La question de Mme Piron portait sur un point tout à fait fondamental : l'évolution nécessaire du dispositif anti-concentration. Ce dispositif, qui est ancien et qui a été inventé à une époque où le paysage audiovisuel était totalement différent, devrait peut-être être réexaminé, pour que chacun soit assuré de sa pertinence et de son effectivité.
Défini par rapport à des catégories particulières de médias, il contient par exemple des règles de contrôle d'un certain nombre de chaînes de la TNT. Il faudrait remettre à plat l'ensemble de ce dispositif et de ses objectifs. Nous n'envisageons pas du tout l'idée qu'il faudrait s'en défaire, mais il faut voir si aujourd'hui ce système apporte une garantie effective quant au pluralisme et nous prémunit contre le risque de voir des médias nationaux passer sous le contrôle, par exemple, de puissances étrangères. Alors que la question de l'indépendance des médias est de plus en plus importante et que nous assistons à des tentatives de déstabilisation de certaines nations, de certaines démocraties par des puissances étrangères, il nous paraît tout à fait légitime qu'un dispositif de ce type existe. Mais encore faut-il qu'il fonctionne. Il nous paraît intéressant d'ouvrir ce chantier, et de l'examiner très posément, pour voir si nous pouvons rajeunir ce dispositif, pour qu'il reste pertinent et efficace.
Madame Anthoine, vous nous avez interrogées sur la relation entre des évolutions que nous préconisons sur la publicité en matière de distribution et sur les avancées de la loi ÉGALIM. Les deux évolutions ne me semblent pas contradictoires. La loi ÉGALIM et l'ordonnance publiée récemment présentent un dispositif qui vise à encadrer davantage les promotions : limitation à 30 %, etc. Le souhait du législateur était de mieux encadrer les promotions pécuniaires, dans l'espoir que cela permettrait d'améliorer les revenus des agriculteurs. Ce que nous proposons, par ailleurs, n'est pas contradictoire. Il s'agit juste de favoriser la diffusion de messages promotionnels de la distribution, quels qu'ils soient, sur d'autres médias. Cela répond plutôt à une logique de cohérence économique, sans que la réforme envisagée ne se prononce sur le fond du message promotionnel, ce dans le respect de la loi ÉGALIM ; nous avons d'ailleurs émis un avis lorsque nous avons été saisis de cette ordonnance. Je ne crois pas qu'il y ait une contradiction nécessaire entre les deux évolutions.
Madame Provendier, vous m'avez demandé si la directive SMA provoquera un rééquilibrage suffisant pour gommer ces divergences de cadre concurrentiel. Nous sommes toujours partagés face à cette directive : d'un côté, elle constitue une avancée formidable dans le sens de ce rééquilibrage que chacun appelle de ses voeux, et d'un autre côté, il va falloir apprivoiser et tester cet outil en conditions réelles. Les défis sont concrets : il s'agit notamment de savoir comment la régulation sera appliquée au regard des règles du pays de destination, etc. Nous espérons que cet outil nouveau va fonctionner. Lors de la transposition, il y aura des choix importants à faire pour le législateur français. Dans tous les cas, cela va dans le bon sens, c'est certain. Est-ce que cela suffira ? La réponse n'est pas évidente, puisque nous ne pouvons pas imposer quoi que ce soit à des acteurs qui ont leur siège en dehors de l'Europe. Les résultats dépendront aussi du choix de ces acteurs mondiaux, dont un grand nombre sont aujourd'hui américains – peut-être, demain, seront-ils chinois, même si ce n'est pas encore le cas de façon massive dans le secteur des contenus. Pourront-ils s'exonérer d'une implantation européenne ? Choisiront-ils demain leur lieu d'implantation en fonction aussi de l'objectif tendant à minorer ces obligations ? Nous pouvons l'imaginer. C'est un début, qui, dans le contexte actuel, constitue un très beau résultat et un très beau premier pas, face aux réticences à créer ce type de dispositif dans le contexte actuel. C'est un signe encourageant. Je crois aussi que la mise en oeuvre concrète de cette directive sera un vrai défi. Beaucoup dépendra de la volonté des États et des régulateurs pour que le dispositif fonctionne, car il constitue une forme de pari.
