De quel public parlons-nous aujourd'hui ? Vous parlez d'un « acte II » de la loi de 2005. Nous trouvons, quant à nous, que la loi de 2005 est très en retrait par rapport à la Convention internationale des droits des personnes handicapées. La loi de 2005 repose en fait sur la notion de déficience et, de ce fait même, nous avons encore, en France, une vision très sanitaire du handicap.
Pour répondre à plusieurs de vos questions, je pense qu'il faut s'attacher justement au public dont nous parlons. Vous posez la question des statistiques : lorsque l'on parle d'élèves en situation de handicap, parle-t-on des élèves qui ont un dossier à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ? Présenter un dossier à la MDPH signifie que l'on fait une demande de compensation du handicap, mais peut-on être en situation de handicap quand on n'a pas un dossier à la MDPH ? Tous les élèves en situation de handicap ont-ils un dossier à la MDPH ? Pas forcément. Un enfant peut avoir un trouble des apprentissages – qui dit trouble dit « handicap » – et pour autant ne pas avoir de dossier à la MDPH.
Il est donc très compliqué de vous répondre sur le plan des statistiques. D'ores et déjà, nous rencontrons des difficultés pour déterminer le nombre d'enfants qui ont un dossier à la MDPH. Nous espérons que, grâce au système d'information rénové des MDPH, nous disposerons de quelques informations supplémentaires. Mais quand nous questionnons l'Éducation nationale sur le nombre d'enfants qui ont un plan d'accompagnement personnalisé (PAP), nous n'obtenons pas de réponse. Nous sommes donc très en retard s'agissant des statistiques.
Vous avez demandé par quels moyens nous pourrions diminuer le nombre d'élèves à la charge d'un enseignant. Les handicaps sont très divers et variés, donc livrer un nombre unique n'aurait pas vraiment de sens aujourd'hui, et ce sera toute la difficulté pour les écoles, qui doivent procéder au cas par cas. La situation n'est pas la même pour l'enseignant selon qu'il a dans sa classe un élève en situation de handicap lourd qui, hier, aurait été dans un établissement médico-social, ou un élève qui a certes un trouble mais qui, avec des moyens de compensation d'accessibilité, peut suivre à peu près la classe comme les autres élèves. En fonction du profil, on ne pourra pas les comptabiliser de la même façon.
Vous nous avez interrogées sur l'accompagnant unique. Dans le cadre d'un groupe de travail sur l'accompagnement de l'enfant en situation de handicap durant les temps de vie autres que l'école, nous avons conclu à la nécessité de trancher la question au cas par cas. Pour certains enfants, le mercredi est une autre vie et il est bon que l'accompagnant ne soit pas le même que durant le temps de l'école, alors que, pour d'autres, l'entrée en communication est complexe et, une fois la confiance créée, il est préférable que la même personne reste auprès de l'enfant. Selon l'enfant, il faudra soit garder toujours la même personne, soit à certains moments « casser » un peu le lien qui s'est créé et changer d'accompagnant.
Je reviens d'un mot sur l'autonomie : l'enfant peut être autonome avec un accompagnant. Il faut être très attentif à cela. Ainsi que nous le voyons dans notre commission de la CNCPH, des adultes très autonomes sont accompagnés pour les gestes de la vie quotidienne. Ils sont dépendants d'une personne, mais sont autonomes. Penser, comme on l'a entendu, que chaque enfant a de moins en moins besoin de temps d'accompagnement n'est pas toujours vrai. L'école se complexifie et certains enfants auront un besoin décroissant d'accompagnement, alors que d'autres auront un besoin croissant. Il n'y a pas de règle générale. Il s'agit là d'un élément extrêmement important à comprendre : en fonction des situations, il faudra s'adapter. Nous parlions de l'aspect descendant, un peu normalisé, que nous connaissions jusqu'à aujourd'hui. Il faudra désormais faire à tout moment du sur-mesure pour répondre à un élève en difficulté.
