Madame la présidente, monsieur le rapporteur, je vais m'appuyer essentiellement sur le sujet de l'autisme, dans la mesure où c'est à ce titre que j'ai une légitimité.
Mon association a fêté cette année ses trente ans, et cela fait trente ans que nous demandons un diagnostic et une intervention précoces, une inclusion en milieu ordinaire la plus large possible et une formation actualisée et scientifique à l'autisme pour les professionnels de tous ordres – sans les avoir vraiment obtenus comme vous pouvez le constater.
Il existe beaucoup de documents sur l'autisme. C'est au moins un avantage par rapport à d'autres champs du handicap. Nous bénéficions aussi des remontées de notre réseau dont nous nous sommes servis pour dresser les constats suivants.
La scolarisation des enfants autistes progresse régulièrement mais de façon encore limitée, inégale et émaillée de nombreuses ruptures de parcours. Les derniers chiffres qui nous ont été fournis par l'Éducation nationale – mais en petit comité, et cela n'a donc strictement rien d'officiel – estiment à 36 200 le nombre des élèves autistes en milieu ordinaire, 75 % en classes ordinaires, 25 % en ULIS, et à 12 900 le nombre des enfants en établissement, sans que l'on soit capable de dire de quelle manière les enfants en établissements médico-sociaux sont scolarisés, ces chiffres n'apparaissant nulle part.
68 % des enfants sont dans le premier degré, 8 % au lycée. Cela montre les difficultés de parcours pour un enfant autiste quand il a dépassé l'école primaire.
71 % des élèves souffrant du spectre de l'autisme (TSA) sont accompagnés par un accompagnant d'élève en situation de handicap (AESH). Ils représentent 49 % des demandes acceptées. C'est dire l'importance de l'accompagnement pour les élèves autistes à l'école.
45 % des élèves autistes bénéficient d'un AESH à temps partiel, contre 18 % pour l'ensemble des élèves en situation de handicap, marquant, là encore, les difficultés particulières de la scolarisation des enfants autistes.
D'une certaine manière, la loi de 2005 a profité aux enfants autistes quand les familles ont fait jouer leurs droits, ce qui était bien normal. Mais c'est souvent au prix de batailles incessantes et de contentieux fréquents. Alors même que le chantier MDPH en cours associe les MDPH à la société inclusive, les MDPH sont souvent peu en phase avec l'école inclusive. On impose souvent une orientation en institut médico-éducatif (IME) ou en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), alors que l'agrément ne correspond pas aux enfants autistes et que la culture psychanalytique des intervenants est un désastre. Les demandes d'AVS sont peu prises en compte à la hauteur des besoins, on refuse des auxiliaires de vie scolaire individuels (AVSI) en ULIS, alors que rien ne l'interdit et que les auxiliaires ayant une mission collective ne répondent pas aux difficultés.
Les enseignants sont très peu formés aux handicaps, encore moins à l'autisme. Les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) sont une occasion ratée, puisque ce sont les universités qui sont chargées de la formation des enseignants et que l'Éducation nationale n'a pas la main sur leur formation, ce qui est très regrettable. Si la formation dispensée par l'ESPE de Lyon sur l'autisme est exemplaire, ce n'est absolument pas le cas dans d'autres écoles.
La scolarisation des enfants autistes repose sur une difficulté majeure qui commence à être un peu mieux comprise. Comment allier les aménagements pédagogiques et le soutien éducatif nécessaires à ces enfants ? Cela a été compris dans le cadre des unités d'enseignement maternel. C'est une belle expérimentation qui montre comment l'alliance des professionnels, à la fois de la scolarisation et de l'éducation, permet les progrès des enfants. Malheureusement, excepté dans ces unités maternelles qui vont se développer, ce qui est une bonne chose, ce n'est pas le cas ailleurs. Il n'y en aura en 2022, sur l'ensemble du territoire, que 45 dans l'enseignement élémentaire, ce qui est très peu.
