Intervention de Sophia Catella

Réunion du mardi 19 mars 2019 à 17h35
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Sophia Catella, représentante du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et professeurs d'enseignement général de collège (SNUIPP-FSU) :

Nous vous présenterons un constat rapide en trois points : quelle est la situation, quel est le discours autour de l'école inclusive, quel est le projet du SNUIPP-FSU sur le sujet.

Le sujet nous préoccupe particulièrement car il touche le coeur de nos métiers d'enseignants et d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), que notre syndicat représente. Nous constatons que les situations sont de plus en plus complexes sur le terrain. Pour autant, la forme de l'école n'a pas vraiment changé, d'où la difficulté rencontrée de répondre à cette situation.

Parmi les réponses susceptibles d'être apportées par l'institution, on se rend compte, tant au regard des AESH ou de la formation des enseignants spécialisés – le certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive (Cappei) – que de la politique de l'agence régionale de santé (ARS), que les dispositifs mis en place ne répondent pas aux élèves en situation de handicap. Il est donc important, selon nous, de faire évoluer les choses. Il existe des situations dégradées dans lesquelles des élèves porteurs de troubles, par exemple autistiques, sont accueillis en milieu ordinaire parmi d'autres élèves et où la réponse apportée par l'école est très insuffisante – c'est particulièrement terrible en maternelle, là où les classes sont les plus chargées.

Certains enfants montrent d'ailleurs, par leur comportement, qu'ils ne sont pas heureux d'être en classe et que la situation dans laquelle ils se trouvent est inadaptée à leur handicap. L'an dernier, à Brive-la-Gaillarde, des parents ont occupé une classe de CE1 au motif qu'une jeune élève de sept ans manifestait un comportement d'une grande violence vis-à-vis des autres enfants. Cette élève était en situation de handicap et les parents ont fait le choix d'occuper la classe pour protéger leurs enfants contre les coups, les griffures et les morsures. Ce qui est désolant dans cet événement est qu'il montre l'inverse de ce que la loi de 2005 ambitionnait pour l'école et pour les élèves en situation de handicap : en d'autres termes, un risque de rejet à cause de l'inadaptation des réponses internes.

Pour ce qui concerne les personnels, les nombreuses remontées des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) départementaux ont permis, l'an dernier, la publication, par le CHSCT ministériel, d'un guide pour l'accompagnement des personnels enseignants et des AESH pour le premier degré qui sont confrontés à des situations parfois dramatiques à vivre au quotidien. Certains parlent de « situations explosives », voire de « catastrophes sanitaires » qui arriveraient à bas bruit dans les écoles du premier degré.

Quand on part de la définition du handicap, on a tendance à l'élargir aux élèves à besoins éducatifs particuliers. Cette dernière notion regroupe les élèves en situation de handicap mais également ceux placés dans des situations familiales ou sociales difficiles, les élèves au haut potentiel intellectuel, les élèves nouvellement arrivés, les enfants malades, les enfants des familles du voyage, ou encore les mineurs en milieu carcéral.

Le SNUIPP-FSU constate que la classe ne peut pas répondre à l'ensemble des besoins des élèves alors que la notion d'école inclusive pourrait laisser penser qu'une fois l'élève inscrit, l'école répond à tous ses besoins et à toutes ses demandes. L'Éducation nationale répond ou essaye de répondre aux notifications des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) concernant l'accompagnement ou l'équipement des élèves. Mais, très souvent, les notifications de la MDPH font apparaître des besoins de suivi de ces élèves en établissement ou en centre médico-psychologique (CMP), ou par les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD). Les élèves sont d'abord inscrits sur des listes d'attente, et cette attente peut durer un, deux ou trois ans. Il y a même des endroits sur le territoire ou ces SESSAD n'existent quasiment plus et où, de fait, les élèves ne peuvent pas avoir accès aux soins. Quand on ne peut avoir accès à des soins nécessaires, il est compliqué d'être élève. Les enseignants, qui n'ont pas de formation aux soins et dont ce n'est pas la mission, sont partagés. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. On compte de plus en plus d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire ; on compte également de plus en plus d'AESH, le recrutement a été important. Malheureusement, nous ne disposons pas de chiffres sur la réussite des élèves en situation de handicap. Il serait pourtant intéressant de savoir si les réponses qui leur ont été apportées leur permettent de suivre une scolarité ordinaire.

