Nous vivons une crise politique profonde, une crise qui ne date pas d'hier, mais que la politique menée depuis bientôt deux ans a accélérée et révélée. Une crise de nos institutions, de la promesse républicaine et, plus largement, une crise de sens provoquée par les effets destructeurs de la loi de l'argent qui s'insinue partout, et par la prégnance de plus en plus forte de ce pouvoir de l'argent, des grands actionnaires, des grands propriétaires, qui installent cet horizon indépassable dans lequel le citoyen, la citoyenne, n'a plus de prise, et l'humain, bientôt, plus de place.
C'est l'enjeu central qui appelle de nouveaux pouvoirs démocratiques dans l'entreprise et la cité. La République ne saurait être le passe-plat des puissants. Elle ne saurait être un corset que l'on impose pour contenir les aspirations populaires, celles du monde du travail et de la création. C'est quand elle ne s'affirme pas, quand elle n'affirme pas et n'incarne pas la souveraineté populaire que la République s'affaiblit et qu'elle se perd.
Un mouvement de réappropriation de la parole politique est enclenché. Il faut que notre peuple puisse en tirer le meilleur, y prendre appui pour construire l'avenir. Ce sont les gilets jaunes, les enseignants, les personnels hospitaliers, ceux de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes – AFPA – ou de Pôle emploi, les intermittents, les retraités, les agents de la fonction publique... Ce sont les féministes qui se battent pour l'égalité et contre les violences. Ce sont aussi les jeunes qui veulent un monde solidaire, une planète respectée. Il y a une soif de politique au sens fort, au sens noble. Il est urgent de lui faire droit, car c'est elle qui nous permettra de faire société.
Pour conforter la souveraineté populaire, il faut une nouvelle répartition des pouvoirs, un pouvoir déconcentré, un pouvoir partagé. La République n'est pas là pour gouverner le peuple, mais pour que le peuple gouverne.
Cette aspiration à compter, à participer, à prendre la parole, à être respecté, à exercer sa part de responsabilité, est puissante. Elle s'exprime depuis longtemps dans notre société et s'est de nouveau fait entendre dans le mouvement actuel.
Pour cela, il faut du pouvoir direct, par le biais d'un référendum d'initiative citoyenne, mais aussi par de nouveaux leviers d'intervention dans la gestion, selon une nouvelle conception de l'État et des services publics. On pourrait prendre l'exemple de la démocratie sanitaire.
Il faut donc arrêter de déprécier les institutions nationales et locales lorsqu'elles résistent aux sirènes du libéralisme. Il faut également restaurer les dynamiques de la cité, au lieu de couper les vivres aux collectivités et de désagréger la démocratie locale.
Il faut arrêter de déprécier le mouvement démocratique, le mouvement syndical, le mouvement coopératif et mutualiste, les associations de défense des droits humains, qui ont d'ailleurs eu le sentiment d'avoir été tenus à l'écart du grand débat.
Par ailleurs, n'est-il pas édifiant que nous en soyons aujourd'hui à attendre les conclusions d'Emmanuel Macron, comme on attendait la justice de Saint-Louis ? Il faut déprésidentialiser, et mettre en cause cette clef de voûte de la Ve République qu'est le Président, qui écrase de sa légitimité toutes les autres, et dont le pouvoir solitaire est devenu un problème majeur, plus encore peut-être qu'il ne l'était au commencement, et ce n'est pas peu dire.
Il faut en finir avec la monarchie élective, la monarchie présidentielle. Pour commencer, le Président de la République doit engager la restitution des pouvoirs accumulés et accaparés, à commencer par les pouvoirs qui devraient être ceux du Parlement. Il faut repenser l'équilibre des pouvoirs dans nos institutions. Ce que nous avons entrevu des projets qui sont dans vos cartons ne nous semble pas ouvrir ce nouvel âge de la démocratie. Aurez-vous cependant le courage de les soumettre, le moment venu, à référendum ?
Nous avons besoin d'un nouvel acte fondateur : une réforme constitutionnelle, quand bien même elle n'aurait pas pour objet d'aggraver les déséquilibres de la Ve République, n'y suffirait pas. Il faut une VIe République, une République pour toutes et pour tous : je veux parler d'une République laïque, qui s'efforce de faire advenir toujours mieux dans le réel les principes de liberté, d'égalité et de fraternité, qui n'en est pas empêchée par le culte de la libre concurrence ; une République sensible à la cause de toute l'humanité ; une République qui retisse des dynamiques collectives, qui retisse de la confiance, qui retisse de la participation. Tous ces mouvements populaires méprisés au cours des dernières années auraient pu former une sève puissante pour faire avancer notre pays et l'Europe. On a préféré installer le renoncement, le sentiment d'impuissance.
Il faut engager un grand mouvement de réappropriation et de construction de la République, dans un processus constituant, reconstituant même, lequel exige une effervescence démocratique, un débat public renouvelé et un formidable essor de l'éducation populaire et de l'engagement sous toutes ses formes : associative, syndicale, citoyenne.
Je crois qu'autour de l'idée de la chose commune, des biens communs, il y a matière à une refondation fructueuse de la res publica, de la res communis. La République est abîmée ? Refaisons-la ensemble ! Donnons-nous un nouvel élan !