L'expression « manifestement illicite » est une notion très importante de la proposition de loi Avia. Elle apporte de la sécurité juridique d'abord aux citoyens et à tous les acteurs. Chacun doit être dans son rôle. Nous sommes des entreprises privées et il est important, quand on parle de censure, qu'il y ait une garantie juridique pour éviter toute forme de censure indue. C'est peut-être le risque que comporte la loi allemande qui a été dénoncé par de nombreux acteurs, dont David Kaye, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression. Il faut veiller aux effets de bord qu'implique une telle législation sur la liberté d'expression.
Vous posiez la question, monsieur le rapporteur, du nombre minimal de signalements. Il faut bien avoir en tête le volume des signalements que nous recevons : plus de 6 millions chaque jour pour Twitter qui regroupe 126 millions d'utilisateurs dans le monde. Nous devons les traiter au plus vite et identifier les plus urgents et les plus dramatiques afin qu'ils soient examinés par un humain. L'investissement dans la technologie représente donc un très fort enjeu pour nous. J'ai tendance à dire que nous fonctionnons un peu comme une salle d'urgences : nous faisons le tri entre les gens qui viennent pour un simple rhume et ceux qui sont grièvement blessés. Cela ne veut pas dire que nous mettons de côté les cas où il n'y a qu'un seul signalement mais nous considérons que le fait qu'il y ait une multitude de signalements est un signal. L'usager de Twitter, lorsqu'il signale un contenu, doit le qualifier : est-il haineux ? Si oui, est-ce envers lui-même ou un groupe de personnes. Si la personne est elle-même la victime, c'est une indication que le besoin est urgent. La gestion des volumes est un travail difficile et nos outils nous permettent d'établir une hiérarchie dans les priorités.
J'ai une petite anecdote à ce sujet qui est un cas très célèbre chez Twitter : les Directioners, fans du groupe One Direction, ont demandé à leur communauté de signaler massivement Justin Bieber soutenu par leurs rivaux, les Beliebers. Cela a entraîné un énorme volume de signalements, non qualifiés et sans effet. Cela montre qu'il faut se garder de mesures qui seraient uniquement fondées sur la volumétrie des signalements. Ayons à l'esprit que de nombreux utilisateurs font des signalements simplement parce qu'un contenu ne les intéresse pas ou qu'ils ne sont pas d'accord.
Le constat qui a été fait par l'OCLCTIC et par PHAROS pourrait constituer un axe de travail pour la prochaine réunion du groupe de contact permanent. Cette instance a en effet pour but de discuter de ce type de dysfonctionnements. Nous demanderons au délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces (DMISC) d'inscrire ce point au prochain ordre du jour.
En ce qui concerne la notion d'accélérateur de contenus, il importe avant tout de garder une distinction entre les éditeurs de contenus et nos plateformes sur lesquelles les contenus, même si nous nous devons d'avoir une responsabilité à leur égard, sont générés par les utilisateurs. À partir du moment où l'on garde cette distinction, on arrive à une solution qui permet d'agir rapidement sur les contenus « manifestement illicites » et de prendre les bonnes décisions.
Un point fondamental dans ce débat est souvent laissé de côté, il s'agit de l'éducation et de la sensibilisation aux bonnes pratiques. Cela ne doit pas viser uniquement les jeunes publics mais aussi les seniors. Il n'y a pas la vie réelle, d'un côté, et internet, de l'autre : tenir des propos illégaux sur internet peut faire l'objet de poursuites et de condamnations. Il faut éduquer les personnes autour de nous aux bonnes pratiques en leur demandant par exemple si elles tiendraient tels ou tels propos au milieu de la place de la République un samedi après-midi et leur dire que si la réponse est non, elles doivent s'abstenir de les publier sur une plateforme ouverte et publique qui va leur permettre de toucher le monde entier.