Intervention de Odile de Vismes

Réunion du mardi 19 mars 2019 à 16h35
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Odile de Vismes, présidente de l'association Tous pour l'inclusion (TouPi) :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens à vous remercier de votre invitation à cette audition.

Je suis la présidente de l'association TouPi, une association de défense des familles d'enfants qui ont un handicap cognitif. Nous accompagnons chaque année des centaines de familles dans les démarches liées au handicap de leur enfant. Les demandes concernant la scolarisation représentent plus de la moitié des demandes qui nous sont adressées par les familles. Depuis la rentrée de septembre, ce sont ainsi plus de 260 parents d'enfants handicapés qui nous ont contactés pour des problèmes liés à la scolarisation de leur enfant.

Ces familles nous parlent des auxiliaires de vie scolaire (AVS) qui accompagnent certains élèves handicapés en classe. Elles nous parlent en particulier de ceux qui sont absents, de ceux qui ne sont pas là à la rentrée, de ceux qui disparaissent en cours d'année parce que leur contrat aidé a pris fin ou parce qu'ils ont démissionné à force d'être payés au lance-pierre, de ceux qui sont en arrêt maladie ou en formation et que l'inspection d'académie ne remplace pas. Or, selon nos estimations, quand l'AVS est absent, dans près de 20 % des cas, l'enfant est déscolarisé.

Les familles nous parlent aussi du temps de scolarisation de leur enfant, qui est parfois réduit à presque rien. Certains des enfants scolarisés dans des classes ordinaires, d'autres dans des unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS), classes à petit effectif intégrées dans des écoles ordinaires, ne sont scolarisés qu'une heure par jour. Une heure par jour, c'est bon pour les statistiques : ces enfants sont officiellement scolarisés. Mais vous imaginez bien qu'un enfant ne peut pas apprendre, ou très peu, s'il bénéficie de six fois moins d'heures de scolarisation que ses camarades.

Les familles nous disent aussi que les besoins de leurs enfants ne sont ni compris ni reconnus parce que les enseignants et les auxiliaires sont insuffisamment formés pour être en mesure de répondre aux besoins de leurs enfants, et aussi parce que le guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-SCO), rempli en réunion à l'école et destiné à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), ne permet pas de définir précisément les aménagements, les adaptations ni les compensations nécessaires à l'enfant. De plus, bien que la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoie que la MDPH rédige de manière systématique un projet personnalisé de scolarisation (PPS), il est, dans les faits, extrêmement rare qu'elle le fasse. Autrement dit, les besoins réels de l'enfant, les aménagements et les adaptations pédagogiques dont l'enfant devrait bénéficier ne sont généralement indiqués sur aucun document officiel.

Les familles nous parlent aussi de leurs enfants qui sont refusés à la cantine ou dans le cadre des activités périscolaires parce que personne ne veut assurer leur accompagnement. L'Éducation nationale et la mairie se renvoient la balle, la loi ne disant pas clairement de qui relève cet accompagnement.

Les familles nous parlent de leurs enfants dont elles ont finalement décidé – ou été contraintes – d'assurer elles-mêmes l'instruction en utilisant les services du Centre national d'enseignement à distance (CNED), après des années passées à se battre en vain pour les scolariser dans de bonnes conditions.

Les familles nous parlent de leurs difficultés avec les MDPH, qui portent principalement sur les notifications : celles-ci ne correspondent pas à leurs demandes, ni aux besoins de leurs enfants. Par exemple, il arrive fréquemment que la MDPH notifie une orientation en établissement spécialisé, alors que les parents demandaient une orientation en ULIS, au sein d'un établissement ordinaire. À présent, les MDPH octroient de plus en plus d'accompagnements mutualisés, c'est-à-dire de moins en moins d'accompagnements individuels.

