Intervention de Mounir Mahjoubi

Réunion du jeudi 14 mars 2019 à 10h00
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique :

Je commencerai donc par la dernière question, celle de M. le rapporteur,… en l'invitant à adresser cette question au ministre de l'intérieur ! (Sourires.)

Je veux tout de même souligner que le ministère de l'intérieur est celui qui s'engage le plus sur ces questions, depuis de très nombreuses années. C'est un ministère particulier, celui de l'urgence, qui, même lorsque les dispositifs adaptés n'existent pas encore, doit être prêt à réagir dès que les questions se posent. Il doit, en particulier, être en mesure d'apporter des réponses aux victimes, au niveau gouvernemental comme à celui des enquêteurs. Ses services ont parfois dû inventer des moyens d'ouvrir le dialogue avec les plateformes, avec lesquelles il n'existait pas encore de canal prévu pour cela. Je veux saluer le travail des gendarmes et des policiers qui travaillent sur ces sujets techniques, ainsi que la professionnalisation de leurs services au fil des années. Évidemment, on peut toujours faire mieux, c'est ce que nous allons faire et pour cela nous travaillons beaucoup ensemble.

Pour ce qui est de savoir s'il est normal d'être anxieux dans le contexte actuel ou si, au contraire, nous pouvons être optimistes, je voudrais évoquer le discours prononcé par le Président de la République dans le cadre de la treizième rencontre annuelle du Forum sur la gouvernance de l'internet, qui s'est tenue à Paris en novembre dernier. Les paroles du Président constituaient un juste milieu puisqu'elles exprimaient un enthousiasme à la fois non béat, responsable et légèrement anxiogène. Cependant, l'anxiété peut être une force très positive dans une démocratie, en constituant une sorte d'injonction à agir, sur la base du constat que quelque chose ne fonctionne pas. C'est le rôle de l'exécutif et du Parlement que de fournir des lignes directrices à notre pays et à nos concitoyens, à qui nous devons expliquer que, face à ce manque de maîtrise provoqué par des transformations trop rapides, nous allons leur fournir quelques outils de nature à les aider.

La philosophie que je défends, avec tous les autres membres du Gouvernement, depuis près de deux ans, c'est que nous ne sommes pas dans l'espace numérique pour subir. La France n'a pas à subir les décisions de pays étrangers, elle n'a pas à subir les comportements des grandes plateformes, elle n'a pas à subir les comportements d'une extrême droite internationale organisée, structurée et financée, mais elle a au contraire vocation à agir, à orienter et même à influencer le web mondial.

Je rappelle qu'en novembre dernier, la France a été le premier pays signataire du « contrat pour le web » proposé par Tim Berners-Lee, le fondateur du web, qui a lancé un appel aux États et aux grands acteurs du numérique, basé sur l'idée qu'un autre numérique est possible, un numérique plus décentralisé et créant plus de conditions de sécurité et de respect. En tant qu'inventeur de cette magnifique architecture dont je vous ai parlé tout à l'heure, il se désole de ce qu'est devenue son invention. Nous avons été le premier à nous placer à ses côtés, mais l'Allemagne nous a rejoints et d'autres pays sont en train de le faire, et je trouve très important de pouvoir se dire qu'il existe une coalition de démocraties qui souhaite ce web responsable et libre. On peut être responsable et libre à la fois, et je dirai même que c'est justement parce que nous sommes responsables et que nous mettons en place des régulations d'un nouveau type, plus intelligent, que nous pouvons permettre à la liberté d'exister.

Ceux qui, au nom de la liberté d'expression et des libertés individuelles, font tout pour que les États n'avancent pas dans leur volonté de mettre en place une meilleure protection, jouent contre leur camp. En effet, que va-t-il se passer si Internet devient un chaos plein de haine ? Les gens vont quitter Internet ! Les parents vont interdire à leurs enfants d'y aller, et ceux-ci vont essayer d'y aller quand même… Finalement, un doute permanent va peser sur Internet, réduisant à néant tous nos efforts pour développer les services publics en ligne, pour favoriser la diffusion de l'information, de l'éducation et des savoirs.

Si nous voulons créer de la confiance dans les technologies, il faut créer les règles de cette confiance. Il y a deux jours, j'ai écrit une tribune en anglais dans TechCrunch, une revue peu connue du grand public mais qui est la plus lue des professionnels du web, dans laquelle j'expliquais que nous devions passer du World Wide Web au World Wide Web of Trust – de la toile mondiale à la toile mondiale de confiance. Or, pour créer cette toile mondiale de confiance, nous devons d'abord mettre en place certains objets qui vont créer les conditions de la confiance.

Le règlement général pour la protection des données (RGPD), ce n'est pas que la case à cocher sur les sites pour donner son consentement à la collecte de ses données ! En fait, le RGPD crée toute une série de conditions et d'obligations qui font que tous les opérateurs du web, qu'ils soient dans les couches profondes du web ou qu'il s'agisse des opérateurs de services ou des éditeurs, doivent remplir des obligations visant à la sécurisation des données personnelles, mais pas des contenus. Pour ma part, j'estime que l'un des beaux projets que nous avons à défendre dans les prochaines années va consister à mettre en place un dispositif similaire et aussi ambitieux que le RGPD, mais portant sur les contenus.

