Intervention de Général Richard Lizurey

Réunion du mardi 10 octobre 2017 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je suis ravi d'être cet après-midi devant votre commission. Je me propose d'esquisser pour vous le sens de l'évolution de la gendarmerie et le sens de notre action. Je vous donnerai quelques éclairages sur le contexte et sur notre volonté de nous adapter à une menace aujourd'hui prégnante, celle du terrorisme, mais aussi à toutes les autres menaces, comme celle des phénomènes migratoires et de la délinquance au quotidien. Les questions que vous me poserez me donneront l'occasion de revenir sur tel ou tel point que vous souhaiteriez voir approfondi.

La gendarmerie nationale poursuit son mouvement d'adaptation et de modernisation dans trois grandes directions : d'abord la sécurité des personnes, qui est une mission fondamentale ; ensuite la sécurité des biens, qui est classiquement associée à celle des personnes ; enfin, la sécurité numérique, sur laquelle je m'appesantirai un peu. Ce nouveau territoire que constitue le numérique fait aujourd'hui l'objet d'autant d'espoirs dans son utilisation, que de craintes en raison de ses vulnérabilités. C'est un territoire que nous devons également protéger. En effet, l'ensemble des citoyens peut-être menacé dans l'utilisation du numérique et des nouvelles technologies.

La sécurité des personnes est une mission historique, mais depuis 2015, un cycle nouveau s'est enclenché. C'est celui du terrorisme quotidien qui s'est d'abord manifesté par des actes majeurs, organisés – Bataclan, Charlie Hebdo – et qui s'inscrit maintenant dans le quotidien, avec des moyens extrêmement rudimentaires : avec un couteau, on peut perpétrer un acte terroriste, ou du moins qualifié comme tel. J'observe qu'il y a quelques années, certaines personnes qui auraient simplement été hospitalisées, sont aujourd'hui considérées comme des terroristes, parce qu'elles prononcent la formule « Allah Akbar ».

Cela ne pouvait que nous interpeller et nous conduire à faire évoluer notre organisation et nos modes d'action.

Entre 2015 et 2017, nous avons été conduits à transformer nos capacités.

Nous les avons d'abord renforcées grâce à différents plans – plan de lutte contre le terrorisme et plan pour la sécurité publique.

Nous avons bénéficié d'une dotation budgétaire supplémentaire d'environ 317 millions d'euros sur trois ans, qui nous a permis d'équiper nos personnels, à la fois en termes de protection individuelle, mais aussi en termes offensifs. Par exemple, chaque brigade a été dotée de packs balistiques, qui permettent à chaque patrouille, sur le terrain, de répondre, ou du moins de se défendre face à une action terroriste. C'est important. Il y a quelques années, le terrorisme se résumait à des prises d'otages, avec l'intervention d'unités centrales, groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), unité « Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion » (RAID) ou brigade de recherche et d'intervention (BRI). Mais aujourd'hui, ce sont les gendarmes et les policiers de terrain, les patrouilles, qui sont confrontés à cette menace et doivent être en mesure de réagir et de se défendre.

Nous avons été conduits à revoir nos modes d'action.

Le schéma national d'intervention a permis à l'ensemble de nos unités, au niveau du ministère de l'Intérieur, de s'organiser. Le RAID du côté de la police nationale, la BRI du côté de la Préfecture de police de Paris, et le GIGN du côté de la gendarmerie, s'inscrivent aujourd'hui dans une perspective nouvelle qui est celle de la proximité. Il y a quelques années, on était sur des zones de compétences, chacun intervenant dans la sienne. La cinétique très rapide des crises terroristes nous a conduits à réfléchir à cette organisation et à mettre en avant d'abord le principe de proximité. C'est l'unité la plus proche, quelle que soit sa zone de compétences, qui intervient sur un acte terroriste. Ce qui n'a l'air de rien a toutefois nécessité de grandes discussions. Cela montre la capacité d'adaptation de l'outil dont dispose l'État, face à cette menace nouvelle.

