Intervention de Huguette Bello

Séance en hémicycle du mardi 2 avril 2019 à 21h45
Débat sur la fiscalité et les dépenses publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello :

Les séances des 2 et 3 avril ont une allure particulière puisque l'ordre du jour n'est fixé ni par le Gouvernement ni par le Parlement : il est dicté par les citoyens. Cela nous oblige ; cela oblige la représentation nationale à réaffirmer sa raison d'être, et à assumer sans réserve ses prérogatives. Sans cela, le risque est bien là d'une défiance toujours plus grande envers les élus.

À cet égard, je ne peux que regretter le sort réservé à la proposition de loi visant à renforcer l'intégrité des mandats électifs et de la représentation nationale, présentée le 7 mars dernier, par notre collègue Moetai Brotherson, qui visait seulement à compléter les dispositifs de moralisation de la vie politique. La lutte contre la corruption figure pourtant comme l'une des revendications centrales du mouvement des gilets jaunes. Dans une région comme La Réunion où le nombre de signalements de la chambre régionale des comptes est inquiétant, et où la visite de la procureure du parquet national financier est un véritable événement populaire, le rejet de ce texte par l'Assemblée est incompréhensible.

Pendant quinze jours, en novembre, le blocage de l'île a été total. Depuis cinq mois, la vox populi réunionnaise est intarissable. Cette parole, dans son dit et son non-dit, mériterait une analyse précise et approfondie qui dépasserait la limite des cinq minutes qui me sont accordées ce soir.

C'est pourquoi, je me bornerai à évoquer une revendication prioritaire, celle du pouvoir d'achat. Dans un scénario troublant de similitude avec la crise des outre-mer de 2009, une double augmentation des taxes sur les carburants a servi de détonateur. À La Réunion, la région, qui est compétente en la matière, est rapidement revenue sur sa décision, mais son recul n'a pas écarté la question du pouvoir d'achat du devant de la scène.

Pourtant, en dix ans, deux lois ont été votées. Ce qui se passe depuis novembre s'apparente donc à une sorte d'évaluation grandeur nature des dispositifs créés par le législateur.

La volonté d'intervenir, en 2012, sur la formation des prix en amont n'a pas eu, pour l'instant, les effets escomptés. Les prix sont toujours plus élevés, surtout dans l'alimentaire – l'écart avec la métropole est de 37 % – , les communications et la santé, sans parler des matériaux de construction qui battent des records.

Les circuits d'approvisionnement et de distribution, l'organisation en mono-duo-oligopole des marchés multiplient les surcoûts et favorisent les marges abusives que supportent en fin de parcours les consommateurs. L'éloignement n'explique pas tout, et il est significatif que la réduction du temps de transport maritime depuis l'Europe n'ait eu aucun impact sur le niveau des prix.

Malgré quelques décisions retentissantes, la lutte contre les accords exclusifs est loin d'être gagnée. C'est pourquoi il est de plus en plus évident que se limiter à organiser la concurrence ne suffira pas, et que les mesures en faveur de la concurrence doivent aller de pair avec un véritable encadrement des prix pour les produits de consommation courante. Il est également évident que les marges abusives doivent être sanctionnées par une taxe dissuasive.

Créé en 2012, le bouclier qualité-prix est une tentative pour encadrer les prix. Mais ce dispositif rencontre deux écueils liés au faible nombre de produits concernés et aux prix retenus qui ne se réfèrent jamais aux moyennes nationales. En outre, ce bouclier qualité-prix est vécu comme stigmatisant. Il faut citer le mémorandum des gilets jaunes 974, du 23 janvier 2019, qui demande « des prix moins élevés pour permettre à chacun de nourrir dignement sa famille – ce qui signifie n'être pas obligé de prendre les produits en bas des étals et se mettre physiquement à genoux pour les prendre. »

La problématique de la vie chère renvoie inévitablement à celle de la production locale. Les Réunionnais peuvent compter sur des filières agroalimentaires organisées et dynamiques, mais celles-ci subissent une double concurrence.

Celle, bien connue, des pays à moindre coût de production, et celle qui vient de la France continentale. Les bas morceaux de poulet ou de porc invendus sont expédiés chez nous pour y être bradés à des prix défiant toute concurrence, soit moins de 2 euros le kilo d'ailes de poulet surgelées par exemple. Ces pratiques déloyales et ces produits de mauvaise qualité pénalisent nos filières de production et vont à l'encontre de nos recommandations nutritionnelles.

Aussi avions-nous voté dans la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, un article contre ces produits dits « de dégagement ». Mais son application est sans cesse retardée. Ce fut d'abord au motif de notre faible pouvoir d'achat ; c'est aujourd'hui en raison d'une rédaction jugée trop imprécise. À ces renoncements, nous opposons une seule question : à qui profitent ces prétextes ?

Cette expérience, certes limite, incite à la plus grande prudence s'agissant d'un éventuel financement public du fret, rien ne garantissant une répercussion de cette mesure sur le prix final. Le développement du modèle coopératif mériterait pour le moins une tout aussi grande sollicitude.

Cette avalanche de surcoûts et de marges abusives est d'autant plus insupportable qu'elle s'abat sur une population lourdement touchée par le chômage et la précarité, dont les revenus et les retraites sont souvent très faibles. Dans un tel contexte, le quasi-gel des pensions, l'augmentation de la CSG, et la suppression des APL ont un retentissement démultiplié sur le pouvoir d'achat.

La baisse de la réduction de l'impôt sur le revenu elle-même, n'est pas sans conséquence, puisque la propension marginale à consommer est élevée outre-mer. Le revenu dégagé ne s'oriente pas nécessairement vers les assurances-vie comme cela a été proclamé sans aucune preuve. Il s'agit d'ailleurs d'une perte sèche puisque le Gouvernement n'a pas redéployé localement les économies ainsi réalisées.

La vie chère est un vieux problème ultramarin, mais de crise en crise, le temps est désormais compté. La création des observatoires des prix, des marges et des revenus, dispositif considéré aujourd'hui comme essentiel, est là pour rappeler que les parlementaires ont souvent eu un temps d'avance dans ce combat. Alors chers collègues, pas d'autocensure !

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