Intervention de Isabelle de Silva

Réunion du mercredi 13 mars 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence :

Je réponds maintenant à la question de Mme Le Grip. Concernant la définition de la production indépendante, nous souhaitons poser le diagnostic avant que le débat, qui doit avoir lieu, ne soit ouvert. Ce n'est pas parce nous disons que les règles sont trop contraignantes, trop détaillées, et induisent des blocages injustifiés que nous préconisons de faire table rase de la notion de production indépendante. Ce n'est pas du tout le cas. Nous préconisons de définir un nouvel équilibre.

Madame Bannier, votre question portait sur le risque de fragilisation du secteur de la radio. Je crois avoir répondu sur ce point. En revanche, nous n'avons pas du tout envisagé dans notre avis la règle des vingt minutes sans publicité et la possibilité d'avoir plus de coupures. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur ce point.

La question de Mme Victory aborde un terrain plus sociétal, celui de l'information des consommateurs. Je ne suis pas persuadée que les jeunes adolescents qui regardent YouTube ou qui passent beaucoup de temps devant Netflix changeraient leurs pratiques si on leur disait qu'elles mettent en cause le modèle de l'exception culturelle à la française. Toutefois, chacun d'entre nous peut, en tant que parents, essayer de relayer ce message. Dans tous les cas, certains sujets nécessitent une information supplémentaire. Nous avons fait passer ce message dans notre avis sur la publicité en ligne, en indiquant que la collecte des données atteignait aujourd'hui des dimensions et des modalités sans précédent. Elles n'étaient souvent pas perçues par l'utilisateur. C'est un enjeu sociétal, car il faut que chacun ait conscience de la façon dont ces données sont utilisées. S'ajoutent des enjeux concurrentiels. Beaucoup d'autres questions sont liées, telles que l'équité fiscale. Elle est actuellement en cours de traitement. Nous constatons d'autres déséquilibres de concurrence entre les différents acteurs : certains s'adonnent à l'optimisation fiscale de façon extrêmement poussée. Ce sujet doit être traité.

Monsieur Bournazel, vous avez relayé des inquiétudes ou des critiques de la part du SIRTI et des radios indépendantes. La critique qui consiste à affirmer que nous n'aurions pas entendu le secteur ne me paraît pas fondée. Nous avons écouté les radios, nous les avons auditionnées et nous avons donc dûment pris en compte leur position. Je tiens à rétablir cette vérité. En revanche, il est vrai que nous n'avons pas souhaité, dans notre avis, détailler en quoi le numérique impacte les radios, par volonté de sérieux, pour traiter correctement le sujet principal, celui des télévisions et de Netflix. Peut-être que, demain, nous pourrons nous intéresser à nouveau à ce sujet en tant que tel, en prenant le temps nécessaire à cette question. Nous avons entendu des remarques tout à fait pertinentes de la part du secteur de la radio. Lui aussi est soumis aujourd'hui à des contraintes qui paraissent injustifiées. Je pense notamment à la question du format des messages publicitaires à la radio, qui exigent des mentions extrêmement pénibles à entendre pour l'utilisateur, dès lors qu'il s'agit de produits financiers, d'informations sur les cinq fruits et légumes, ou autres. La discussion mériterait peut-être d'être lancée demain, pour un rééquilibrage entre la publicité à la radio et la publicité sur d'autres médias. Si, le moment venu, nous sommes saisis de ce sujet, nous le traiterons tout à fait sérieusement.

Il est vrai, comme vous le disiez, que l'écoute sur internet se développe. Y aura-t-il demain un « Netflix » de la radio ? Les consommateurs vont-ils basculer ? Cela commence avec les podcasts. Demain, la radio sera-t-elle uniquement écoutée sur internet ? C'est une possibilité, je le reconnais. Le média radio a été relativement préservé des évolutions, car c'est un média auquel les utilisateurs sont très attachés. Nous avons un rapport très particulier avec la radio, que nous écoutons chez nous, dans la voiture, etc. Il est possible que les évolutions dont nous parlons aujourd'hui pour la télévision affectent encore plus sérieusement le média radio à l'avenir. Voilà encore un point commun avec le constat que nous avons dressé : la concurrence exercée par les acteurs de l'internet, notamment avec la publicité sur Google, sur Facebook, est extrêmement forte. Nous avions déjà souligné fortement ce point dans notre avis sur la publicité en ligne. Je continuerai à débattre avec le SIRTI, mais nous ne pouvons pas considérer que notre avis est complètement privé de portée parce qu'il n'a pas accordé une place plus importante à la radio.

La question de M. Larive portait sur le développement des productions sur France Télévisions. Les acteurs de la télévision publique ont manifesté devant nous les mêmes préoccupations que les acteurs de la télévision privée. Leur ligne était tout à fait homogène, pour dire qu'aujourd'hui ils investissent des sommes assez considérables dans les contenus, mais que, pour autant, ils n'ont pas aujourd'hui la maîtrise de ces productions dans lesquelles ils ont investi. De ce point de vue, France Télévisions a été extrêmement active pour nous convaincre qu'eux aussi sont pénalisés par ces règles. J'ajoute que non seulement les règles qui sont appliquées aujourd'hui en France sont extrêmement lourdes, mais aussi que dès que nous voulons en changer, la lourdeur des normes et des procédures fait que nous devons discuter pendant des mois. France Télévisions, qui vient d'aboutir à un accord, faisait état du temps pris par les discussions, alors que les modèles d'affaires changent très régulièrement. Quant au souhait d'avoir des productions de qualité à la télévision, je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le député, mais c'est un autre débat.

Mme Flüry-Hérard a déjà répondu à la question du cinéma d'auteur. Aujourd'hui, il est vrai que Netflix attire toutes les catégories de producteurs, y compris des talents extrêmement renommés du cinéma. Nous ne pouvons pas l'interdire. Ce fait est cependant le signe d'une difficulté, puisque Netflix peut se permettre aujourd'hui d'investir des sommes considérables, pour les raisons que nous avons exposées. Nous constatons aussi que certains des producteurs et des auteurs qui sont attachés à la défense du modèle tel qu'il existe aujourd'hui acceptent cependant de signer avec Netflix des accords d'exclusivité, par lesquels ils cèdent tous leurs droits. Est-ce cohérent ? Certains, en tout cas, s'en trouvent bien lotis.

Quant à la dernière question sur le couloir de souplesse, nous avons répondu. Nous n'avons pas souhaité dans notre avis – c'était vraiment un choix délibéré – proposer une sorte de grille de ce que serait demain la loi ou le décret.

Nous avons estimé devoir faire passer des messages sur la nécessité de changer les règles et d'avoir une action à la fois d'envergure et rapide, y compris en agissant sur les décrets – un certain nombre de ces règles résultent de décrets, nous ne devons donc pas forcément attendre la loi audiovisuelle à venir – même si le Gouvernement doit disposer d'une vision globale et être capable d'envisager ce qui relève de la loi et ce qui relève du décret. Nous estimons que ce n'est pas à nous de dire comment la production indépendante doit être définie, comment mutualiser la production audiovisuelle et la production cinématographique, etc. Cela relève du rôle du ministère de la culture, de l'ensemble du Gouvernement et du Parlement. Nous souhaitons avant tout que le débat ait lieu, et qu'il soit traité avec ce sentiment d'urgence qui nous a animées dans cet avis. Je vous remercie.

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