La menace terroriste ne doit pas nous faire oublier la prégnance de la délinquance habituelle qui, aujourd'hui, s'organise également au niveau international. Il y a quelques années, le cambriolage était plutôt un phénomène local. Aujourd'hui, il existe un cambriolage organisé, qui est le fait d'une délinquance de masse, avec des organisations criminelles structurées et des donneurs d'ordre souvent installés à l'étranger – plutôt en Europe de l'Est. Ceux-ci ont décliné sur notre territoire une organisation quasi-militaire, avec des responsables nationaux, régionaux, locaux, puis des hommes de troupe qui sont généralement des mineurs de dix à treize ans – judiciairement, un mineur est beaucoup plus à l'abri qu'un majeur. Ces mineurs sont formés et ont un objectif à atteindre – des dizaines, voire des centaines d'euros à « récupérer » par jour. Tout cela alimente une chaîne criminelle. Nous avons déjà mis à jour un certain nombre d'organisations structurées. Cela signifie qu'aujourd'hui, un cambriolage ne peut plus être traité de manière complètement autonome.

Cela nous impose de mettre en place de structures d'analyse. C'est ainsi que le service central de renseignement criminel (SCRC), installé à Pontoise, analyse la totalité des procédures qui sont effectuées, pour en tirer des éléments de rapprochement, mettre à jour tel ou tel phénomène, et confondre telle ou telle organisation criminelle.

La délinquance de masse prospère, et aujourd'hui, la majorité des atteintes aux biens sont de son fait.

Nous devons le prendre en compte dans le cadre de notre présence sur le terrain. La délinquance de masse s'exprime effectivement sur l'ensemble du territoire national, et il faut être présent. Notre maillage territorial – aujourd'hui 3 100 brigades territoriales – doit répondre à ce besoin de prévention, d'intervention et de proximité.

Cette présence sur le terrain a tout de même diminué de près de 600 brigades depuis une dizaine d'années. Nous avons créé ici ou là des déserts de sécurité. Il est important pour nous de revenir sur le territoire pour assurer notre mission, qui est celle de la sécurité des personnes et des biens.

C'est le rôle de la fonction « contact ». Depuis le 1er février de cette année, nous avons mis en place des « brigades de contact ». Il s'agit de brigades de gendarmerie traditionnelles, à effectifs de quatre, cinq ou six gendarmes, qui auraient pu être dissoutes – au vu des indicateurs d'activité, voire de la directive européenne « Temps de travail », sur laquelle je reviendrai.

Plutôt que de supprimer ces brigades, nous avons décidé de les laisser actives et de revoir leur contrat opérationnel. Ce dernier exclut désormais toute autre activité que celle du contact. L'objectif de chaque gendarme est d'être dehors, d'aller au contact des personnes, des élus, de la population, de manière justement à recréer ce lien de proximité, et de restaurer notre capacité de prévention et de renseignement. Quand on discute avec les gens, on en tire du renseignement, qui permet ensuite de remonter et d'alimenter une logique de renseignement criminel.

Le retour d'expérience sur ces brigades – une trentaine depuis le 1er février – est extrêmement positif. C'est le point de vue de nos élus, que j'ai interrogés parce ce sont d'abord eux, et non mes services, qui vont évaluer ces brigades. Mais c'est aussi le point de vue des gendarmes de ces brigades, qui sont extrêmement satisfaits parce qu'ils retrouvent leur métier. L'ADN de notre métier, c'est la proximité. Pour eux, cette fonction contact est extrêmement valorisante.

Aujourd'hui l'idée est de poursuivre ce mouvement, peut-être en multipliant les brigades de contact, mais surtout en introduisant la « fonction contact » dans l'ensemble des unités existantes. Cela implique d'y former les personnels, dans le cadre de la formation initiale des élèves gendarmes et des officiers. Voilà pourquoi nous introduisons un « module contact » de quatre-vingt-dix heures, pour leur apprendre ce que c'est, ce que l'on attend d'eux, ce qu'il faut faire en arrivant dans une circonscription, quelles sont les personnes à voir et comment on continue à les traiter.

Ensuite, je leur fixerai un contrat opérationnel. Avec les nouveaux outils de type NéoGend, sur lesquels je reviendrai tout à l'heure, nous doterons chaque gendarme d'un smartphone ou d'une tablette, qui leur permettra, d'une certaine manière, d'emporter leur bureau avec eux. À ce smartphone est également associé un numéro de téléphone. Je souhaite qu'à la fin de 2018, chaque élu, chaque élu local et chaque parlementaire, ait un point de contact, c'est-à-dire un gendarme référent.

