Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 20 mars 2019 à 16h35
Commission des affaires européennes

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Madame Degois, les délais s'expliquent par le fait que, pour sécuriser le dispositif spécifique d'IR-PME, au lieu d'appliquer immédiatement le taux de 25 % sans notification auprès de la Commission européenne, au risque que l'IR-PME soit requalifié en aide d'État nous avons décidé de le notifier, ce qui n'avait jamais été fait. Nous avons donc fait le choix de la transparence. Pour le moment, le taux de 18 % reste applicable. J'ai bon espoir d'obtenir dans les mois prochains une réponse de la Commission et alors le taux de 25 % s'appliquera.

Monsieur Paluszkiewicz, en ce qui concerne la taxation numérique, le calendrier est très simple : nous avons pour objectif de trouver l'instrument adéquat au niveau de l'OCDE pour 2020. Au niveau européen, 23 États sur 27 ont déjà donné leur accord. La Commission européenne a maintenu son projet de directive et elle a raison, car il ne faut pas abandonner l'objectif de trouver une solution européenne. Je crois très sincèrement que le fait que les taxes nationales se multiplient a un effet de levier sur les États-Unis, qui souhaitent que l'on parvienne à un accord multilatéral.

Monsieur Mendes, je suis toujours assez défavorable à l'idée de retirer certains investissements de tel ou tel calcul. On nous explique qu'il faut retirer les investissements dans la défense du calcul des 3 %, puis qu'il faut retirer les investissements écologiques… À ce compte-là, tous les investissements pourraient être sortis des critères qui permettent d'établir les finances publiques. En revanche, nous sommes très favorables à une taxe sur les transactions financières. Une telle taxe existe en France et rapporte un peu plus d'un milliard d'euros chaque année. Nous voudrions que nos partenaires européens adoptent une taxe de ce type. Cela fait partie des ressources que nous pourrions affecter au budget de la zone euro.

Madame Hennion, si nous réussissons à affirmer la souveraineté technologique, économique et monétaire de l'Union européenne, nous serons une puissance équivalente aux États-Unis et à la Chine. En revanche, si chacun essaie de s'en sortir tout seul, nous serons vassalisés. En effet, la féodalisation est le premier risque qui pèse sur l'Europe. Celle-ci peut devenir une somme de féodalités, dont chacune aurait son petit drapeau, son pré carré et sa place forte, mais sans qu'existe une puissance globale. Au contraire, le port de Trieste doit travailler avec d'autres ports voisins, qui ne sont pas plus éloignés que deux terminaux du port de Shenzhen.

La Chine a décidé d'investir plus de 1 000 milliards de dollars dans le domaine de l'intelligence artificielle, et la moitié des brevets déposés dans ce domaine sont chinois. Ce n'est qu'en rassemblant nos forces que nous serons capables de soutenir la compétition. Sinon, on peut se vendre au plus offrant, en acceptant la vassalisation, mais je crois que ce n'est ni notre intérêt ni notre volonté.

Pour affirmer l'euro comme monnaie de réserve, il est d'abord nécessaire d'achever la construction de la zone euro, en instaurant un budget d'investissement et – un jour, je l'espère – de stabilisation. Il faut ensuite mettre en place l'union bancaire afin de garantir la stabilité du système bancaire. L'union bancaire, qui est à portée de main, doit reposer sur quatre instruments décisifs.

Premièrement, il faut un Fonds de résolution unique (FRU) qui soit solide ; or la France est le premier État qui cotise au FRU. Nous disposons donc d'un fonds de réserve, financé par les banques : en cas de défaillance, ce sont les banques qui payent sur la base du FRU, qui est donc une forme d'assurance, et non les États. Ce dispositif consolide donc considérablement notre monnaie, car il évite l'augmentation de la dette publique ainsi que la boucle entre risque bancaire et risque souverain qui peut affaiblir les États membres de la zone euro.

Deuxièmement, le FRU comprend un backstop qui est une protection, un filet de sécurité supplémentaire : nous disposons donc d'un FRU de 60 milliards d'euros et d'un backstop de 60 milliards d'euros, qui seront utilisés en cas de crise financière grave.

Troisièmement, il faut mettre en place une autorité de résolution unique qui évite la faillite en faisant porter le poids des difficultés sur les actionnaires et non sur les épargnants.

