Depuis vingt semaines, les nombreuses mobilisations sociales et citoyennes qui se succèdent, comme celles qui les ont précédées, sont les expressions d'un peuple, certes pluriel, mais qui se rassemble pour converger vers l'essentiel : le besoin de justice sociale, fiscale et territoriale, ainsi que – c'est mon propos – la volonté de prendre sa destinée en main, refusant de se laisser dicter plus longtemps les choses par ceux qui leur disent : « Votez pour nous, on fera le reste. »
Ce beau et grand mouvement populaire, malgré la répression qu'il subit, nous répond que le pouvoir en démocratie doit être partagé. Et, incontestablement, il est né et a grandi en réaction aux lois dogmatiques imposées avec mépris par les adeptes du néolibéralisme, pour qui les chiffres sont la religion et les citoyens de simples ratios. En éloignant les centres de décision des citoyens, en limitant la démocratie aux élections, en appliquant des logiques de rentabilité aux services publics, en réduisant l'influence des corps intermédiaires, en imposant des concentrations, des fusions et des regroupements aux collectivités locales, et en couvrant de cadeaux les plus fortunés, misant sur leur générosité pour qu'ils partagent leurs richesses, ils ont, en à peine quinze ans, affaibli la démocratie et renforcé les extrêmes.
Ils ont jeté le discrédit sur tout le personnel politique, à l'exception notoire du maire et des élus locaux. Ce n'est pas un hasard car les communes, surtout les plus petites, demeurent accessibles et disponibles, malgré un affaiblissement de leurs ressources et de leur capacité à agir. Elles savent, pour beaucoup, inventer des solutions, élever des boucliers, faire jouer les solidarités. Leurs élus sont confrontés chaque jour aux réalités : quand ils s'en éloignent, de toute façon, ils sont vite rattrapés en raison de leur proximité avec les habitants.
Cette défiance populaire qu'il nous faut affronter, et dont les maires sont épargnés, s'exprime notamment à travers l'exigence du référendum d'initiative citoyenne, qui aurait pour objectif de reprendre la main sur nombre de grandes décisions captées par une élite politique et économique. Cette forme de démocratie directe et sans filtre n'est peut-être pas l'unique solution. Il faudra élargir les possibilités de voie référendaire : c'est devenu incontestable, tout comme la reconnaissance du vote blanc ou la possibilité de révoquer des élus. Une nouvelle République à mettre en pratique, en somme, comme vient de nous l'expliquer Pierre Dharréville, qui permettra enfin d'en finir avec la confiscation de la politique par l'exécutif au profit des plus aisés, des plus influents, des plus arrogants.
Mais les enjeux et les attentes sont plus grands encore. Redonner la parole aux citoyens ne sera pas suffisant : c'est la coconstruction des politiques publiques qu'ils attendent. C'est respecter et encourager les corps intermédiaires, les élus locaux, les syndicats, les associations, les collectifs, leur donner des moyens pour agir. C'est respecter les gens, chacun étant porteur d'expérience, d'intelligence et de vécu. Cette expertise d'usage est une richesse qui ne demande qu'à être utilisée, et elle n'est en rien liée au niveau social ou au niveau d'études. Cela passe par l'invention de gouvernances partagées, à tous les étages, comme cela se pratique déjà dans certaines communes, pour associer les citoyens aux décisions et partager le pouvoir avec eux. Cela passe par des instances à créer, au plus près des territoires de vie, par des consultations, par des dispositifs d'élaboration collective. Il suffit de voir comment, localement, de nombreuses municipalités s'en inspirent pour travailler. Je n'ai pas ici le temps de développer les exemples mais ils sont nombreux.
C'est une question de philosophie. Qui est prêt ici à partager le pouvoir ? Qui se sent réellement le représentant du peuple dans toute sa diversité ? Qui n'a d'autres intérêts à défendre que ceux de la nation ? Qui considère l'économie et la finance comme un simple outil de répartition équitable des richesses ? Nombreux, ici, sont les élus qui ont bénéficié du dégagisme – ils feront à leur tour rapidement les frais de cette aspiration. Et nombreux sont celles et ceux ici qui considèrent que la crise de la démocratie pourrait être soldée par une réduction du nombre d'élus. Nous leur rétorquons que c'est en renforçant les élus, qu'ils soient issus des mondes politique, associatif ou syndical, que nous obtiendrons une démocratie ressourcée et régénérée par le partage du pouvoir. Alors, vous verrez, le plus naturellement du monde, les citoyens se rapprocheront de leurs élus et des politiques publiques qu'ils mènent ; ils cesseront de nous poser la question de notre utilité qui, à elle seule, illustre bien l'échec de ceux qui, depuis le sommet de l'État, président à leurs destinées.
Le 09/04/2019 à 20:58, Laïc1 a dit :
" les citoyens se rapprocheront de leurs élus"
On a l'impression que les élus sont des êtres supérieurs...
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