Intervention de Caroline Coutant

Réunion du mardi 19 mars 2019 à 16h35
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Caroline Coutant, vice-présidente de l'association Info Droit Handicap :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous tenons à vous remercier de votre invitation.

Je suis vice-présidente de l'association Info Droit Handicap, qui compte, à ce jour, 973 adhérents répartis sur toute la France. Notre association est axée sur les droits des personnes en situation de handicap et de leurs aidants, tous handicaps confondus.

Son principal atout repose sur l'utilisation des réseaux sociaux, dont un groupe Facebook qui compte 17 600 membres. Au cours de l'année 2018, nous avons traité 6 500 questions litigieuses. Nous connaissons donc particulièrement bien les difficultés qui jalonnent le parcours des familles.

Mais venons-en à l'objectif de cette table ronde. L'inclusion est devenue à la mode, chacun s'empare de cette notion de société inclusive, d'école inclusive, voire d'écriture inclusive, mais, en réalité, il existe un fossé entre l'utilisation démultipliée de ce terme et son application.

Tous les ans, chaque gouvernement se félicite de l'augmentation du taux de scolarisation des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire, et s'il est indéniable que ce taux a progressé, on oublie de préciser que les statistiques ne prennent pas en compte le temps de scolarité effectif ni la façon dont les familles doivent se battre jour après jour. Cette proposition induit une réelle différence car, aujourd'hui, scolariser un enfant en situation de handicap relève d'un véritable parcours du combattant.

Les problèmes commencent dès l'inscription en maternelle. Les parents peuvent être confrontés à des maires qui refusent la scolarisation, ou à des écoles qui ne l'acceptent qu'à raison d'une heure par jour ou pas du tout.

Pour certaines familles, cela se poursuit tout le long du parcours de scolarisation : refus à la cantine, refus de sorties scolaires, pas de participation au spectacle de fin d'année, réduction du temps de scolarisation. La liste est longue.

D'autres familles auront plus de chance mais cela relève encore trop souvent de l'exception. Chaque académie interprète la législation selon son bon vouloir, ce qui crée une énorme disparité entre les différents départements.

L'enseignant référent, censé être un appui pour les familles, outrepasse souvent ses prérogatives : demande de remise du dossier MDPH, certificats médicaux, ajout de nouvelles annotations sur le GEVA-SCO après l'équipe de suivi de la scolarisation (ESS). D'ailleurs, le GEVA-SCO devient régulièrement un outil pour contraindre les familles à accepter une orientation forcée, et cela en totale contradiction avec le principe posé par l'article D. 351-10 du code de l'éducation. Ainsi des enfants qui ont leur place en milieu ordinaire basculent vers des ULIS, des ITEP ou des IME, et des élèves ayant un réel besoin de ce type de dispositif se retrouvent, malgré l'obligation scolaire, sur liste d'attente, c'est-à-dire à leur domicile, sans solution.

Il ne faut pas oublier les enfants que l'on pousse vers la porte de sortie, cela même au sein des dispositifs censés être adaptés au handicap comme les ULIS. Quant au projet personnalisé de scolarisation (PPS), de nombreux parents se demandent encore à quoi il ressemble ! Pour la plupart des MDPH, la notion reste floue, un peu comme toutes les procédures du traitement des dossiers : pas d'envoi de plan personnalisé de compensation (PPC) ou de projet personnalisé de scolarisation (PPS) avant le passage devant la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), pas de convocation devant la CDAPH, délais de traitement indéterminés… À l'image des académies, chaque MDPH prend ses libertés avec les textes législatifs. Et lorsque le projet personnalisé de scolarisation existe, il est simple et même sommaire quant à son contenu, et n'est pas conforme aux dispositions de l'arrêté du 6 février 2015 et à sa nomenclature. Bien entendu, nous déplorons aussi le manque de moyens accordés aux enseignants, l'absence de formation et les classes surchargées, qui ne sont pas propices à une pédagogie différenciée. Tout cela donne naissance à de nombreuses batailles pour faire comprendre à certains enseignants que les aménagements raisonnables ne sont pas une faveur, mais une nécessité.