Quatrièmement, la BCE exerce désormais une surveillance systémique des banques. L'ensemble de ces instruments peut constituer une union bancaire et ainsi faire de la zone euro le système bancaire le plus solide au monde, ce qui permettra d'affirmer l'euro comme monnaie souveraine.

Monsieur Holroyd, je suis très favorable à la mise en place d'une assurance chômage européenne. Toutefois cette proposition, qui a été saluée par des nombreux économistes, se heurte à l'hostilité quasiment unanime des pays du Nord, notamment des Pays-Bas, qui craignent que l'assurance chômage crée une union de transfert. Mes homologues, les ministres des finances, affirment qu'une telle mesure est impossible à mettre en oeuvre car les parlementaires de leur pays y sont opposés. Il est donc nécessaire que les parlementaires français défendent nos positions auprès des parlementaires étrangers, au Bundestag mais aussi dans les autres assemblées de la zone euro. L'assurance chômage de la zone euro vise à aider un État qui rencontre des difficultés économiques à financer son assurance chômage, dont le coût augmente en période de crise économique, pour qu'il ne renonce pas à faire les investissements stratégiques qui lui permettront de restaurer sa compétitivité et de redresser son économie. Il s'agit donc d'un dispositif vertueux et non d'une union de transfert.

Par ailleurs, l'Autorité de la concurrence européenne doit s'assurer que la fusion entre la Deutsche Bank et la CommerzBank ne pose pas de difficulté. Cette fusion pourrait servir indirectement nos intérêts.

Enfin, l'Assemblée parlementaire franco-allemande est une excellente initiative. Nous devons mieux nous connaître, argumenter et défendre nos positions. Certes, nous le faisons déjà au Parlement européen, néanmoins de nombreux préjugés et malentendus persistent entre les nations européennes. Les parlementaires ont un rôle majeur à jouer pour les dissiper.

Monsieur Naegelen, il faut définir une orientation stratégique sur la question de la TVA et s'y tenir. Cette orientation peut être contestée ; cela fait partie du débat démocratique et cette question a été posée dans le cadre du grand débat national. Cependant, on ne peut pas vouloir en même temps la convergence fiscale et la révision des directives sur la TVA afin d'autoriser un accroissement des écarts entre les États membres. Nous sommes l'un des pays européens où le taux moyen de TVA est le plus faible, de l'ordre de 17,6 %. On peut vouloir réduire ce taux à 0 % pour les produits de première nécessité, qui sont aujourd'hui imposés au taux de 5,5 %. Cela aurait un coût très élevé pour les finances publiques et il y a de fortes chances, même si l'on parvient à contrôler la marge du distributeur, que le bénéfice pour le consommateur soit très limité. Surtout, nous nous engagerions alors dans la voie du dumping fiscal que nous combattons par ailleurs. Or je crois que l'intérêt français est d'aller vers l'harmonisation fiscale la plus large possible, afin de rendre plus sincères les décisions d'installation et d'investissement des entreprises en Europe. Je ne pousse donc pas à ouvrir un grand débat sur les taux de TVA en Europe, car cela peut accroître les divergences et le dumping fiscal. Par ailleurs, je suis très favorable à ce que nous avancions vers la majorité qualifiée, ce qui nous aidera à atteindre la convergence des taux d'impôt sur les sociétés et à avancer sur la taxation du numérique. La prochaine Commission européenne devra prendre ces sujets à bras-le-corps.

Monsieur Anglade, depuis le Cloud Act, l'état du droit est tel que l'administration américaine — je ne parle pas de la justice, mais de n'importe quelle agence américaine — peut exiger la restitution de données stockées par une entreprise française ou européenne chez des opérateurs américains. Si une grande entreprise française a stocké ses données chez Microsoft et qu'une agence américaine, en alléguant une raison de sécurité nationale, décide d'obtenir ces données, Microsoft doit les lui transmettre, sans avoir l'obligation d'alerter l'entreprise concernée. Cette situation exorbitante du droit commun est inacceptable. Votre collègue Raphaël Gauvain m'a remis un très bon rapport afin de nous permettre de proposer des réponses à cette situation d'extraterritorialité produite par le Cloud Act, qui pose effectivement des problèmes de souveraineté majeurs. Il a notamment proposé de renforcer la loi de 1968, de conclure un accord bilatéral entre l'Europe et les États-Unis, de judiciariser systématiquement et de rendre l'information obligatoire. Toutes ces voies me paraissent intéressantes ; nous avons donc des pistes de réponses, que nous devons mettre en oeuvre avant la fin de l'année 2019.

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