L'une des réponses aux problèmes de comportement consiste à détecter le plus tôt possible le handicap – il faut savoir que certains handicaps sont découverts à l'école. Dès lors que l'on s'intéresse de façon plus fine aux enfants, on repère les difficultés qu'ils rencontrent à l'école et on comprend ce qui dysfonctionne. En mettant en place immédiatement des mesures pour répondre à leurs besoins, on évite des problèmes d'estime de soi et de comportement car, bien souvent, les problèmes de comportement sont l'expression d'un mal-être – ce peut être dû aussi au fait d'être victime de harcèlement à l'école –, un mal-être face à son handicap, qui n'est pas compris, qui n'est pas diagnostiqué. S'installent alors des troubles du comportement.
Je ne dis pas qu'il n'existe pas d'enfants ayant des problèmes de comportement autres que les élèves en situation de handicap, mais pour ceux-ci, il s'agit souvent de sur-handicaps, qui s'ajoutent en raison d'une mauvaise prise en charge de ces enfants à l'école. En répondant plus finement aux besoins, nous réduirions le nombre d'élèves ayant des troubles du comportement à l'école. Cela suppose de les repérer pour aboutir à un diagnostic.
Si l'on retire l'enfant de l'école, il sera bien plus compliqué pour lui d'y revenir, car s'atteler à gérer les problèmes de comportement suppose de délaisser quelque peu les apprentissages, ce qui aboutit à un décalage encore plus grand avec les camarades de classe et de plus grosses difficultés pour réintégrer l'école. Sur les problèmes de comportement, la meilleure réponse est : agir tôt, très tôt.
Mes propos sur le handicap valent pour la stratégie sur l'autisme et les troubles du neurodéveloppement. Elle a mis en place un forfait de dépistage précoce pour agir et diagnostiquer avant l'âge de sept ans afin de répondre le plus vite possible aux besoins de l'enfant pendant au moins un an avant de mettre en place des accompagnements dédiés, attribués notamment par la MDPH. Il convient donc d'agir au plus tôt pour répondre aux besoins des enfants.
J'en viens à la formation des enseignants. Bien entendu, ils ne seront pas tous spécialisés ; il faudrait au moins un corpus commun sur l'école inclusive et sur les droits. Nous n'avons pas évoqué les droits des familles – sujet que nous avons souligné a cours de la récente concertation. Les familles sont très éloignées de la façon dont se déroule la vie scolaire et du rôle des différents intervenants. Elles ne savent pas à qui s'adresser en cas de dysfonctionnements et sont souvent très désemparées. L'interlocuteur unique est l'école. Si les réponses que l'école leur fournit ne vont pas dans le bon sens, elles sont perdues. Il y a donc un vrai problème d'accès à l'information.
Je voudrais dire encore un mot sur la concertation. Le CNCPH et le « focus parents » ont souligné que l'école s'appuie largement sur la compensation. Lorsque les parents ont un enfant en situation de handicap, ils rencontrent une équipe de suivi de la scolarisation. Or, ils ont le sentiment que cette rencontre ne sert qu'à remplir un document qui sera envoyé à la MDPH pour faire une demande de compensation. Quant à l'école, lorsqu'elle accueille un enfant en situation de handicap, elle doit déterminer ce qu'elle peut faire concrètement pour cet enfant, s'interroger sur la façon d'adapter la pédagogie, sur la façon dont elle va répondre aux besoins de cet enfant. Et si elle ne dispose pas de tous les éléments, elle doit alors s'interroger sur les ressources à rechercher à l'extérieur, tels que les moyens de compensation attribués par la MDPH, l'appel à des professionnels du secteur médico-social ou la mise en place d'un accompagnement ou d'autres ressources. Aujourd'hui, on a un peu le sentiment que si l'école n'en dispose pas, il ne se passe rien. Aussi les familles demandent-elles que l'on s'interroge sur ce que l'on peut faire dans un premier temps et, une fois décidé ce que l'on va entreprendre, ajuster et améliorer avec les moyens extérieurs. Mais commençons, au sein de l'école, par répondre aux besoins de l'enfant.