Comment faire face, dès lors, à la déconnexion inévitable qui en résultera, les parlementaires étant supposés couvrir des territoires toujours plus grands, au prix de leur proximité avec les Français ? Souvenons-nous de cette phrase d'Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique : « C'est donc en chargeant les citoyens de l'administration des petites affaires, bien plus qu'en leur livrant le gouvernement des grandes, qu'on les intéresse au bien public et qu'on leur fait voir le besoin qu'ils ont sans cesse les uns des autres pour le produire. » C'est donc bien grâce à l'ancrage et à la compréhension des enjeux d'un territoire que nous acquérons la connaissance nécessaire pour défendre l'intérêt général. Et l'on voudrait nous priver de ce lien ?
L'antiparlementarisme, toujours latent en France, et excité au début de la législature par des textes ou des déclarations, n'a rien de bon, car il remet en cause la démocratie et son bon fonctionnement. De même, les débats, qui sont l'essence même de la vie parlementaire, sont jugés trop peu fluides par la majorité actuelle, alors que le délai moyen d'adoption d'une loi en France est parmi les plus courts d'Europe. Soyons honnêtes : ce n'est pas le fonctionnement des institutions qui a mis la France dans la rue.
Pour compléter cet affaiblissement du Parlement, le Président de la République place au coeur du grand débat la limitation du cumul des mandats dans le temps. Cette mesure, outre qu'elle encourt le risque d'inconstitutionnalité, porte atteinte à la liberté de choix du citoyen qui pourrait souhaiter réélire un élu apprécié. Il s'agit d'un droit fondamental dans toute démocratie. On pourrait aussi égrener la liste des parlementaires qui ont rendu d'éminents services à notre pays alors qu'ils avaient dépassé la limite que l'on voudrait fixer : c'est le cas de Clemenceau, de Pierre Mendès-France, de Michel Debré ou d'Edgar Faure, mon illustre prédécesseur dans ma circonscription du Doubs.
En réalité, cette crise n'est pas institutionnelle – là n'est pas la question. Le Président de la République fait dévier le débat en rejetant la faute sur les parlementaires au lieu d'assumer ses prises de positions – celles-là mêmes qui ont exacerbé les tensions. Il gagne du temps en ôtant au grand débat son sens initial et en le réduisant à la question : « Pour ou contre les institutions ? » Mais est-ce vraiment cela qui résoudra la crise ? Est-ce vraiment cela que vous souhaitez pour l'intérêt général ?