Monsieur Kerlogot, vous m'avez interrogée sur la marge de manoeuvre face au choix du consommateur, qui évolue dans ses comportements face à la télévision. Nos secteurs littéraires et du cinéma réussissent plutôt bien en France. L'ensemble des dispositifs en place, par exemple la réforme déjà ancienne du prix du livre, a probablement joué en faveur de cette bonne santé du secteur culturel en France. La publicité ciblée, en elle-même, favoriserait-elle une individualisation des comportements ? L'individualisation des comportements a des sources sociétales. Nous cherchons la cause. Les possibilités technologiques enferment un peu chacun face à son terminal et à son téléphone portable, qui est le média avec lequel on échange au quotidien. Dans tous les cas, je ne pense pas que l'autorisation de la publicité ciblée serait, en soi, le facteur d'une individualisation renforcée des comportements des uns et des autres. Nous constatons, peut-être à regret, que chacun a de plus en plus une relation un peu individuelle avec son téléphone portable, son iPad ou son ordinateur, un rapport un peu univoque avec un écran qui permet de diffuser des contenus. Cela dit, il continue d'exister des événements fédérateurs comme la Coupe du monde de football, ou des événements d'information télévisée qui rassemblent tout le monde devant l'écran de la télévision. Il est vrai que cette tendance à l'individualisation est extrêmement forte et puissante, mais ce n'est pas la réforme que nous envisageons qui serait le facteur déclenchant. La publicité régionalisée existe aux États-Unis, où des déclinaisons locales de la publicité, avec des modalités particulières de ciblage, sont possibles. Cela existe d'ores et déjà.
Madame Thill, vous vous demandiez s'il ne faudrait pas renforcer davantage les obligations qui pèsent sur les plateformes de très grande taille. Je sortirai un instant du secteur audiovisuel. Les gouvernements et les régulateurs prennent conscience du fait que cet objet économique est inédit, et qu'il faut que tous les outils de régulation s'adaptent, dans tous les domaines : concurrence, protection de la vie privée, perception des taxes, lutter contre les discours haineux ou des pratiques qui méconnaissent la loi. Nous sommes en train de mettre en place tous ces processus pour que ces plateformes n'échappent pas à la loi. La volonté exprimée par le Gouvernement, que nous mettons en oeuvre à notre niveau, en matière de concurrence, est extrêmement forte. Aucune entreprise ne peut s'exonérer des règles communes applicables sur le territoire français. Cependant, nous ne pouvons pas appliquer certaines règles à des acteurs extraterritoriaux. Pour se faire, il faut soit une action européenne, soit agir au-delà. Les tentatives de régulation ambitieuses qui ont été décidées, très récemment, comme le Règlement général sur la protection des données (RGPD), ne restent pas isolées, puisque les États-Unis, aujourd'hui, sont traversés par un débat extrêmement vif, celui de savoir s'ils ne doivent pas, eux aussi, édicter des règles du même type sur leur territoire. Il ne faut pas partir vaincu. Lorsqu'on met en place des régulations intelligentes et justifiées, celles-ci peuvent s'acclimater de façon parfaitement efficace et provoquer un effet d'entraînement dans d'autres régions du monde, dont les préoccupations sont finalement assez proches des nôtres.
Monsieur Vignal, vous m'interrogez aussi sur les limites du dispositif anti-concentration. Je tiens à redire que ce dispositif doit être revu pour rester efficace. C'est l'occasion de se reposer la question des objectifs : protéger des acteurs en place, protéger des chaînes politiques, comme ce fut le cas un temps – et comme cela l'est aujourd'hui –, de prises de possession du capital par des acteurs économiques et industriels très puissants ? Comment préserver l'indépendance, voilà un sujet complexe. Nous avons commencé à échanger sur ce sujet avec le CSA et avec le ministère de la culture. C'est l'un des sujets épineux qu'il faudra examiner dans les prochains mois.