Il convient de relever que les enfants les plus en difficulté sont les enfants issus des milieux défavorisés, et ce pour une raison simple : les familles de milieu favorisé disposent en général des bons codes, ont les moyens de consulter un psychologue, un ergothérapeute ou n'importe quel autre spécialiste libéral, alors que les familles les plus paupérisées attendent que des soins puissent être prodigués par des structures publiques.

Le SNUIPP-FSU pense qu'une école réellement inclusive requiert une réflexion fondée sur les besoins particuliers des élèves. Cela ne peut se faire ni à moyens constants ni au travers d'enveloppes contraintes. D'ailleurs, les besoins des élèves, selon les années, peuvent évoluer. Un élève peut avoir besoin d'un suivi important une année et ensuite d'un accompagnement bien moins lourd.

Sur le terrain, on constate que les réponses sont rarement adaptées au regard des notifications de la MDPH. Par exemple, la MDPH notifie un accompagnement humain ; or, avec la mise en place des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL) mais aussi avec la mutualisation des AESH, l'accompagnement individuel tend à disparaître – davantage dans certains départements que dans d'autres –, alors que certains enfants ne peuvent pas se satisfaire de la mutualisation, qui ne leur permet pas de suivre la classe.

Les AESH sont arrivés dans les écoles voilà déjà plusieurs années ; aujourd'hui, l'on se rend compte qu'on a besoin de faire de cette activité un vrai métier – ce dont ces personnes ont besoin également. Ce métier nécessite une formation, un salaire et un temps de travail dignes de ce nom et surtout du temps de concertation afin de construire une relation professionnelle avec les enseignants. Aujourd'hui, c'est très difficile, et quand cela se fait, c'est toujours sur le temps personnel des uns et des autres. Mais à aucun moment, il n'est laissé aux enseignants le temps de s'adapter lorsqu'ils travaillent avec un AESH et de réfléchir à son intervention. Souvent, les AESH arrivent dans les classes « comme un cheveu sur la soupe » : on leur demande de prendre en charge un élève sans qu'ils aient, du moins pour les personnes nouvellement recrutées, ni les codes de l'école ni la formation nécessaire pour répondre aux besoins des élèves. Initialement, on pensait que les AESH étaient de simples exécutants : pour un élève en fauteuil, l'AESH était censé se contenter de pousser le fauteuil… Aujourd'hui, les AESH exercent des fonctions bien plus complexes : sans aller jusqu'à être répétiteurs, ils doivent permettre à l'élève de suivre une scolarité, en l'accompagnant, en lui donnant confiance au quotidien, voire en recherchant des solutions quand l'activité proposée en classe ne permet pas de progresser.

Nous proposons un projet fort pour les AESH qui passe par le statut de la fonction publique. Nous regrettons que le diplôme qui a été mis en place soit un diplôme de niveau V. Il aurait fallu qu'il soit de niveau IV, assorti de la formation adaptée.

Abordons maintenant la question PIAL et de la concertation qui s'achève. Nous craignons la mutualisation de l'accompagnement par les AESH. Certes, on peut imaginer que si l'on a plusieurs élèves en situation de handicap dans sa classe, on n'a pas forcément besoin d'un AESH par élève ; néanmoins, la situation est telle que des AESH mutualisés suivent plusieurs élèves qui ne sont parfois ni dans la même classe, ni dans la même école, ni dans la même commune. Comment faire lorsque tel élève, par exemple, aura uniquement besoin d'un AESH le lundi matin ? La mutualisation peut présenter un intérêt pour certaines pathologies, à certains moments de la journée, pour certains élèves, mais il serait vraiment dommage de généraliser cette formule car ce qui a du prix, c'est la réponse que l'on apporte aux besoins spécifiques des élèves. Dans certains cas, un enfant qui présente des troubles autistiques ne peut se satisfaire d'une AESH mutualisée : ce n'est pas possible.