Chaque élu de notre territoire national aura un gendarme référent qui va les alimenter en renseignements et qui va interagir. Il sera à votre disposition pour répondre sur tel ou tel incident, sur tel ou tel renseignement. Je crois que, fondamentalement, cette relation entre la gendarmerie et les élus est indispensable.

Je vais également demander à chaque commandant de compagnie – au niveau de chaque sous-préfecture d'arrondissement – de convier une fois par semestre l'ensemble des élus, plutôt les maires – mais les parlementaires seront également conviés – pour une réunion de travail – pas un cocktail, ni une inspection annoncée, ni une réception pour fêter Sainte-Geneviève. Au cours d'une demi-journée, la gendarmerie rendra compte devant les élus de son activité durant le semestre écoulé, répondra et échangera avec les élus sur ce qui a marché, ou n'a pas marché, et pourquoi. Nous ne sommes pas là pour nous, mais pour vous et pour la population. C'est un état d'esprit que je souhaite développer au plus près du terrain, c'est-à-dire dans chaque brigade territoriale. C'est l'élément essentiel de la sécurité des personnes et des biens.

Dans le cadre de la sécurité des biens, il convient de prendre en compte l'importante mobilité des personnes et des biens qui circulent sur notre territoire.

Le développement du réseau routier contribue bien évidemment à la multiplication des échanges. On voit circuler des frets de très grande valeur, notamment vers la fin de l'année. Mais il en est d'autres qui empruntent la voie ferrée.

Voici quelques semaines, quatre lance-roquettes antichars (LRAC) d'un convoi qui partait du Sud de la France à destination de Brienne-le-Château ont été dérobés. Il nous paraît essentiel de pouvoir suivre ces convois sensibles, que ce soit en raison de l'importance financière du fret, ou en raison du risque de nuisance.

Nous sommes en lien avec l'état-major des armées, précisément pour travailler sur la géolocalisation de tous les convois de transports d'armes qui ne sont pas escortés, mais qu'il faut pouvoir géolocaliser.

Nous nous sommes également rapprochés d'un certain nombre d'opérateurs, comme la fédération nationale des transporteurs routiers, pour qu'ils mettent à notre disposition les éléments dont ils disposent. En effet, ils ont déjà géolocalisé un certain nombre de matériels, de frets – cigarettes ; tablettes, notamment en fin d'année ; chargements extrêmement onéreux.

Ce qui est important pour nous, c'est de pouvoir recevoir immédiatement l'alerte en cas de difficulté. Aujourd'hui, cette alerte est très diverse, et répartie sur l'ensemble du territoire. Mon objectif est de créer un centre opérationnel de suivi de la sécurité des mobilités, pour récupérer la totalité des incidents, et pour qu'en face de chaque incident, je puisse mettre la patrouille, le gendarme le plus proche. Ce sera possible dans la mesure où les tablettes et les smartphones permettront de géolocaliser les tablettes ou les gendarmes sur l'ensemble du territoire national. À la fin de l'année 2018, j'aurai donc la capacité, grâce à ce centre de sécurité des mobilités, de mettre en adéquation, l'événement, le besoin et le moyen qui est celui de l'intervention du service public de sécurité.

Ce n'est pas au niveau national, mais au niveau local que l'on va faire de la conduite. On pourra ainsi donner l'alerte et activer l'unité la plus proche. En termes de sécurité des biens, cela me paraît essentiel. Les outils existent, nous allons essayer de les agréger et de les coordonner pour améliorer la sécurité sur l'ensemble du territoire.

Tout cela passe évidemment par un décloisonnement des différentes organisations. J'évoquais les transporteurs routiers et les armées. Mais il y a d'autres opérateurs avec lesquels nous travaillons. Par exemple, la SNCF met en place avec nous des partenariats. Elle finance également un certain nombre de nos réservistes qui assurent la sécurité dans les trains, en liaison avec la sûreté ferroviaire. Nous allons continuer à travailler avec l'ensemble des opérateurs pour être présents sur ce domaine des mobilités, qu'elles soient ferrées, routières ou fluviales.

