La question de l'entrée en force de la haute technologie dans l'armée de terre est pour nous un très grand sujet d'attention. Il faudra effectivement marier haute technologie et rusticité. Comment avoir la certitude que nos soldats sont capables d'aller au feu s'ils passent leur vie derrière des ordinateurs ? Soyons d'abord conscients du fait que la haute technologie représente un apport majeur dans les modes d'engagement futurs de nos soldats – vous l'avez vu, Monsieur le député Gassilloud, avec ce que l'on vous a présenté du programme Scorpion. Elle facilite aussi l'instruction : vous avez vu les simulateurs, et nous en avons aussi montré à la ministre des Armées au 16e bataillon de chasseurs (16e BC). Les simulateurs de pilotage restituent dans des conditions assez réelles l'entraînement de nos soldats, et cela nous fait gagner du temps et des moyens. Nous disposons aujourd'hui de systèmes de simulation qui nous permettent d'entraîner individuellement ou collectivement nos soldats. Et il y a l'aguerrissement. Comment, dans la journée d'un soldat, dans sa séquence d'instruction, marier les deux ? Nous veillerons à le faire.
Le programme Scorpion est la figure emblématique de l'armement de quatrième génération. Si les lois de programmation militaire précédentes avaient été respectées, nous aurions déjà Scorpion dans l'armée de terre, et nous nous poserions peut-être moins de questions. Chars Leclerc et VBCI sont le segment dédié aux engagements face à un ennemi symétrique disposant d'unités blindées. Au-dessous, le segment médian – le VAB, aujourd'hui, dont le successeur prévu est le véhicule blindé multi-rôles (VBMR) « Griffon », premier engin du programme Scorpion – correspond à l'engagement face à un ennemi hybride ou irrégulier. Pour nous, aujourd'hui, la question est simple : le programme Scorpion a pris du retard, le Griffon a pris du retard, et les VAB de première génération n'offrent pas suffisamment de protection à nos soldats en opération, ni assez d'autonomie, ni assez de capacité de feu. Nous les renouvelons à travers les VAB Ultima. J'estime aujourd'hui la reconstruction d'un VAB classique en VAB Ultima à 1,4 million d'euros, soit, bon an mal an, le prix d'un Griffon. Je pose donc la question, dans le cadre de la préparation de la loi de programmation militaire : continuerons-nous de reconstruire un matériel qui date des années 1970 ou allons-nous accélérer l'arrivée du Griffon ? La question se pose à périmètre financier identique et avec la capacité industrielle d'accélérer aussi la réalisation du programme Scorpion. Il faut en fait transformer les ouvriers qui travaillent sur les chaînes de reconstruction du VAB en ouvriers qui travaillent sur la construction du Griffon, au sein de la même entreprise. Cela mérite quand même réflexion. Le Griffon a une meilleure protection – du niveau 5 contre une protection de niveau 4 pour le VAB Ultima –, une meilleure autonomie, une meilleure capacité avec son tourelleau téléopéré. Très honnêtement, mon choix est vite fait : il est de privilégier l'accélération de Scorpion. Je n'oppose pas des parcs – haute intensité ou parc médian –, je n'oppose pas des véhicules, je me demande dans quel modèle économique nous voulons nous engager dans les cinq prochaines années. La question vaut aussi pour d'autres types de matériel.
Je suis pour ma part très satisfait du SMV, à l'origine une proposition de l'armée de terre. Il atteint son objectif, qui était de sortir de l'impasse des jeunes en échec scolaire, familial et professionnel, puisque plus de 75 % des jeunes retrouvent un emploi à l'issue du SMV, leur dernière planche de salut. Comment le faire passer de l'échelle artisanale à l'échelle industrielle ? Et un système industriel peut-il avoir les mêmes objectifs qu'un système artisanal ? Telles sont les questions que je me pose.
Nous avons aujourd'hui quatre centres, ou quatre centres et demi, et notre objectif est d'en avoir cinq. Nous n'avons pas de problèmes pour alimenter ces centres. À l'origine du SMV, dans un contexte de décroissance des effectifs, j'avais l'idée qu'il était dommage de donner des pécules à des militaires qui partent dans le civil alors qu'ils ont encore des compétences à apporter. L'idée était donc de les mettre dans une autre structure où ils puissent oeuvrer au profit de ceux qui en avaient besoin. Cette idée a été reprise par le président Hollande qui, lors de ses voeux, en 2015, a annoncé que l'armée de terre créerait trois centres. J'ai inauguré le premier le 1er août 2015, à Metz, et nous avons trouvé les militaires du rang, sous-officiers et officiers nécessaires pour encadrer. Pour ma part, j'étais tout à fait d'accord pour m'occuper de cette catégorie, la plus défavorisée, de la population. Mes caporaux-chefs conducteurs de bus, qui comptent quinze ou vingt ans de services et allaient chercher ces jeunes à la gare de Metz m'ont dit : « Mon général, nous en avons vu, des jeunes en difficulté, mais comme ça, jamais ! » Je pense que nous sommes compétents pour nous occuper de cette catégorie spécifique. Peut-être même sommes-nous les seuls à pouvoir agir – c'est peut-être un peu prétentieux – mais le nombre est quand même très important. Et il faut vraiment les amener au résultat voulu ; en cas d'échec, ensuite, il n'y a plus rien.
L'ENSOA se dote effectivement d'un cinquième bataillon. L'ENSOA est la fabrique des sous-officiers, issus de deux familles : un tiers de recrutements directs parmi les bacheliers, deux tiers de recrutements parmi les corps de troupe. Votre question illustre bien la problématique de la recapitalisation que j'évoquais tout à l'heure. L'effectif de la force opérationnelle terrestre étant passé, avec les récents recrutements, à 77 000, l'ENSOA ne peut pas en rester à quatre bataillons ! C'est un effort important.
Quel type de sous-officier privilégier ? Je ne pose pas la question en termes de métier. Beaucoup de jeunes veulent s'orienter vers des armes de mêlée. Or j'ai plutôt besoin de métiers orientés vers des spécialités particulières : les systèmes d'information et de communication, la maintenance aéronautique. Ce ne sont pas ceux forcément qui attirent d'abord les personnes désireuses de rejoindre l'armée. Les centres de recrutement essaient de répartir un peu cette ressource mais mon souci est plutôt la répartition entre sous-officiers d'origine « directe » et sous-officiers d'origine « semi-directe », pour préserver un juste équilibre entre des jeunes bacheliers qui nourriront intellectuellement et culturellement la famille des sous-officiers, et dont une partie deviendra officier, et l'escalier social qui permet à un militaire du rang de devenir sergent au bout de quatre ans et lieutenant au bout de dix ans.