L'armée de terre atteindra la cible de 24 000 réservistes, Madame la députée Khedher. Nous sommes déjà sur un objectif légèrement supérieur fin 2018. Je n'ai donc pas d'inquiétude sur la réserve. L'armée de terre a abordé le sujet avec beaucoup d'intérêt. Nous savons que la réserve renforce les armées. Chaque jour, ce sont plus de 600 réservistes qui viennent appuyer l'armée de terre ; je vise un nombre compris entre 800 et 1 000. Ensuite, la réserve permet de répondre à des attentes des jeunes Français. Enfin, elle crée de la résilience. Je n'ai donc aucun problème avec les objectifs fixés, qu'il s'agisse du nombre, de la qualité ou de l'emploi.
Vous avez mentionné Vortex, exercice visant à rappeler les militaires liés pendant un certain nombre d'années à la défense au-delà de leur parcours d'active, c'est-à-dire ceux qu'on peut rappeler de façon inopinée. L'effectif en « stock » si je puis dire aurait pu répondre à lui tout seul à cet objectif de 24 000. Nous n'avions jamais fait d'exercice de rappel. En 2016, j'ai estimé que le moment était venu de voir si cette réserve répondait présent, si nous pouvions en joindre chaque membre, si chacun était encore apte physiquement et si nous pouvions intégrer chacun dans des unités.
Quels retours d'expérience ? Cet exercice a donné de bons résultats, et nous en avons tiré un certain nombre d'enseignements – il serait peut-être un peu long de les détailler, mais je peux le faire par écrit. Nous avons fait un deuxième exercice Vortex en 2017, qui a donné les mêmes résultats que le premier, avec environ 70 % de réponse. Un certain nombre d'aménagements sont nécessaires, en fonction de la réactivité que nous attendons d'un réserviste. Imaginons le cas d'un réserviste qui a passé sa vie dans des régiments établis dans le Sud-Ouest de la France et qui prend sa retraite à Strasbourg. En cas de rappel soudain, ne vaut-il pas mieux l'employer dans une unité de l'Est de la France plutôt que de le « rapatrier » dans le Sud-Ouest ? Il faut que nous continuions notre réflexion, car le concept d'emploi de la réserve est aujourd'hui un peu différent de ce qu'il était dans le cadre de la guerre froide par exemple.
En ce qui concerne Sentinelle, la première question posée à la ministre des Armées est celle de la lassitude des soldats. J'en suis très surpris : arrêtez-vous dans Paris et discutez deux minutes avec nos soldats, vous constaterez que l'idée d'une lassitude véhiculée par les médias n'est plus d'actualité. Dimanche, je rencontrais des jeunes officiers sous contrat qui viennent de rejoindre l'armée de terre. Ils ont parfaitement intégré le fait que leur parcours alternera opérations extérieures et missions intérieures. Et, hier, lors d'une table ronde au sixième régiment du génie (6e RG), le premier témoignage d'un jeune capitaine a porté sur l'amélioration du dispositif Sentinelle ! Il y a un an et demi, on m'aurait plutôt demandé : « Mon général, qu'est-ce qu'on fait dans ce dispositif ? » Le sentiment évolue et, malheureusement, l'actualité fait que l'action sur le territoire national a de plus en plus de sens. Ces jeunes ont vraiment bien assimilé le fait qu'ils alterneront Sentinelle et les opérations extérieures. Et je reviens à ce que je disais lorsque votre commission m'a auditionné il y a un an : nos soldats étaient très à l'aise en opérations extérieures, ils savaient ce qu'était un attaché de défense, un ambassadeur, un chef de village, mais ils ne savaient pas ce qu'était un commissaire de police, un procureur de la République, un maire ; l'intérêt de Sentinelle est de les accoutumer à la vie de leur Nation – et cela leur fait le plus grand bien.