Nous avons aussi le souci de nous inscrire dans la perspective internationale européenne. En matière d'atteinte aux biens, il existe l'office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) qui est un organisme police-gendarmerie, et dont la vocation est de travailler sur tout ce qui concerne la criminalité et la délinquance organisée au niveau international, et sur la délinquance itinérante. L'OCLDI a été désigné par les instances européennes comme leader, dans les trois prochaines années, d'un programme européen de lutte contre les atteintes aux biens. Nous sommes donc leaders de ce programme, au titre de la France, précisément pour tenter d'organiser avec les autres pays européens la réponse globale en matière d'atteinte aux biens.

Nous sommes également leaders dans un autre domaine, celui de la criminalité environnementale, avec l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP). Celui-ci est chargé, notamment, de diriger et d'animer un travail européen dans le domaine de criminalité environnementale.

La protection des biens est donc diverse. Elle s'applique à un territoire, mais nécessite une vision internationale, dans laquelle nous nous inscrivons évidemment.

Cette lutte contre les atteintes aux biens nécessite également de disposer d'un appui technologique. C'est la transition numérique, que j'évoquais déjà, avec NéoGend. Nous nous y sommes engagés depuis quelques années. Nous avons mis en place, en interne, des dispositifs de dématérialisation, des dispositifs de reporting numérique, avec la base départementale de sécurité publique. Aujourd'hui, chaque gendarme intervient quand il est activé, et fait immédiatement un compte rendu sur son terminal informatique ; ce compte rendu est intégré dans une base, qui est visible par l'ensemble de la chaîne hiérarchique, y compris au niveau central. Ainsi, lorsqu'un gendarme part en intervention, on sait qui l'a activé, quand il arrive, qui il voit, et on n'est pas obligé de l'appeler pour savoir ce qui se passe. On l'a exactement « en visu » à partir du niveau central. Et chaque niveau territorial, chaque niveau de responsabilité, sait exactement où sont ses troupes, puisqu'elles sont aujourd'hui quasiment toutes géolocalisées.

Nous allons parachever cette transition numérique sur le plan opérationnel, en dotant chaque gendarme, soit d'un smartphone, soit d'une tablette – je vous en ai apporté une pour vous montrer ce qu'il y a dedans.

Que trouve-t-on dans ce smartphone et dans cette tablette ? D'abord, la capacité d'accéder aux fichiers. On peut scanner la bande MRZ de toutes les pièces d'identité – carte d'identité, passeport, ce qui permet à l'appareil de reconnaître immédiatement votre pièce d'identité. Il interroge immédiatement tous les fichiers autorisés – le gendarme concerné disposant d'une accréditation – et donne le renseignement en moins de cinq secondes. Ainsi, en moins de cinq secondes, le gendarme a contrôlé la totalité des fichiers pour une personne donnée. Auparavant, il fallait compter dix minutes ou un quart d'heure, avec des risques d'erreurs de frappe, etc. Maintenant, on obtient tout, directement. Si le contrôle débouche sur une procédure, la machine garde en mémoire l'identité, et remplit immédiatement le procès-verbal, s'agissant de la partie initiale concernant l'identité de la personne. Cela accroît de façon très importante nos capacités d'optimisation, notre efficience sur le terrain, dans le cadre du travail de contrôle assuré au quotidien par les gendarmes.

Ce qui est vrai pour les pièces d'identité est vrai également pour les cartes grises. Toutes les pièces d'identité qui ont des bandes MRZ sont évidemment enregistrées, et on peut les contrôler extrêmement rapidement.

Cette tablette permet aussi d'accéder à toute la documentation. D'une certaine façon, le gendarme se déplace avec son bureau. Il a accès à l'ensemble de sa documentation professionnelle : que faire dans telle circonstance, dans tel ou tel cas, quel procès-verbal employer ? Il dispose d'un logiciel de rédaction de procédure. Ce n'est pas très pratique de taper sur une tablette – même si on commence à trouver des tablettes avec clavier – mais sur le terrain, on peut commencer sa procédure. D'autre part, ce que l'on intègre dans la machine ou dans la procédure sur le terrain est conservé gardé en mémoire, et quand on revient à la brigade, il n'est pas nécessaire de le retaper. Ce n'était pas le cas avant. On avait un carnet de déclarations, on notait sur le terrain, et on reprenait les notes à la brigade. Tout cela, c'est du temps gagné. C'est de l'efficience opérationnelle.

Enfin, il y a évidemment là toute la messagerie tactique, à savoir les ordres que l'on donne, et les messages que l'on reçoit.

