising disparaît peu à peu au profit de nouvelles pratiques, notamment du don volontaire des lecteurs et utilisateurs qui décident de contribuer car ils croient dans ces idéologies. C'est le plus complexe car cela repose non pas sur des financements par des annonceurs qui peuvent se faire à leur insu mais sur des financements très volontaires.

La France doit être un territoire d'innovation pour la blockchain et les futures crypto-monnaies, ce qui implique qu'elle soit aussi un espace de protection. Bruno Le Maire l'a affirmé à plusieurs reprises : il faut faire émerger une blockchain et une crypto-monnaie à l'européenne et à la française avec une régulation intelligente qui n'interdit pas d'innover. Le monde des crypto-monnaies s'assainit aussi par la force des choses : de nombreuses monnaies ont perdu en valeur et des intermédiaires ont fait faillite. Les intermédiaires vont vers une plus grande responsabilisation ; ceux sans valeur sont destinés à disparaître. Le sujet fera l'objet de discussions, à la mi-avril, lors de la Paris Blockchain Week, soutenue par le ministère de l'économie et des finances.

S'agissant de la définition du statut d'éditeur et de celui d'hébergeur, il faut revenir à l'histoire du droit numérique et à la directive européenne de 2000 sur le e-commerce, transposée en France en 2004. L'Internet de 2000 était très simple. Le Web, qui a eu trente ans hier, était une révolution : c'était la première fois que l'on créait une architecture d'échange d'informations non centralisée. On a créé des protocoles qui font que les serveurs sont reliés entre eux les uns aux autres et que si l'un disparaît on est relié à tous les autres. Le réseau tient et peut se recomposer. Pour cela il faut des infrastructures physiques : les fameux serveurs, composante essentielle du web, opérés par des hébergeurs que l'on a voulu protéger et soumettre au minimum de responsabilités possible. Leur responsabilité première n'est pas de regarder ce qui circule mais de garantir l'existence de ce lien incroyable et magique avec les autres en tournant plus de 99,99 % du temps pour ne pas mettre en danger tout le reste du réseau. Dans la loi, tout a été fait pour ne pas leur mettre trop de pression et pour limiter au maximum leur responsabilité quant à ce qui circule à l'intérieur. Cela était facile en 2000, puisque 100 % de ceux qui contractaient avec les hébergeurs à l'époque étaient des éditeurs, souhaitant exister dans cette superbe toile et ayant besoin des hébergeurs pour ce faire. Ils étaient responsables de ce qu'ils affichaient sur leurs sites, ce qu'indiquaient clairement les contrats qu'ils passaient avec les hébergeurs. Au moment de l'élaboration de la directive, tous les sites reposaient sur ce principe et il y avait donc essentiellement ces deux couches.

Au fil du temps, est apparue une troisième couche non physique de services qui est venue s'interposer entre les deux autres : les réseaux sociaux. En tant que réseau virtuel de personnes, ils constituent une virtualisation du réseau physique de serveurs. Ils ont demandé à être assimilés à des hébergeurs, permettant à chacun d'avoir un profil et d'interagir mais n'ayant surtout pas à regarder ce que les gens en faisaient. Nous avons laissé faire, sans réguler, estimant que c'était une révolution. En 2007, HEC est identifiée comme l'école pouvant accéder à Facebook. Quelques mois plus tard, ce sont les étudiants de Sciences Po. Quelques mois plus tard, le réseau social est accessible à tous les Français qui y adhérent massivement en quelques années. Parce qu'on a trouvé que c'était particulièrement révolutionnaire et innovant, on a décidé de ne pas réguler ce phénomène. Les contenus extrêmes étaient très rares ; surtout, peu de gens – qui plus est surdiplômés et bénéficiant de bons revenus – y avaient accès. Puis Internet s'est démocratisé. Tous les membres de la famille s'y sont connectés et ont été confrontés à ses contenus. On s'est rendu compte qu'il n'était plus possible de décharger de toute responsabilité les réseaux sociaux, qui avaient essayé de se faire passer pour des hébergeurs physiques, sans pouvoir, pour autant, les qualifier d'éditeurs. Cette définition, qui vient du monde physique, supposerait que tout ce qu'ils affichent ait été examiné par un être humain, ce qui n'est ni possible, ni souhaitable.

Il faut reconnaître la responsabilité des réseaux sociaux, tout en préservant absolument leur existence, en tant que lieux de liberté et de partage d'informations, sans mise en place par ces acteurs d'un filtrage de manière préemptive. C'est pourquoi il est indispensable de créer un troisième statut. Il y a plusieurs moyens de le faire. Il est possible de modifier à la marge, par la loi, les deux statuts existants, en définissant une plus grande responsabilité de l'un par rapport à l'autre. La loi allemande crée de nouvelles obligations pour les plateformes sans avoir à redéfinir le statut. Dans la proposition de loi qui sera présentée par la députée Avia, il faut savoir s'il faut aller plus loin et verbaliser la création de ce troisième statut ou si la création de nouvelles obligations et d'une sanction ne suffit pas en elle-même. Ce qui est certain, c'est que la prochaine Commission européenne et le futur Parlement européen devront traiter la question de la responsabilité des plateformes et de la définition de leur statut. Nous ne pouvons pas continuer, en 2020, à faire fonctionner l'Internet européen selon des règles qui datent de 2000.

La mission Avia-Taïeb-Amellal a inventé, pour définir les réseaux sociaux, ce terme que je trouve très adéquat : accélérateur de contenus. Certains lui reprocheront sans doute de ne pas reposer sur une vision suffisamment infrastructurelle et de ne reposer que sur une vision fonctionnelle de ce troisième statut. Quoi qu'il en soit de ces débats d'experts, nous avons besoin d'une nouvelle définition.

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