Les parents passent d'un extrême à l'autre. D'un côté, ils sont face à des enseignants qui, malgré le manque de moyens, tentent de mettre des choses en place et s'autoforment pour acquérir de nouvelles pratiques professionnelles. De l'autre, ils sont confrontés à des enseignants totalement réfractaires qui voient ce type de pratique comme une remise en cause de leur autorité pédagogique.

Nous constatons qu'il est vraiment compliqué de faire appliquer les aménagements aux examens, et ce jusqu'à l'université. Pourtant, refuser la mise en place d'aménagements revient à priver les élèves de leur droit à être mis sur un pied d'égalité que leurs camarades.

Nous ne pouvons pas parler d'inclusion scolaire sans citer un de ses maillons essentiels, les AESH. Précarité des contrats, salaires trop bas, mauvaise organisation dans la gestion des recrutements entraînent de nombreuses ruptures d'accompagnement. Résultat : pas de repos pour les parents. Le non-respect des notifications d'aide humaine ou les ruptures d'accompagnement interviennent toute l'année.

Cette problématique accroît le risque de déscolarisation des élèves, car les familles se retrouvent confrontées à deux situations : les élèves qui ne peuvent être scolarisés sans la présence d'une AESH ou des écoles qui conditionnent la scolarisation à la présence de l'AESH. Pour résoudre cette difficulté, le Gouvernement a annoncé la généralisation des PIAL. Cependant, nous nous interrogeons sur les dérives de ce dispositif qui, selon nous, repose avant tout sur une logique budgétaire et remet en cause l'évaluation des besoins de compensation. À ce sujet, les premiers documents que nous avons pu obtenir sur cette expérimentation indiquent, noir sur blanc, la volonté de réduire les notifications d'aides humaines individualisées pour généraliser l'aide mutualisée. La parution d'un article, le 12 mars dernier, dans Le Courrier Picard vient renforcer nos inquiétudes.

Notre vision d'une inclusion scolaire réussie ne peut exister qu'à travers la mise en place d'un véritable partenariat entre tous les acteurs qui comprend les familles. Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants et, à ce titre, détiennent une véritable expertise qui doit être entretenue et reconnue. Ils n'ont pas à vivre dans la peur des représailles de l'Éducation nationale pour avoir osé demander une meilleure prise en considération de leurs enfants.

De plus en plus de familles sont victimes d'informations préoccupantes dont les deux tiers proviennent de l'Éducation nationale. La majorité des dossiers sont classés sans suite, mais cela n'enlève rien au traumatisme engendré par ce type de procédure. Les familles ressortent fragilisées et surtout leur confiance en l'école est totalement rompue.

D'ailleurs, Mme Cluzel vient d'annoncer sa volonté de lutter contre les insultes stigmatisant le handicap. C'est une initiative que nous saluons, mais quand légiférera-t-on sur la maltraitance institutionnelle dont les élèves et les familles peuvent être victimes ? Quand rétablira-t-on l'équité et créera-t-on un véritable partenariat entre la famille et l'école ?

Notre intervention dresse un tableau assez sombre, mais c'est la réalité de l'inclusion scolaire vécue quotidiennement par des milliers de familles dont nous portons la voix devant vous aujourd'hui.

Pour conclure, si nous voulons avancer vers une société réellement inclusive, il faut se rappeler que les élèves en situation de handicap sont avant tout des enfants. Ils ont des besoins mais aussi des droits, en particulier le droit à l'éducation, comme tout enfant né dans une société démocratique. Pour tendre réellement vers cet objectif, il faut arrêter de s'en tenir à de grands discours démagogiques et cesser les manifestations d'autosatisfaction quand les familles crient à l'aide. Il est temps d'évoquer les sujets qui fâchent, de prendre en compte les dysfonctionnements que nous constatons quotidiennement, de ne plus s'en exonérer en prétextant qu'il s'agit d'un cas isolé et surtout, de mettre en place les véritables solutions pour y remédier car, oui l'inclusion scolaire existe dans ce pays, mais à quel prix !

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