Ailleurs, cette alliance nécessaire entre le soutien éducatif et le travail pédagogique n'est pas assurée. Souvent, les familles essayent de s'appuyer sur des intervenants libéraux qu'elles financent à leurs frais. Il existe très peu de services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) dédiés, et leurs listes d'attente sont souvent de trois ou quatre ans. Il en va de même quand il y a orientation en IME. Il ne faut pas croire que c'est la panacée : la liste d'attente est, là aussi, de trois ou quatre ans.
Les élèves autistes sont très majoritairement accompagnés en classe, mais l'AVS ou l'AESH n'est pas la bonne personne, puisqu'elle n'a pas les compétences requises. Dans d'autres pays, au Québec, par exemple, les élèves autistes sont accompagnés par des intervenants techniques, des éducateurs spécialisés. Recrutés à un niveau « bac + 2 », l'éducateur spécialisé est un personnel technique qui peut intervenir à l'école, à domicile, dans un service, là où c'est nécessaire. La manière d'envisager le problème y est autre qu'en France, où l'on demande à des AVS, dont certains – je tiens à le dire – sont exemplaires, de se former sur le terrain. Il y a même des parents qui le font, qui deviennent AVS et qui sont des experts de très haut niveau, mais cela reste quand même marginal et c'est un bricolage qui n'est pas acceptable. En France, on ne repère pas les bonnes expertises pour former d'autres personnes, et beaucoup d'AVS se cassent la figure ou changent d'activité en cours d'année, mettant en danger la scolarisation des enfants.
Ainsi que le soulignent tous les rapports, la scolarisation est plus simple à réussir si elle est précédée d'un diagnostic et d'une intervention précoces. Or, comme chacun sait, c'est peu souvent le cas.
Les recommandations sur le diagnostic ont été actualisées en 2018. Le diagnostic est fiable à partir de dix-huit mois. Nous en sommes encore très loin en France. C'est aussi ce qui met en échec la scolarisation. Si on réalisait plus tôt le travail d'intervention qui permet aux enfants de stabiliser leur comportement, d'acquérir un comportement d'élève dès la maternelle, nous connaîtrions moins d'échecs ensuite. Certes, cela ne résoudrait pas tous les problèmes mais cela en résoudrait beaucoup. C'est ce que font d'autres pays qui engagent le maximum de moyens en faveur de l'intervention précoce pour limiter les sur-handicaps futurs, notamment au moment de la scolarisation.
Il en va pour la formation professionnelle comme pour la scolarisation. Cela a valu à la France cinq condamnations successives pour violation de la Charte sociale européenne, pour discrimination dans l'accès à l'éducation et à la scolarisation, mais aussi à la formation professionnelle.
Le lien entre la stratégie « autisme » et le chantier « école inclusive » n'a pas été pensé, ce qui me choque profondément. La stratégie « autisme » inclura des enseignants-ressources. Je ne vois pas le lien avec les pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL). Si nous pouvions, grâce à vous, assurer une meilleure cohérence de l'ensemble des chantiers qui sont menés au niveau national, tous les enfants en situation de handicap en profiteraient.
La promotion de l'école inclusive et la stratégie « autisme » ont, elles aussi, été mal pensées. Les enfants ont des profils différents et les ruptures de parcours très fréquentes sont liées à la mauvaise analyse de leurs besoins, sans compter que les réponses n'existent pas ou sont peu nombreuses.
La stratégie en faveur de l'autisme a essentiellement porté sur les jeunes enfants, ce que je ne conteste pas, mais il faut aussi avoir conscience du fait que les enfants grandissent et qu'ils auront besoin de parcours fondés sur leurs centres d'intérêt. Si l'on aménageait les parcours scolaires en dispensant les enfants des matières dans lesquelles, de toute façon, ils seront en échec, on permettrait à un très grand nombre de s'appuyer sur ce qu'ils aiment faire, dans les domaines où ils sont compétents et où ils pourraient jouer un rôle social.
Le problème reste très largement celui de la méconnaissance de l'autisme. Je ne saurais pas mieux dire que la rapporteure de l'Organisation des Nations unies (ONU) sur les droits des personnes handicapées qui, en janvier 2019, s'inquiétait « du manque, voire de l'absence totale d'informations relatives à l'autisme en France ». Cela rejaillit très nettement sur la scolarisation de nos enfants.