Si le peuple de France se plaint et s'interroge de plus en plus sur sa démocratie, je souhaiterais plus précisément examiner comment cette question se pose en outre-mer.
Vous le savez, ce sont les injustices qui poussent les peuples à se mobiliser pour que des discussions s'ouvrent et que des solutions émergent. Nous avons vu naître régulièrement des mouvements citoyens : le LKP aux Antilles, le Collectif des organisations syndicales et politiques de La Réunion, le COSPAR, à La Réunion, les 500 Frères en Guyane, « la vie chère » à Mayotte. En réponse, très souvent, trop souvent, les gouvernements en place ont renvoyé l'action aux calendes grecques en mettant en place des commissions, des études, des assises, etc…
Les responsables politiques savent très bien que, dans ces conditions, les solutions n'émergeront pas. Là n'est d'ailleurs pas vraiment leur problème car ces mêmes politiques veulent surtout tenir le temps de leur mandat. Les conséquences sont de plus en plus visibles : baisse de participation aux élections, affaiblissement des débats d'idées, violence d'État, et j'en passe. Pourtant, le mouvement des gilets jaunes pourrait être une opportunité pour le Gouvernement de repenser son modèle de gouvernance. Or nous constatons que ce n'est pas le cas.
Justement, parlons plus précisément de La Réunion, territoire où la mobilisation fut la plus intense durant les premières semaines du mouvement. En effet, une grande partie de la population réunionnaise a saisi cette occasion, dès le 17 novembre, pour dénoncer les inégalités qui étranglent notre territoire. Depuis des années, nous le disons : les inégalités se creusent.
Comme dans les autres départements, cette situation met en danger la cohésion sociale à La Réunion : 10 % des Réunionnais les plus pauvres ont un revenu inférieur à 481 euros contre 830 euros dans l'Hexagone, soit une différence de 350 euros, alors que la vie est beaucoup plus chère chez nous. Un exemple : un panier alimentaire normal coûte 39 % plus cher qu'ici. Il faut ajouter la pauvreté, qui touche 40 % de la population, le travail qui se fait rare, les retraités à bout de souffle, les familles endettées, la jeunesse désorientée.
À côté de cela, certains politiques censés représenter le peuple se gavent en accumulant indemnités d'élus et rémunérations de représentation ! Cela n'est plus acceptable et vous le savez ! C'est cette situation permanente d'inégalités et d'injustice qui pousse les gens à se mobiliser pour obtenir de meilleures conditions matérielles d'existence mais, aussi, pour plus de démocratie.
Le peuple veut avoir le pouvoir de révoquer un élu, d'abroger ou de proposer une loi mais, aussi, d'agir sur les décisions communales, départementales ou régionales. En réponse, quel a été le premier réflexe du Gouvernement ? L'humiliation, tout d'abord, en instaurant un couvre-feu et en pointant ainsi du doigt toute la population réunionnaise ; ensuite, l'amplification de la répression des manifestants pacifiques au lieu d'isoler et de combattre les quelques casseurs.
Cette violence d'État a été testée chez nous avant qu'elle n'arrive dans l'Hexagone. Conséquence : trois personnes ont perdu un oeil sur les vingt-trois Français qui ont été éborgnés en raison de vos choix en matière de maintien de l'ordre. C'est aussi chez nous qu'un policier a perdu une main suite à une mauvaise manipulation d'une grenade qui devait servir contre les manifestants.
Le maintien de l'ordre a été tellement axé sur la répression que nous avons assisté à une scène inédite : un EHPAD a été touché par des grenades lacrymogènes, ce qui a mis en danger l'ensemble des pensionnaires. Pendant cette période, nous avons aussi subi une pénurie organisée de la distribution de gaz, qui est un produit de première nécessité. Je rappelle que l'organisation de la pénurie participe des méthodes de guerre.
Ces éléments témoignent d'un recul de la démocratie et de la citoyenneté partout en France. Est-ce que le préfet de La Réunion est à l'initiative de cette violente répression ou a-t-il simplement exécuté les ordres ? Dans ce dernier cas, pourquoi le Gouvernement aurait-il décidé de tester la manière forte à La Réunion avant de l'appliquer dans l'Hexagone ? Sommes-nous devenus le laboratoire de la violence d'État sous toutes ses formes ?
En conclusion, je dirai que, à première vue, vous avez réussi à briser l'expression d'un malaise social sans apporter de réelle solution pour le bien-être des gens. Où est l'humanité de cette gouvernance ?