Cette tablette est donnée, ou plutôt prêtée à titre individuel. 65 000 tablettes ou smartphones seront donc distribués d'ici à la fin de l'année. Les gendarmes disposeront ainsi d'un outil à leur disposition qui – puisque nous avons lancé une expérimentation depuis maintenant deux ans – donne aujourd'hui totalement satisfaction.

L'ensemble des gendarmes est déjà formé pour l'utilisation de cette tablette ou de ce smartphone, qui n'a pas encore donné la totalité de ses capacités puisque nous lui avons intégré récemment le procès-verbal électronique. Ce dernier remplace tous les PDA (Personal digital assistant) que nous payait l'agence nationale de traitement des avis d'infractions (ANTAI).

Avant le gendarme se déplaçait avec son téléphone, avec un PDA de l'ANTAI, avec un lecteur de chronotachygraphe, etc. etc. Aujourd'hui, il dispose d'un seul matériel, auquel nous intégrons la totalité des fonctionnalités

Par ailleurs, nous sommes en train de travailler sur d'autres segments opérationnels, de manière à faire gagner du temps dans l'exécution de la mission. Le temps gagné peut alors être réinvesti dans le contact avec la population, puisque c'est cela la priorité absolue.

La transition numérique, c'est NéoGend. Mais c'est également le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN), avec un certain nombre d'innovations et d'avancées technologiques. Je pense à l'ADN rapide, qui résulte de l'invention de l'un de nos capitaines qui a fait sa thèse sur ce sujet. Nous nous engageons aujourd'hui dans une logique de dépôt de brevets, dans une logique de protection de notre innovation, de manière à valoriser le service public et à récupérer des moyens budgétaires pour alimenter notre fonctionnement quotidien.

Cette transition numérique s'inscrit dans une perspective de long terme. J'ai mis en place récemment le conseil scientifique de la gendarmerie nationale, qui est précisément chargé de nous inspirer, de nous orienter et de nous guider pour nous permettre d'évoluer dans les différents domaines, parce que je crois que nous n'en sommes qu'au début de l'histoire.

Pour assurer la sécurité des personnes, des biens et des données numériques, il nous faut aussi travailler la logique des effectifs. Le matériel fonctionne, mais il faut également que nos personnels soient formés.

Au-delà de l'aspect quantitatif, qui est en évolution positive, nous avons le souci de former les personnels dans le domaine du numérique et de la modernisation. Aujourd'hui, nous avons réparti sur l'ensemble du territoire à peu près 2 000 enquêteurs « nouvelles technologies ». Sans être de grands spécialistes, ce sont des gens capables, dans le cadre d'une enquête judiciaire, d'accéder à des données cryptées, d'analyser un disque dur et de faire un certain nombre d'opérations.

Mon objectif est de former, par brigade territoriale, au moins un gendarme capable de répondre à tout citoyen victime d'une cyber-escroquerie ou d'un vol de données numériques. Pour cela, il faut doubler notre capacité de formation, afin de recruter davantage de personnels de culture scientifique. Il me paraît important de faire évoluer l'accessibilité du service public puisqu'aujourd'hui, tout le monde peut être victime de ce genre de délits.

Nous devons être en mesure de répondre, d'accueillir le plaignant, de l'orienter, de le conseiller, et surtout d'intégrer les données de manière suffisamment pertinente pour procéder ensuite à une enquête. Il convient de renvoyer toutes ces données à un organisme central, le centre de lutte contre la cybercriminalité numérique (C3N) – toujours à Pontoise – qui a vocation à les mettre en cohérence, à saisir un parquet, avant de mener une enquête. Les faits isolés sont extrêmement difficiles à résoudre. Mais lorsque l'on agrège les données sur le plan national, on a généralement davantage de chance de résoudre une affaire.

L'important, pour moi, ce sont les effectifs. Il faut leur donner le sens de l'action, du travail, mais aussi de travailler sur le discernement

L'outil numérique que j'évoquais tout à l'heure, NéoGend, nous a conduits à nous interroger sur la manière dont sont formés nos personnels. Jusqu'à présent, on les formait en leur faisant apprendre, par coeur, le code pénal, le code de procédure pénale, etc. Or ce n'est pas à vous que je vais apprendre que le code pénal change sinon tous les jours, du moins assez régulièrement. Aujourd'hui, il y a très peu de gens qui le connaissent sur le bout des doigts, mais nous disposons d'outils qui permettent d'accéder directement à la totalité de Légifrance. Il est donc inutile d'apprendre par coeur. Notre modèle de formation doit être revu. Il ne peut plus être un modèle de capitalisation de connaissances, mais un modèle de réflexion, de discernement et d'intelligence des situations.

