À l'ouest de l'étang de Berre, sur les cahiers de doléances, dans les débats, sur les ronds-points, dans les manifestations, à l'occasion des mouvements de grève, l'une des revendications majeures concernait la défense des services publics : l'école, les transports en commun, l'hôpital, la poste et tous les services publics locaux, par exemple dans les domaines du sport, de la culture ou de la gestion de l'eau. Cela représente d'ailleurs près des deux tiers des saisines du Défenseur des droits, qui dresse le constat suivant : « Des services publics qui disparaissent, des inégalités qui augmentent et des droits fondamentaux qui régressent ».
Or, dès l'entame de ce prétendu « grand débat national » initié, animé et arbitré par le Président de la République, les questions posées étaient biaisées, qui invitaient à établir la liste des services publics « dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité », puis, tout de même, de ceux qu'il faudrait développer, sachant toutefois qu'on n'a pas trop de sous.
De fait, chaque projet de loi que vous mettez sur la table traduit votre volonté de vous en remettre, d'une façon ou d'une autre, au marché, en affaiblissant la capacité de la puissance publique. C'est ce que vous avez fait pour la SNCF, la formation professionnelle ou le logement – pour ne citer que ceux-ci – sans parler de la façon dont vous vous apprêtez à démantibuler la fonction publique.
Hier, dans cet hémicycle, où l'on a entendu l'écho indistinct d'un débat vague où, une fois de plus, le Gouvernement a eu le dernier mot et réponse à tout, vous avez expliqué, en substance, que le service public de l'énergie n'a rien produit de bon et qu'il faut se défier des monopoles publics, pour leur préférer l'initiative privée foisonnante, laquelle n'apporterait que des bénéfices. Vous avez ensuite réaffirmé que les richesses créées par le travail et ainsi mises en commun doivent diminuer désormais, car elles seraient, dites-vous, « insupportables ». Tout cela me paraît bien conformiste, et appelle de ma part quatre observations.
Premièrement, les services publics ont émergé avec la République, dès le XIXe siècle. Ils constituent un outil majeur de l'égalité des droits, entre les individus comme entre les territoires. Ils constituent un levier pour structurer la société autrement que par la loi du plus fort ou les appétits de profits. Ils sont des coins enfoncés dans les mécanismes de prédation du capitalisme. Ils correspondent – ou devraient correspondre – au partage entre toutes et tous de la juste contribution de chacune et chacun.
Deuxièmement, c'est la raison pour laquelle, dans ce moment de financiarisation de l'économie, où la finance cherche partout à prendre le contrôle, dans cette période de privatisation du monde, d'accaparement du monde par un tout petit nombre, je défends la notion de communs, de biens communs, à préserver, protéger, promouvoir, conquérir – du square, en bas de la cité, à la planète. Les services publics font partie de ces biens communs en même temps qu'ils sont des instruments de leur gestion démocratique.
Troisièmement, les services publics constituent un écosystème nécessaire au développement du lien social, au déploiement de la transition écologique, mais aussi à des dynamiques économiques pour nos territoires et nos entreprises. Plutôt que cette fuite en avant dans le dumping social qui n'en finit pas, il faudrait proposer à l'ensemble des acteurs cet écosystème favorable à l'émergence de projets vertueux et porteurs.
Quatrièmement, comme toutes nos institutions, les services publics connaissent une crise, consécutive à leur affaiblissement continu et à une désappropriation savamment organisée. Il faut donc les rénover profondément et les démocratiser, y réinjecter des logiques de gratuité, inventer les services publics de notre temps, restaurés dans leur fonction d'intervention citoyenne et d'appropriation sociale. Face aux enjeux du quotidien et aux besoins humains, face aux défis sociaux comme environnementaux, tout appelle un nouvel essor des services publics. En effet, la dynamique du profit n'est pas le bon moteur pour garantir les droits fondamentaux, et les dividendes ponctionnés au passage auront toujours un coût pour la collectivité.
À l'ouest de l'étang de Berre, croyez-vous rendre service à l'industrie, à sa mutation, à ses salariés, aux privés d'emplois en supprimant, par exemple, un centre AFPA – Association nationale pour la formation professionnelle des adultes ? Croyez-vous pouvoir lutter contre la pollution atmosphérique sans un service public du fret ferroviaire efficace pour relier le port de Fos à son hinterland ? Partout dans le pays, nous avons besoin d'outils pour agir sur nos modes de production, nos conditions de travail, le respect de notre environnement. Nous avons besoin de services publics efficaces, utilisant les avancées du numérique mais s'appuyant sur des femmes et des hommes reconnus dans leur travail. Nous avons besoin de services publics dans le monde du médicament, du crédit, de l'énergie, du numérique, de la petite enfance, de l'autonomie, du logement, de la gestion de l'eau. Sortons donc de ces logiques de déprise, de casse qui abîment la République.