Intervention de Benoît Tabaka

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 9h05
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Benoît Tabaka, directeur des relations institutionnelles de Google France :

Chaque jour, sur YouTube, il y a 250 000 signalements, soit plus de 90 millions à l'échelle d'une année. Certains sont légitimes, d'autres sont le fait de personnes qui notifient un contenu simplement parce qu'il ne correspond pas à leurs opinions.

Pour l'Allemagne, nous avons publié des rapports semestriels que nous vous communiquerons. Sur un semestre de 2018, nous avons reçu 250 000 notifications pour YouTube en Allemagne sur la base de la nouvelle loi : 80 % d'entre elles n'étaient pas légitimes. Nous avons procédé à la suppression de 56 000 contenus : les deux tiers avaient été notifiés par les utilisateurs et un tiers par une des agences dont l'intervention est prévue par la loi ; 20 000 relevaient de l'appel à la haine, 11 000 de la diffamation, 5 000 de l'atteinte à la vie privée – le périmètre de la loi allemande est plus large que celui envisagé dans la proposition de loi de Laetitia Avia. Nous avons recouru à de nombreuses reprises à des conseils juridiques extérieurs, des avocats, pour nous aider à apporter une appréciation juridique sur les contenus qui nous avaient été notifiés. Le délai de vingt-quatre heures prévu par le texte a pu être respecté en grande partie mais 2 000 contenus ont été retirés après ce délai, soit parce qu'ils suscitaient un débat juridique, soit parce que certains sont passés en bas ou au milieu de la pile alors qu'ils auraient dû être placés en haut. Le défi pour nous a été d'éliminer rapidement la masse des notifications non justifiées.

La notification qualifiée opérée par les autorités nous a beaucoup aidés. Elle nous a permis de retirer en priorité la majeure partie des contenus les plus haineux qui étaient déjà qualifiés juridiquement et d'aller beaucoup plus rapidement.

S'agissant de la proposition de loi de Laetitia Avia, nous avons tous participé aux travaux et rapports préparatoires et avons beaucoup échangé avec les différentes autorités et les ministères concernés. Nous sommes tous alignés sur l'objectif à atteindre. Là-dessus, il n'y a pas de débat. Un des points qui nous semble très important dans ce texte, c'est le principe de coopération. Le groupe de contact permanent mis en place avec le ministère de l'intérieur a porté ses fruits. Il était très focalisé sur le terrorisme et il nous semble pertinent que son champ soit étendu à la haine sur internet. Nous saluons aussi le fait qu'associations, acteurs publics, acteurs de l'internet travaillent ensemble dans une même structure pour améliorer la qualité des notifications. À ce titre, le rôle du régulateur, qui sera potentiellement le CSA, apparaît central.

Le délai de retrait en 24 heures, comme je l'indiquais, ne peut être respecté dans tous les cas car les signalements proviennent de différents acteurs et que certaines notifications qualifiées ne sont pas classées au bon niveau. Il faudra voir si ce délai constitue, comme dans la loi allemande, une obligation de moyens renforcée ou s'il s'agit d'un impératif. Dans ce dernier cas, il nous appartiendra de nous assurer que les contenus illégaux peuvent être traités dans ce laps de temps. Compte tenu de la masse de notifications que nous recevons, il faudra mettre l'accent sur les outils qui permettent de prioriser les contenus.

Quant au statut d'accélérateur de contenus, nous comprenons bien la logique qui le sous-tend : faire disparaître les contenus illégaux le plus rapidement possible. Mais il faut être réaliste : le seuil qui sera déterminé par décret laissera passer entre les mailles du filet les plateformes qui ne le dépassent pas. Nous connaissons déjà ce problème avec la mise en oeuvre de la loi relative à lutte contre la manipulation de l'information. Les opérateurs dont l'activité se situe en dessous du seuil ne sont pas astreints aux obligations qu'elle prévoit. Or nous savons que les contenus haineux supprimés par les grandes plateformes sont publiés sur de plus petites plateformes en France ou à l'étranger et que les groupuscules d'extrême droite en profitent. On observe d'ores et déjà ce phénomène.

La coopération avec l'OCLCTIC et PHAROS est très bonne. Leurs responsables ont nos numéros de téléphone portable et ils nous appellent régulièrement. Au moment des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, ils nous ont par exemple mobilisés directement.

Dans les discussions que nous avons avec nos différents partenaires au sujet de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, nous nous posons des questions sur la qualification des contenus. Certains groupuscules ou certaines personnes s'éloignent de plus en plus en effet de l'illégalité pour aller vers une zone grise où il ne semble pas y avoir de violation de nos règles. Les autorités et les associations nous apportent leur aide pour identifier les contenus ou propos dont seulement une partie relève de l'illégalité. Cela nous permet d'avoir un fondement fort pour agir.

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