Cela dit, le PIAL pourrait être intéressant, nous le disons au vu de l'expérimentation qui a eu lieu l'année dernière dans le Vaucluse. Il ne s'agissait pas tout à fait d'un PIAL, mais cela y ressemblait. Les personnels qui ont participé à cette expérimentation nous ont dit que plusieurs conditions devaient être réunies si l'on voulait aboutir à des résultats : la présence d'un coordonnateur travaillant sur une seule structure afin de disposer d'un temps de réflexion et de réunion des personnels sur le temps de travail ; la préparation des interventions de l'AESH en classe ; un temps dédié à la concertation, d'une part pour valoriser le métier des accompagnants, mais aussi pour faire en sorte que les enseignants puissent lier une relation visant à mieux répondre aux besoins des élèves ; une formation au plus près du terrain qui ne soit pas uniquement une formation aux différents types de handicap, mais qui enseigne le travail avec les élèves, la façon de les encourager, de les soutenir, parfois aussi de se mettre en retrait car l'objectif est l'accession à l'autonomie.

En conclusion, il est urgent d'agir, aussi bien vis-à-vis des personnels que des élèves. Du côté des personnels, le guide publié par le ministère avait pour objectif principal de sortir du déni. Aujourd'hui, sur le terrain, on explique aux enseignants qu'ils y mettent de la mauvaise volonté ou qu'ils n'ont pas la bonne pédagogie. Mais la prise en compte du handicap ne relève pas seulement de la pédagogie, d'autres facettes sont concernées : accompagner et former les équipes à un travail commun. Le ministère a mis beaucoup de documents en ligne sur Eduscol ou via la plateforme M@gistère, mais nous avons surtout besoin de pouvoir échanger et partager nos réussites comme nos échecs. On parle beaucoup d'analyse de la pratique ; cela n'existe guère dans nos métiers, mais là où elle est mise en place, elle fonctionne vraiment bien.

Les allégements des effectifs des classes sont évidemment nécessaires, on ne peut plus rester à 30 élèves par classe, ni à rester à 26, 27 ou 28 élèves en élémentaire tout en accueillant des élèves en situation de handicap. En effet, il y a ces élèves et il y a tous les autres, et il est parfois compliqué pour ces autres de trouver leur place – sans parler des élèves qui présentent des troubles non reconnus comme des handicaps mais qui demandent beaucoup d'attention aux enseignants. La réduction des effectifs est le fruit d'une expertise qui a été évoquée par le médiateur de l'Éducation nationale dans son dernier rapport, publié en juin dernier.

Il s'agit également de professionnaliser les AESH. Quand bien même ils bénéficieraient d'un contrat à durée indéterminée (CDI), leur salaire ne peut rester de 650 euros par mois, sauf à les maintenir dans la précarité. Professionnaliser les AESH ne consiste pas seulement à les mettre en CDI, mais aussi à les reconnaître dans leur spécificité en leur apportant ce qui leur est nécessaire pour trouver leur place dans les écoles, car là est bien l'une des difficultés qu'ils rencontrent. Certains ne participent toujours pas aux équipes éducatives ou ne reçoivent pas toutes les informations relatives aux élèves. Il nous semble important de travailler à la coordination des acteurs autour d'un élève : enseignants, AESH, personnels des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), enseignants référents, services de médecine scolaire – qui sont importants pour la détection et la prévention des troubles le plus tôt possible –, services sociaux ainsi que différents intervenants des établissements spécialisés.

Du côté des élèves, il nous semble incontournable de répondre au plus près des besoins de chacun. La MDPH les établit après le dépistage et la détection précoces, que ce soit le fait de la protection maternelle et infantile, de la médecine scolaire et de l'ensemble des professionnels intervenant au sein et autour de l'école. Cela passe aussi par une présence sur l'ensemble du territoire. Dans bien des territoires, des structures font défaut, il manque des professionnels de l'enseignement adapté ou spécialisé, ou encore des professionnels médicaux-sociaux.

Pour le SNUIPP-FSU, l'école inclusive ne peut se faire à moyens constants. Nous avons besoin d'une volonté politique très forte, d'investissements à la mesure des enjeux d'une société inclusive qui serait digne de ce nom. On cite l'Italie qui, du jour au lendemain, a fait le choix de procéder à des investissements importants, même si ce pays a fait le choix de la socialisation plutôt que celui des apprentissages. Il me semble que la France, sixième puissance mondiale, pourrait investir largement si elle avait vraiment l'ambition de cette école inclusive.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.