Qu'est-ce qu'un AVS « mutualisé » ? C'est un AVS partagé entre plusieurs enfants, plusieurs classes, voire plusieurs établissements, et dont le nombre d'heures d'intervention auprès de l'enfant est décidé par l'école et non par la MDPH. L'accompagnement par un AVS mutualisé est bien souvent de quelques heures par semaine. Or, à l'heure actuelle, même pour des handicaps comme la trisomie 21, cet accompagnement mutualisé devient la norme. Les familles doivent alors former des recours contre les décisions des MDPH, mais cela aussi s'avère de plus en plus difficile car, depuis cette année, on ne peut plus saisir le tribunal directement. Il faut d'abord faire un recours administratif auprès de la MDPH qui a, théoriquement, deux mois pour répondre. Ce n'est qu'au terme de ces deux mois que le parent pourra former un recours auprès du tribunal, qui ne statuera que bien après la rentrée scolaire. Qu'advient-il de l'enfant pendant tout ce temps ?

On nous dit que plus de 340 000 élèves handicapés sont scolarisés dans des établissements de l'Éducation nationale et que ce nombre ne cesse d'augmenter. Ils étaient en effet 133 000 en 2004. Par ailleurs, il y a toujours autant d'élèves dans les établissements spécialisés : 77 000 en 2004, 78 000 en 2017. Peut-on vraiment affirmer que l'école est devenue plus inclusive depuis 2005 alors qu'il n'y a pas eu de basculement des effectifs d'élèves des établissements spécialisés vers les établissements ordinaires ?

J'aimerais beaucoup pouvoir vous livrer des chiffres sur la situation réelle des élèves handicapés à l'école, mais force est de constater que c'est un secret bien gardé. Nous avons réalisé à la rentrée 2018 une enquête à laquelle près de 2 000 parents ont répondu. Les résultats nous amènent à penser que 12 000 à 15 000 enfants handicapés sont privés d'AVS tout au long de l'année, et plus encore à la rentrée de septembre. Mais le nombre officiel n'est jamais communiqué, sauf de temps en temps, au détour d'un rapport comme celui de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en juin 2018, qui nous a appris que plus de 11 000 élèves handicapés étaient sans AVS en mars 2017.

J'aimerais donc que votre commission entende la déléguée ministérielle à l'inclusion scolaire, car nous aimerions beaucoup savoir combien d'élèves handicapés n'ont pas d'AVS et combien sont déscolarisés pour cette raison ; quel est le temps effectif de scolarisation des élèves handicapés ; quel est le nombre moyen d'enfants suivis par AVS ; combien d'enfants n'ont pas de place en ULIS malgré une notification de la MDPH ; quelle est la part des enfants qui ont véritablement un projet personnalisé de scolarisation, rédigé par la MDPH ; combien de parents d'enfants handicapés ont choisi l'instruction en famille ou le CNED ; quel est, enfin, le nombre réel d'AVS, étant donné que, chaque année, on change d'unité de mesure : on nous parle de nombre de contrats, d'équivalents temps plein (ETP), d'agents, et cette année le Gouvernement nous annonce comme une excellente nouvelle la suppression de 30 000 contrats aidés.

Des questions et des inquiétudes, nous en avons donc beaucoup ! Monsieur le rapporteur, nous avons entendu Mme Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, lorsque vous l'interpelliez en septembre, vous reprocher de donner des angoisses aux familles. Mais ce n'est pas vous qui créez ces angoisses. Elles s'expriment tout au long de l'année, les parents nous en font part. C'est le système tout entier qui les nourrit.

Cette année, nous sommes plus inquiets encore parce que nous constatons que le projet du Gouvernement vise à mutualiser davantage encore l'aide humaine aux élèves handicapés et donc de réduire les moyens accordés à chacun d'eux individuellement.

Nous vous remercions d'avoir constitué cette commission d'enquête. Vous nous donnez l'espoir que les choses puissent changer par la force de votre volonté politique.

Pour y arriver tous ensemble, nous avons beaucoup d'idées et de propositions. Nous les avons partagées avec vous dans un document que nous vous avons transmis hier ; nous vous proposons de les détailler aujourd'hui, si vous le souhaitez, dans la suite de cette audition.

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