C'est un virage important qui, associé aux nouvelles technologies, permettra d'aller plus loin, d'avoir une gendarmerie qui avance et qui, globalement, s'adaptera à la situation locale. Je souhaite rendre aux gendarmes, à la brigade, aux commandants de compagnie, le pouvoir qui est le leur – ce n'est pas de Paris qu'on a les meilleures idées ; les meilleures idées sont sur le terrain. Et il faut leur laisser les clés de la maison.

Voilà pourquoi je leur laisse les clés de la maison. C'est à eux de s'adapter. Mais pour cela, il faut leur donner les moyens d'être bien formés. La formation, qui est un élément important, est en pleine évolution.

J'ai souhaité, dans le cadre du budget 2018, faire un effort très important en faveur de la formation de l'ensemble de mes personnels – officiers, sous-officiers ou gendarmes adjoints volontaires. Ils doivent bénéficier d'une formation de meilleure qualité, mais surtout bénéficier de temps pour la suivre. Et c'est là que je rencontre un petit problème avec les forces mobiles, qui sont très engagées. Théoriquement, dans le cadre de la loi de programmation militaire précédente, 35 jours de formation par an ont été prévus, mais aujourd'hui, nous en sommes à 21 jours maximum, et la durée de cette formation ne cesse de diminuer. La saturation missionnelle constatée sur l'ensemble du spectre risque de nous conduire à faire l'impasse sur l'essentiel. Pour moi en effet, la formation est essentielle parce qu'elle permet d'améliorer les services publics.

Je voudrais maintenant intervenir sur une autre contrainte, la directive européenne sur le temps de travail. Celle-ci nous explique qu'il faut se reposer, principe qui me paraît de bon sens, en tant que citoyen. Mais où est le bon sens quand on traduit ce principe en équations, en normes qui se trouvent en décalage par rapport aux besoins fondamentaux, par rapport à l'urgence et au contexte national ou international ?

Cette directive, qui contient un certain nombre d'items, est équilibrée. Il y est question de 24 jours de vacances par an, de 24 heures de repos par semaine, et de 11 heures de repos physiologique journalier par tranche de 24 heures. On s'aperçoit que l'on est largement au-dessus des 24 jours de vacances par an – quasiment au double – et des 24 heures de repos par semaine – nous sommes au double. Mais cela ne nous dispense pas de respecter le dernier des items, à savoir les 11 heures de repos physiologique. Cela nous met en décalage par rapport aux obligations du service et à la nécessité de lutter contre la délinquance.

Le problème, dans cette directive, c'est qu'elle nous impose de respecter scrupuleusement tous les items, au lieu de se contenter de fixer un cap général, et de laisser libre cours à l'intelligence locale, c'est-à-dire à l'intelligence nationale. Je pense que chaque pays est suffisamment mature pour trouver la juste mesure.

En vue de l'application de cette directive, nous avons diffusé une instruction provisoire depuis le 1er septembre 2016. Et de fait, la mise en place de ces 11 heures de repos physiologiques journaliers nous crée d'énormes difficultés. Le fait de comptabiliser les heures est d'ailleurs tout à fait antinomique avec le statut militaire qui suppose, par construction, une disponibilité totale, en tout temps et en tous lieux. Mais nous y travaillons et nous espérons pouvoir progresser. Évidemment, cela suppose une discussion avec la Commission européenne. Nous y participons, sous la houlette du ministère des Armées, puisque c'est lui qui est le leader dans cette discussion. Il semble toutefois essentiel que nous puissions obtenir, soit une dérogation générale, ou du moins une dérogation telle que notre capacité opérationnelle sur le terrain ne soit pas remise en cause.

