Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 3 avril 2019 à 9h30
Commission des affaires économiques

Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances :

Je commencerai par évoquer l'Europe, puisque M. le rapporteur a conclu sur ce point. Les conditions du déploiement de la 5G relèvent, en effet, d'une compétence nationale exclusive. Ce que demande l'Union européenne à ce stade, ce sont des recommandations pour une approche commune. Elle a fixé le calendrier suivant : l'évaluation des risques doit être faite, au niveau national, avant le 30 juin 2019 et, au niveau de l'Union européenne, avant le 1er octobre ; la convergence doit intervenir avant le 31 décembre, une évaluation étant prévue au 1er octobre 2020. L'Union européenne reconnaît la compétence nationale, mais elle propose que les États échangent des informations, avec le soutien de la Commission et de l'Agence de l'Union européenne pour la cybersécurité. Elle souhaite que chaque État soit conscient des risques et prenne les mesures nécessaires pour y faire face. Nous nous inscrivons donc parfaitement dans le dispositif européen et, comme l'indiquait M. le rapporteur, nous sommes même plutôt en avance sur le calendrier.

Par ailleurs, il va falloir procéder à un rééquipement global : une antenne 4G ne peut pas gérer la 5G, mais une antenne 5G peut éventuellement gérer la 4G. Des appels d'offres seront donc, de toute façon, lancés sur les équipements, qu'il s'agisse des antennes, des coeurs de réseau ou des stations de base. L'important pour les équipementiers est, bien entendu, de connaître le cadre avant de commencer à jouer. L'objectif idéal, à terme – mais il n'est encore évoqué que par une minorité, hélas ! –, est de parvenir à une interopérabilité des équipements. Ce ne sont pas les opérateurs de télécommunications qui en décident, mais il faut faire collectivement pression pour y parvenir, car il y va de la protection de ses parts de marché par chaque entreprise. Cet élément a été évoqué, en février dernier, lors de la conférence télécoms de Barcelone.

Comment les opérateurs seront-ils informés des évolutions et quelle sera la responsabilité des équipementiers ? Premièrement – et je réponds ainsi à la question de celui d'entre vous qui souhaitait s'assurer que le Premier ministre sera bien éclairé au moment de prendre sa décision –, c'est l'ANSSI qui réalisera l'expertise des dossiers, sur la base des produits et des logiciels qui lui seront proposés, et non sur la base d'une déclaration. Deuxièmement, l'agence bénéficie toujours de l'application de l'article R. 226-3 du code pénal : les équipementiers ont déjà fait l'objet d'un agrément. Or, l'instruction réalisée en amont est utilisée ensuite pour l'autorisation prévue par cette proposition de loi. Troisièmement, l'ANSSI, les équipementiers et l'opérateur télécoms ont des habitudes de travail, ce qui garantit l'échange d'informations. Lorsque l'ANSSI n'a pas de réponse de la part de l'opérateur de télécommunications, elle se met en relation avec l'équipementier. En tout état de cause, les opérateurs ont l'habitude d'anticiper et de gérer, dans le cadre des appels d'offres, ce dialogue avec l'ANSSI.

Le travail de cette dernière va-t-il augmenter considérablement ? Un certain nombre d'éléments sont traités dans le cadre de l'article R. 226-3, dont le champ d'application inclut, je le rappelle, les coeurs de réseaux mobiles à compter de 2021. En tout état de cause, la capacité d'absorber les autorisations ne pose pas problème, dans la mesure où un gros travail de validation est d'ores et déjà réalisé. Les mises à jour mineures seront immédiatement autorisées ; quant aux mises à jour majeures, elles seront évidemment étudiées de près comme je l'ai rappelé. Il est très important pour le Gouvernement que le déploiement de la 5G ne soit pas freiné.

Monsieur Ruffin, s'agissant des zones blanches, l'objectif du New Deal numérique est, je le rappelle, de parvenir à une couverture de 99,5 % de la population en 2020. Il s'agit donc bien de ne pas avoir une France à deux vitesses en matière d'accès aux télécommunications mobiles. Par ailleurs, je me réjouis que vous souligniez l'importance du dispositif de contrôle des investissements étrangers, que nous avons renforcé – je suppose que cela ne vous a pas échappé – dans le cadre de la loi PACTE. Je rappelle, à ce propos, que le rapport de M. Raphaël Gauvain sur la protection des entreprises confrontées à des mesures d'extraterritorialité va dans votre sens. Je me réjouis également de vous voir soutenir implicitement les efforts que nous consentons pour mettre en oeuvre une politique européenne commune dans des domaines comme ceux de la batterie électrique et de la nanoélectronique, en encadrant et en accompagnant, grâce à l'aide d'argent public, le développement de nouvelles technologies stratégiques.

Trois équipementiers sont actuellement présents sur le marché européen : Nokia-Alcatel, Ericsson et Huawei – un quatrième, Samsung, envisage d'y entrer. Je rappelle que, à la suite de la reprise d'Alcatel, Nokia s'est engagé envers l'État à préserver 2 500 emplois dans la R&D. Cet engagement concerne, je tiens à le préciser, les laboratoires 5G situés en France. Quant aux autres emplois, nous en assurons un suivi rapproché afin d'être certains que les reclassements bénéficient du plus haut niveau d'exigence. Ces emplois concernent des fonctions support. Ils ne sont pas moins importants, socialement, qu'un emploi technologique mais, dans le domaine qui nous intéresse ici, à savoir la souveraineté technologique, nous sommes particulièrement attentifs à la partie R & D.

S'agissant de la « probité » de Huawei, la question qui se pose est de deux ordres : premièrement, il faut savoir si certains équipementiers pourraient être légalement contraints de communiquer des données à leur gouvernement – c'est un élément important à prendre en considération dans une décision, mais cela ne concerne pas que les acteurs chinois ; et deuxièmement et surtout, il faut anticiper les possibles failles techniques : cela concerne tous les équipementiers, mais la faille ne se situera pas nécessairement au niveau de l'équipementier ; elle peut être le fait d'un de ses sous-traitants, au niveau des lignes de codage, par exemple. L'enjeu de la souveraineté technologique concerne donc tous les équipementiers, tous les logiciels, toute la sous-traitance. Il s'agit de nous doter d'un dispositif robuste de contrôle pour préserver notre souveraineté technologique – notion qui nous est chère, Monsieur Gassilloud, car elle est au coeur de notre indépendance industrielle.

Enfin, les décisions ne se limitent pas à une autorisation ou à une interdiction ; elles sont plus nuancées. Nous pouvons ainsi demander, au cours de l'instruction, des restrictions d'application géographique, des restrictions d'application d'usage ou formuler des recommandations en vue d'améliorer les dispositifs. Cette proposition de loi a le mérite de nous permettre une approche qui est la plus pragmatique possible afin d'assurer un équilibre entre, d'une part, la qualité de nos réseaux technologiques et, d'autre part, la capacité à maîtriser les risques en matière de souveraineté et de fragilité technique.

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