Madame Muschotti, vous m'interrogiez sur l'évolution de la redevance et l'élargissement de sa base. Ce choix relève des pouvoirs publics. Nous nous rendons compte que des réformes qui auraient pu être menées il y a quelques années sont maintenant un petit peu en retard, notamment celle de la base de l'assiette de la redevance, alors que le poste de télévision est de moins en moins la source unique de diffusion des contenus, y compris des contenus émanant des chaînes de télévision. Voilà une question importante : faut-il faire évoluer cette base et l'élargir à d'autres catégories d'appareils électroniques, comme cela était envisagé ? C'est une réflexion qui a déjà commencé et qui peut-être sera poursuivie à l'avenir.
Madame Hérin, vous souhaitiez savoir si nous pourrions nous orienter vers des programmes personnalisés. C'est déjà le cas aujourd'hui et des projets se développent en ce sens. Nous pourrions imaginer que, demain, celui qui se connecte sur un terminal reçoive un contenu entièrement défini pour satisfaire ses besoins. Netflix le fait avec son algorithme, qui est, je pense, l'une des clés de son succès. Sur Netflix, les propositions de programme sont optimisées en fonction de ce que l'on a aimé et de ce que l'on a regardé. Cet algorithme mène des analyses extrêmement poussées sur le temps passé à regarder telle ou telle série. Ces algorithmes se développent sur d'autres services comme Amazon. Nous sommes entrés dans l'aire de ces algorithmes d'optimisation, qui font que chaque utilisateur ne voit pas les mêmes publicités sur internet que son voisin. Les acteurs traditionnels doivent-ils réfléchir en termes de programme personnalisé ? Je ne sais pas. En revanche, des évolutions technologiques sont nécessaires ; comme le disait Mme Flüry-Hérard, nous nous rendons compte que maîtriser les algorithmes nécessite des niveaux d'investissement et de technologie qui ne sont pas accessibles à tous, ce qui peut constituer demain des formes de barrières à l'entrée. Il sera difficile pour les nouveaux entrants, ou même pour ceux qui n'ont pas fait ces efforts d'investissement, de s'aligner.
Derrière le moteur de recherche de Google se trouvent des années d'investissement dans la technologie et d'optimisation des données. Créer un concurrent est extrêmement difficile. Il ne faudrait pas que la France soit trop en tard sur ce point, y compris sur le plan strictement technologique. Quant à la nécessité ou l'ambition d'avoir une plateforme européenne de contenu, voilà une décision qui relève des acteurs et qui ne peut venir que d'eux-mêmes, et non de recommandations que nous pourrions formuler à cet égard.
Monsieur Roussel, vous indiquiez que le périmètre audiovisuel est aujourd'hui un petit peu brouillé. Je partage tout à fait votre constat. Nous avons beaucoup de mal à définir aujourd'hui les frontières entre audiovisuel, numérique et opérateurs télécoms. Ces frontières sont totalement remises en cause. Faut-il définir un service universel du contenu ? Je ne sais pas si c'est la voie qu'il faut privilégier. En France, les acteurs de service public ont des missions définies par des cahiers des charges précis, gérés par le CSA, lequel définit pour chaque chaîne des formats et des obligations. Nous ne partons pas d'une table rase. L'enjeu est de savoir si demain ce système sera toujours pertinent, et si le consommateur, par exemple, se détournera des chaînes de télévision. Il faut donc anticiper cette évolution pour que les contenus de qualité ne soient pas évincés au profit d'autres contenus qui ne répondraient pas à l'objectif du service public.
Je termine par la question de M. Bouyx sur les publicités dans le domaine de la santé. Nous n'avons pas pris en compte spécifiquement cette problématique dans notre avis, si ce n'est sur le point que j'ai relayé tout à l'heure, la question des formats des messages à la radio, qui sont très contraignants. Les chaînes de radio demandent que le cadre réglementaire qui leur est applicable soit revu. Parfois, elles réclament aussi de revoir une législation qui leur semble trop contraignante et qui les place dans une situation d'iniquité concurrentielle par rapport à d'autres types de publicité, notamment sur internet.