Cette directive sur le temps de travail est pour moi une préoccupation : depuis la mise en place de l'instruction provisoire au 1er septembre, l'activité opérationnelle de la gendarmerie départementale est en baisse de 5,5 %, l'activité de nuit en baisse de 3 % ; et l'activité de la gendarmerie mobile en baisse de 12 %. Ces chiffres ne sont pas neutres : une baisse de 5,5 % de l'activité opérationnelle de la gendarmerie départementale représente tout de même l'équivalent de 4 000 équivalents temps plein !

Heureusement, nous pouvons compter sur des renforts supplémentaires. Je pense notamment à nos réservistes : 30 000 réservistes, opérationnels et citoyens, qui assurent aujourd'hui en moyenne une trentaine de jours par an, et effectuent la totalité des missions dévolues à des gendarmes, hormis celle du maintien de l'ordre.

Il y a dix jours, j'ai envoyé une compagnie de réserve territoriale à Saint-Martin. À la suite du cyclone Irma, nous avions lancé un appel à volontaires sur l'ensemble du territoire national. 700 se sont manifestés, pour une période de trois mois, malgré les conditions difficiles. J'ai envoyé une première compagnie, de 73 réservistes, il y a dix jours. Une deuxième compagnie suivra d'ici la fin du mois.

Les premiers retours sur le travail de cette compagnie sont exceptionnels. Cela montre bien l'engagement et la motivation de ces réservistes, jeunes et moins jeunes. Leur tranche d'âge, notamment pour ceux qui sont partis à Saint-Martin, va de trente et un à cinquante-huit ans. Pour moitié, ce sont des personnes qui ont une activité professionnelle. Cela prouve qu'il y a dans notre pays une vraie volonté de contribuer au service public, qu'il nous appartient de capitaliser et d'engager au service de l'ensemble de nos concitoyens. On avait d'ailleurs engagé 16 réservistes opérationnels de Guadeloupe, qui ont été projetés sur Saint-Martin dans les quarante-huit heures suivant le cyclone Irma.

Nous allons continuer à travailler pour consolider cette réserve. Le budget qui m'est alloué ne me permet pas d'augmenter le nombre des réservistes. Donc, j'en resterai à 30 000. La cible initialement affichée était de 40 000. On la garde en mémoire, mais à ce stade, nous sommes sur un horizon de réalisation un peu différé.

Outre l'engagement des réserves, nous avons tiré d'autres enseignements du cyclone Irma.

Le premier enseignement porte sur la capacité d'un outil intégré de projeter ses personnels et sur la capacité du statut militaire de s'adapter aux différentes situations. C'est tout l'intérêt du statut militaire, à la fois pour les forces elles-mêmes, la gendarmerie mobile et la gendarmerie départementale, mais aussi pour le soutien opérationnel. En effet, j'ai pu projeter immédiatement des militaires de corps de soutien pour aller faire, qui du soutien automobile, qui du soutien logistique, qui de la projection. J'ai pu projeter des personnels militaires sur l'ensemble du spectre du soutien opérationnel.

C'est important, d'autant que notre positionnement au sein du ministère de l'Intérieur conduit parfois certains à s'interroger sur l'utilité de ce statut militaire pour un certain nombre de personnels administratifs. À ce propos, je précise que j'ai aujourd'hui sous mes ordres 5 000 personnels administratifs, dits militaires de corps de soutien, et 5 000 personnels civils, soit 10 000 personnels dans la sphère « soutien opérationnel ». J'ajoute que les personnels administratifs militaires ne sont pas habilités police judiciaire, qu'ils n'ont pas de vocation à faire des missions de police judiciaire. Ce sont simplement des missions de soutien opérationnel sur le terrain.

Je pense que le cyclone Irma a démontré avec force l'intérêt de ce statut militaire. Nous devons conserver cette capacité de mobilisation d'un soutien opérationnel à base de militaires, qui ne vient pas en concurrence mais simplement en complémentarité avec celle des personnels civils. Dans le cadre de la résilience et de notre travail sur la continuité des organes gouvernementaux et du fonctionnement de l'État, cette capacité me paraît essentielle, voire indispensable. Si nous l'abandonnons, à un moment donné, nous n'aurons plus la capacité de faire face. Je souhaitais appeler l'attention de votre commission à ce sujet.

Puisque j'évoquais Saint-Martin, je souhaiterais terminer sur les outre-mer, qui sont pour nous un sujet de préoccupation. En effet, le niveau de violence y est en augmentation, avec des situations extrêmement tendues.

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