Pourquoi le RGPD est-il déjà un succès ? Peut-être savez-vous que les Japonais ont adopté une autre loi, reconnue par la Commission comme une loi équivalente à notre réglement – tout en étant adaptée à la culture juridique japonaise, bien sûr –, ce qui montre bien que les Japonais sont convaincus de la nécessité de créer dans le monde une alliance entre les gens qui croient en un web de confiance. La seule autre option, que nous refuserons toujours, est celle du contrôle par l'État. C'est très simple de lutter contre les mauvais contenus : il suffit de recruter 2 000 agents publics, dont le rôle consistera à lire tous les contenus et à les valider. Un tel dispositif, qui a existé plusieurs fois au cours de l'histoire et qui constitue par ailleurs un thème récurrent dans le domaine de la science-fiction, certains États l'ont adopté ! C'est la censure d'État et, si c'est très efficace pour maîtriser les contenus, ça l'est tout autant contre les libertés individuelles, donc pour tuer une démocratie…

Cela dit, on entend un peu moins aujourd'hui les béats du laisser-faire, tout le monde prenant conscience de la nécessité d'agir. Récemment, la Californie a été le premier État américain à se doter d'une loi similaire au RGPD et, si ce n'est pas encore le cas pour l'État fédéral, celui-ci a déclaré vouloir avancer sur ce sujet – et pour ce qui est des contenus haineux, les associations américaines de société civile se sont déclarées disposées à discuter.

On a parfois pu entendre dire qu'en étant l'un des premiers pays à se doter de dispositifs de régulation, la France se montrait excessivement régulatrice et anxieuse et risquait ainsi de freiner l'innovation et l'internet, mais les choses sont en train de changer : notre pays et l'Europe dans son ensemble commencent à être vus comme les premiers à proposer un schéma équilibré et intelligent permettant l'expression de la confiance.

Je suis optimiste de nature et cela tombe bien, car c'est également mon rôle de l'être dans les fonctions que j'occupe actuellement : si le secrétaire d'État chargé du numérique commence à dire que tout est fichu et qu'il n'y a plus rien à faire, sinon mettre de côté les smartphones et empêcher les enfants de se connecter, c'est terrible !

En ce qui concerne les risques pour l'enfance et l'adolescence, Adrien Taquet, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, va défendre dans les mois à venir un important projet sur la protection de l'enfance, un sujet que nous évoquons régulièrement, depuis deux ans, avec Agnès Buzyn, Jean-Michel Blanquer et Marlène Schiappa, et qui comporte plusieurs thèmes en lien avec le numérique : la pornographie en ligne, qui fait des ravages dans les cours de récréation et crée des situations que les professeurs ne savent pas toujours gérer, mais aussi l'intimité des adolescents en ligne, avec des passages à l'acte pouvant avoir de terribles conséquences – en Europe, plusieurs adolescents se sont suicidés au cours des années passées. Sur tous ces sujets, on peut intervenir au niveau éducatif, mais aussi en mobilisant certains outils afin de responsabiliser les plateformes et de créer des interdictions. Je crois que sur la pornographie, en ce qui concerne les obligations des plateformes de traiter en urgence certaines demandes, il est important que nous allions très loin si nous voulons être efficaces.

Pour ce qui est des opportunités, le chiffre de 100 % des 18-25 ans possédant un smartphone doit être source de joie ! Dans les années 1980 et 1990, l'un des objectifs de l'éducation populaire était d'ouvrir les horizons de la jeunesse. À l'époque, il n'y avait pas Internet, et pour un jeune le seul horizon était souvent celui de sa famille, de son école et de son quartier – et de ce qu'il pouvait éventuellement voir à la télévision, lorsqu'il y avait la télévision. L'arrivée de la télévision a élargi un peu cet horizon mais aujourd'hui, l'horizon d'un adolescent français, c'est le monde : l'horizon des savoirs et des échanges est potentiellement infini ! Bien sûr, il faut pour cela que chaque adolescent possède les compétences et les outils requis, et qu'il soit protégé, mais l'objectif consistant à permettre à tout le monde d'être connecté et mieux connecté doit rester prioritaire : nous ne devons surtout pas ralentir.

La semaine prochaine, dans le cadre du Tour de France des oubliés du numérique, je vais me rendre à plusieurs endroits en compagnie du Premier ministre afin de lui donner des exemples des actions que nous avons menées depuis un an et de lui présenter notre action pour l'inclusion numérique. Mon objectif, c'est que tous ceux qui n'ont jamais utilisé l'internet puissent s'y mettre et surtout que, dès leur première connexion, ils aient été préalablement informés sur les dangers potentiels et la façon de les éviter, afin de leur permettre de profiter de leur expérience dans les meilleures conditions.

La semaine dernière, j'ai accompagné Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, en Ardèche, dans sa circonscription…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.