Madame O, vous nous demandiez comment faire pour aller au-delà du signalement. C'est tout l'enjeu – et c'est ce que nous essayons de faire. La route est longue mais l'objectif, chez Twitter, est clairement de faire en sorte qu'aucun utilisateur victime n'ait besoin de signaler un abus, car nous savons qu'une telle démarche rajoute une charge pour la victime. C'est pourquoi nous conjuguons l'automatisation et la revue humaine. Nous sommes encore obligés de nous reposer sur le signalement mais, comme je vous le disais, nous avons mis en place des méthodes d'analyse des comportements. Nous sommes particulièrement proactifs et efficaces dans deux domaines : le terrorisme, avec 91 % de retraits proactifs, et la pédopornographie – 97 %. L'objectif, à terme, est de perfectionner au maximum nos technologies pour retirer entièrement aux utilisateurs la charge du signalement. Cela dit, on sait aussi que les gens qui visent à propager la violence ou la haine sont suffisamment créatifs pour faire en sorte que nous ayons en permanence un temps de retard. Même si nous modifions nos technologies et formons en permanence nos modérateurs, nous aurons toujours besoin de nous adapter et il faudra toujours, à un moment donné, un signalement des utilisateurs. Pour autant, notre objectif est clairement de faire en sorte qu'à terme la part du signalement soit résiduelle.
Pour ce qui est de gérer l'intégralité des champs législatifs mondiaux, il est vrai qu'en tant que plateforme globale nous opérons dans quasiment tous les pays du monde – je dis « quasiment » parce que Twitter est bloqué dans un certain nombre de pays. Pour évoquer ce sujet, je mettrai mon autre casquette, puisque, même s'il est marqué « Twitter France » sur mon chevalet, j'ai aussi des responsabilités dans d'autres pays. C'est effectivement un défi pour nous que d'avoir une cohérence globale, de rester une entreprise, d'être aussi neutres que possible s'agissant des choix que nous faisons, et de réussir tout à la fois à respecter la législation des États dans lesquels nous opérons et à garantir de la sécurité à tous nos utilisateurs. Comme l'expliquait M. Battesti à propos de Facebook, nos règles d'utilisation permettent de couvrir un maximum de législations. La capacité à géobloquer du contenu est très importante. Nous l'utilisons particulièrement en France. Ainsi, un signalement effectué en France, par un utilisateur français, est d'abord examiné à l'aune de nos règles d'utilisation, puis de la loi française. S'il viole celle-ci, il est bloqué, et ne sera donc plus visible en France. C'est un moyen pour nous de répondre au mieux à la question des conflits entre les différentes législations.
En ce qui concerne nos actions précises à l'égard des groupuscules extrémistes violents, monsieur Rudigoz, comme je vous l'indiquais en introduction, Twitter a une politique ferme sur ce sujet, puisque nous leur interdisons l'accès à nos services. Cela vaut pour les groupes terroristes et extrémistes violents. Nous nous fondons sur les critères que je mentionnais : nous prenons évidemment appui sur la liste européenne des groupes considérés comme extrémistes violents, mais aussi sur les analyses de chercheurs. Je ne pourrai pas entrer dans le détail mais sachez que nos services ont identifié, en Europe, 27 groupes correspondant aux critères – à savoir se qualifier eux-mêmes d'extrémistes violents, avoir promu ou mené des actions violentes et cibler les civils. Quatre d'entre eux sont présents en France.
Vous comprendrez que je ne puisse pas faire de commentaires sur des comptes individuels, mais je pourrai évidemment, à l'issue de cette audition, échanger avec vous sur ces cas particuliers.
Le pseudonymat, madame Thomas, est très cher à Twitter. Il est clair que la possibilité laissée aux utilisateurs d'utiliser ou non leur identité réelle fait partie de l'ADN de Twitter. C'est une conviction très forte chez nous, qui dépasse la question des comptes des activistes dans les régions les plus dangereuses du monde : cela permet aussi à des jeunes qui ont envie d'échanger avec leur communauté au sujet de leur orientation sexuelle de s'exprimer librement ; cela permet à des femmes qui ont été victimes de violences sexistes au travail, comme on le voit en ce moment, de s'exprimer librement et fortement sur notre plateforme. Nous considérons donc que le pseudonymat sur internet est fondamental. Je ne reviendrai pas sur la distinction entre anonymat et pseudonymat mais, de fait – et c'est ce que dit la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) –, le pseudonymat permet la liberté d'expression tout en autorisant les poursuites judiciaires. À cet égard, nous travaillons avec les forces de l'ordre pour leur permettre d'engager ces poursuites.
S'agissant de la collecte des pièces d'identité, Twitter est très clairement engagé dans une démarche de minimisation des données détenues, à des fins de protection de la vie privée des utilisateurs. Nous sommes donc opposés à une telle collecte. Je pense que c'est même contraire à l'objectif d'une collecte pertinente et strictement nécessaire à l'utilisation des services demandée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Par ailleurs, encore une fois, nous travaillons étroitement avec les forces de l'ordre pour permettre le déroulement des enquêtes.