Quant à la transposition de la directive européenne sur le temps de travail, je voudrais juste vous faire part de quelques réflexions. Tout d'abord, je ne sais pas s'il est inéluctable de devoir se plier à une directive adoptée en 2003, alors que le monde a changé – il est vrai que « ne pas subir » est une devise des militaires. Ce qui est inéluctable, c'est la montée des menaces, qui ne connaît, elle, pas de limites. Nous avons de nombreuses limites, juridiques, financières, etc. ; nos ennemis n'en ont aucune. Cela ne dépendra certes pas de moi, mais mes homologues belges, allemands et italiens, qui ont vraiment mis en oeuvre la directive, m'ont dit : « Si nous avons un conseil à te donner, surtout, n'y va pas ! ».
Ce dispositif est en effet assez complexe à gérer. La distinction des activités à caractère opérationnel et des activités à caractère non opérationnel est très compliquée. Les Allemands ont choisi de payer en heures supplémentaires une partie de leurs soldats. Ce n'est pas forcément la solution la plus pertinente. Autre élément : les marins allemands ne peuvent plus dormir dans un bateau puisque, désormais, dès qu'ils sont à bord, ils sont considérés comme opérationnels.
Ceci étant dit, j'ai demandé à l'inspecteur de l'armée de terre de réaliser une étude sur le temps de travail afin de m'assurer qu'il s'agisse bien de temps de travail et non de temps de présence ; nous pouvons demander beaucoup de disponibilité à nos soldats, d'être mobilisés pendant quatre-vingts heures par semaine, mais à la condition que cela soit utile. Lorsque j'ai débuté ma carrière, nous étions présents au régiment tous les samedis matin mais ce que nous faisions n'était pas toujours indispensable, même si cela avait quelques vertus en matière de cohésion… Nous devons par conséquent être attentifs à la manière dont nous employons nos soldats, car, au prix où nous les payons, s'ils travaillent quatre-vingt heures par semaine alors que le reste de la nation travaille trente-cinq heures par semaine, ils ne resteront pas. Il s'agit de savoir comment gérer cette dualité entre, d'un côté, une directive européenne dont nous ne voyons vraiment pas l'efficacité et, de l'autre, la nécessité pour le commandement de bien organiser le temps afin d'éviter le complet décalage que je viens d'évoquer.
Pour ce qui est des forces d'intervention commune, je n'ai pas de réponse précise à vous apporter, les directives du président en la matière étant assez récentes. Reste que j'ai donné pour objectif à toutes les grandes unités de l'armée de terre de constituer un binôme avec une unité étrangère : il en va ainsi de la 11e brigade parachutiste avec la 16e brigade parachutiste britannique, ou alors de la brigade franco-allemande ; ou encore du lien très fort, géographique et de métier, établi entre les brigades d'hélicoptères française et espagnole. Je pousse donc mes divisions à s'ouvrir de la sorte à l'international. Nous avons lancé, à cette fin, un appel d'offres et il se trouve que nous avons de nombreux demandeurs. Par exemple, à ma grande surprise, la 2e brigade blindée a été très demandée par des unités américaines – il faut en effet tenir compte de l'arrière-plan historique qui nous ramène à la libération de Paris, de Strasbourg… Un partenariat de ce type repose sur une communauté linguistique, tactique – il doit répondre à un besoin opérationnel – et avant tout sur un lien personnel voire charnel entre unités.
J'en viens aux mesures de régulation budgétaires. La question sur la suppression des 850 millions d'euros de crédits ne m'est plus posée alors qu'elle l'était avant toute autre entre la mi-juillet et le 1er septembre. Je confirme, bien sûr, les propos de la ministre des Armées : nos soldats en opération ne seront pas touchés par ces mesures. En revanche, certains programmes vont être décalés temporairement : le successeur du FAMAS, les tourelleaux des blindés du programme Scorpion, les véhicules légers non protégés et les simulateurs de missiles à moyenne portée.
En ce qui concerne le dégel des crédits que vous avez évoqué, je n'ai pas encore fait réaliser d'études à ce sujet. Pour l'heure, j'écoute la ministre qui assure être confiante pour obtenir les budgets promis.
Je préciserai un point, pour finir, sur la comptabilité des surcoûts OPEX. L'ouragan Irma était totalement imprévisible. Aussi, vouloir socler les OPEX a du sens, mais pour celles qui sont bien calibrées et inscrites dans la durée.