La question des communications est un enjeu décisif de souveraineté dans une société de plus en plus interconnectée, comme l'a montré le rapport que j'ai rendu avec Alexandra Valetta-Ardisson en juillet dernier. L'organisation de notre société repose toujours davantage sur les outils numériques, qu'il faut protéger, notamment contre les risques de cyberespionnage. Or la France, et l'Union européenne de façon générale, est en net retard dans le développement de technologies nouvelles comme la 5G, et ne peut fournir de couverture au pays qu'en passant par des technologies étrangères.
Cette proposition de loi vise à introduire une entorse au sacro-saint principe de concurrence libre et non faussée et de commerce à tout-va ; c'est une bonne chose ! Nous devons aborder les menaces de cyberespionnage sans naïveté et protéger nos intérêts nationaux, que le risque vienne de hackers individuels ou de puissances étrangères – quelles qu'elles soient. Passer préalablement par une autorisation avant de mettre en service une telle technologie est une bonne chose, à condition que les mécanismes de contrôle permettent réellement de s'assurer que les outils concernés ne comportent pas de risque majeur pour la protection des données des citoyens français et pour les intérêts nationaux.
Si nous sommes favorables à un mécanisme de contrôle, nous voulons en savoir plus sur les modalités d'autorisation. Cela relève-t-il d'une simple formalité administrative ? Comment l'administration entend-elle contrôler de tels équipements ?
Il faut aborder cette proposition de loi sans naïveté géopolitique. Il n'est pas question d'approuver des dispositions destinées uniquement à soutenir les États-Unis dans leur entreprise d'offensive économique et diplomatique vis-à-vis de la Chine. Il est vrai qu'il convient de se protéger contre des risques d'un cyberespionnage chinois, qui pourrait passer par l'équipement des réseaux mobiles. En 2017, une loi a été votée en Chine, qui prévoit que tout citoyen ou organisation doit coopérer avec les services de renseignement national et maintenir le secret sur une activité de renseignement dont il aurait connaissance. Mais il n'est pas moins vrai qu'il faut aussi se protéger contre l'espionnage, parfaitement avéré, des services d'écoute américains, révélé au grand public en 2013 par Edward Snowden. Avec l'interception, totalement illégale, de 62 millions de données téléphoniques pour la seule année 2012, les États-Unis sont allés jusqu'à espionner trois présidents de la République française ainsi que les intérêts diplomatiques français à l'ONU et à Washington. Des informations confidentielles ont ainsi été dérobées à la France. Selon les révélations d'un journal allemand en 2017, la NSA est également passée par l'Allemagne, pays supposé allié, pour espionner la France.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Il n'y a pas si longtemps, la France avait un géant des télécommunications, Alcatel. Depuis 2012, malgré nos alertes constantes sur les tentatives de pillage industriel de ce fleuron français, rien n'a été fait : Alcatel s'est fait piller ses brevets et a fini par être racheté par Nokia en 2015. Voilà pourquoi la France est en retard ! Nous aurions pu disposer d'une solution française souveraine, en protégeant notre industrie et en développant notre technologie. À cause des dogmes libéraux, nous avons laissé faire le démantèlement. Nous voilà donc réduits à devoir nous protéger contre des technologies étrangères qui pourraient être un vecteur d'espionnage !
Nous avons besoin d'une politique industrielle souveraine. Aussi, cette proposition de loi, même si elle va dans le bon sens, entérine le fait que nous sommes devenus incapables de produire une technologie souveraine. Pourtant, la France est riche de ses savoirs et de ses ingénieurs. Si nous mettons en place une politique industrielle digne de ce nom, nous pourrons concevoir une solution souveraine qui nous mettra à l'abri des technologies étrangères, vecteurs potentiels d'espionnage.